À venir, « Regard noir », un film d’Aïssa Maïga

L’actrice dénonce dans un documentaire, qui sera diffusé en exclusivité le 16 mars sur Canal+, le manque de diversité du cinéma français. 

« Regard noir »

Le film, co-réalisé avec Isabelle Simeoni¹, revient sur la représentation des femmes noires dans les fictions. Les deux réalisatrices ont affirmé, dans une interview sur Canal+, vouloir « mettre un coup d’accélérateur parce que le progrès, ça se construit… L’un des objectifs du film est de démontrer que grâce aux combats individuels et collectifs, le monde s’améliore… Il est essentiel, après ces années d’effacement, que la parole des femmes soit valorisée, que leur présence, leur créativité, leur puissance, leur intelligence et leur force de travail soient enfin reconnues… »

Pour débattre de la question, elles sont allées à la rencontre de celles et ceux qu’elles qualifient de “talents, créateurs et experts”. Parmi eux, on retrouve Ryan Coogler, le réalisateur de Black Panther, l’actrice et icône féministe Adèle Haenel, la réalisatrice et activiste Ava DuVernay réalisatrice de Selma, la star brésilienne Tais Araujo, les actrices Firmine Richard, Phylicia Rashād, ou encore Sonia Rolland, Miss France 2000 que l’on peut voir actuellement dans la série Tropiques Criminels, tournée entre autres sur l’île de Martinique. Dans Regard noir, film d’1H15, la parole est donc donnée à des comédiennes françaises aussi bien qu’à des cinéastes américains. La chaîne Canal+ présente le documentaire en ces termes : « Un road-movie à la recherche d’initiatives inclusives pour plus de diversité dans le cinéma. »

Aïssa Maïga

Aujourd’hui, Aïssa Maïga, celle qui depuis plusieurs années se bat publiquement pour l’égalité des Noirs et des Blancs au cinéma, celle qui pour cette raison a été sous le feu des projecteurs pendant la cérémonie des Césars, est devenue une icône internationale de la cause noire, et plus spécifiquement de la cause des femmes noires. Entre deux tournages, elle est passée derrière la caméra pour réaliser deux documentaires engagés : celui-ci, sur la diversité, et un autre pour la planète, qui s’intitulera Marcher sur l’eau, et sera consacré au problème de l’eau en Afrique de l’Ouest.

L’actrice de Il a déjà tes yeux et de Au-dessus des nuages, s’est confiée à Madame Figaro : « Ce travail a été un véritable voyage, qui nous a emmenées, l’équipe et moi, au Brésil – où nous avons rencontré des comédiennes très connues, mais que tout le monde ignore en Europe, des créateurs, des hommes politiques, des scientifiques – puis à Los Angeles et à New York ». Actuellement à l’affiche de la série Neuf meufs, elle avait déjà fait part de ses réflexions dans  Noire n’est pas mon métier, un essai collectif qu’elle avait initié et publié aux Éditions du Seuil, en 2018. L’ouvrage dénonce les discriminations et les stéréotypes dont sont victimes les femmes noires et métisses dans le milieu du cinéma français, mais aussi à la télévision, au théâtre et dans le monde culturel en général. Se présentant comme un “livre-manifeste”, il se compose de témoignages et réflexions de seize comédiennes françaises – on peut citer Nadège Beausson-Diagne, Eye Haïdara, Sara Martins, Marie-Philomène Nga, Firmine Richard, ou encore France Zobda, chacune faisant part de son expérience. « À l’écran, être noir est perçu comme un handicap… davantage que dans la société et dans la vie quotidienne », expliquait Sabine Pakora, vue dans La Deuxième étoile. Et d’ajouter cette question : « Pourquoi le cinéma français intègre-t-il si difficilement cette évolution? »

Et précisément, à la cérémonie des Césars, la prise de parole d’Aïssa Maïga, qualifiée parfois de “coup d’éclat”, a été très remarquée, et commentée : « Cela fait plus de deux décennies », commençait-elle, « que je ne peux pas m’empêcher de compter, lors des réunions du métier. J’ai toujours pu compter sur les doigts d’une main le nombre de non-blancs… On a survécu au whitewashing, au blackface, aux tonnes de rôles de dealers, de femmes de ménages à l’accent bwana, on a survécu aux rôles de terroristes, à tous les rôles de filles hyper-sexualisées… Et en fait, on voudrait vous dire, on ne va pas laisser le cinéma français tranquille ». Elle pointait du doigt « l’invisibilité des acteurs, réalisateurs et producteurs »  issus des Dom-Tom, de l’immigration africaine et asiatique. Un débat qu’elle souhaite plus général, affirmant que « ce qui se joue dans le cinéma français ne concerne pas que notre milieu hyper privilégié, cela concerne toute la société… »

Une question parfois épineuse… 

Posée par Le Figaro, la question « Les Noirs dans le cinéma français ? » provoque un blanc. Du côté des agences artistiques, « on préfère ne pas communiquer sur le sujet ». Croisés au détour d’une conférence de presse, les réalisateurs Jacques Audiard et Bertrand Bonello n’ont « pas grand-chose à dire sur la question ».

Même chez les acteurs concernés, on esquive : « Je n’ai pas la sérénité nécessaire pour aborder publiquement cette question difficile », nous répond Adama Niane (Le Gang des Antillais). Jean-Pascal Zadi n’a pas souhaité non plus s’exprimer dans Le Figaro sur ce sujet sensible. L’acteur et réalisateur met pourtant les pieds dans le plat dans son film Tout simplement noir. Deux scènes d’audition y montrent la force des préjugés : dans la première, on lui demande d’interpréter un dealer de banlieue, violeur et islamiste. Dans la seconde, Mathieu Kassovitz, en directeur de casting négrier, mesure l’écartement de ses narines pour évaluer sa crédibilité dans la peau d’un esclave (…). Un rien surprenantes, ces réponses, non ? À méditer !


  1. En avril 2018, sur France Ô, avait été diffusé le film Césaire et moi, un documentaire écrit et réalisé par Isabelle Simeoni & Fabrice Gardel, en hommage à l’héritage laissé par le grand homme. Avec : George Pau-Langevin, Valérie Manteau, Daniel Maximin, Emmanuel Kasarherou, Lilian Thuram, Arthur h., Zineb El Rhazoui, JoeyStarr Aïssa Maïga & Audrey Pulvar.

Janine Bailly, Fort-de-France, le 20 février 2021