Africains, Afro-descendants et émancipation humaine

— Par Robert Albert Saé —
I/ L’Afrique rompt ses chaînes : c’est l’humanité qui se libère !

S’il est vrai que, jusqu’alors, la résistance héroïque des Peuples Africains contre le colonialisme n’avait pu empêcher que le continent subisse les affres de la domination et du pillage, incontestablement, une nouvelle page de l’histoire s’est ouverte : L’Afrique est entrain de rompre ses chaînes et la fin du règne des prédateurs colonialistes est désormais irréversible.

Aujourd’hui, les « lions » sont en capacité d’écrire leur histoire et les « chasseurs » ne parviennent plus à cacher les cortèges de massacres qui ont accompagné leurs entreprises coloniales. Traite des noirs, mise en esclavage de millions d’êtres humains, Code Noir, indigénat, travail forcé, destruction de joyaux culturels et scientifiques africains, spoliation des biens, tous leurs démons surgissent des cachots de l’histoire. Les incantations des castes adeptes du « white power », des géreurs de la « Françafrique », et autres « civilisateurs » qui, jadis, avaient pu aliéner des consciences, provoquent aujourd’hui des levées de bouclier.

Partout grondent les légitimes exigences : Condamnation des coupables des crimes contre l’humanité  et obligation de réparation!

Sur tout le continent, des guerriers et des guerrières, Anciens et Jeunes se dressent avec les mêmes injonctions :

Départ inconditionnel des troupes d’occupation et fermeture des bases étrangères !

Expulsions des multinationales et réparation des dégâts écologiques qu’elles ont causés !

Restitution sans conditions de tous les biens volés  qui brillent dans les musées occidentaux !

Abolition du CFA, monnaie coloniale bafouant la souveraineté des peuples africains  et interdiction de son retour derrière le masque de l’ECO !

Les impérialistes occidentaux ne pourront absolument pas arrêter cette lame de fond : Les Peuples Africains rompront définitivement leurs chaînes !


Beaucoup parlent des richesses du sous-sol du continent, pour justifier que celui-ci pourrait se « développer ». C’est encore, là, rester prisonnier des conceptions productivistes imposées par les capitalistes quant à « l’économie ». Eh bien non ! Ce qui sauvera l’Afrique, et au-delà l’humanité toute entière, c’est que ses peuples ont pu maintenir vivace une civilisation fondée sur des principes de partage et de solidarité ainsi que sur la mise en avant des intérêts collectifs. C’est aussi que leur philosophie conçoit l’être humain comme élément d’un écosystème dans lequel tous les vivants et leur environnement sont interdépendants, que donc, ils doivent être également respectés. Ce socle sur lequel s’appuient les civilisations africaines est resté solide et déterminant, malgré toutes les entreprises de divisions et d’aliénation menées par les colonialistes.

En vérité, l’Afrique est l’avenir du monde.


II/ Quelle mission pour les afro-descendants de par le monde ?

Les luttes menées par nos ancêtres depuis les rafles préludant à leur déportation, sur les navires négriers puis sur les plantations – où ils étaient soumis à la barbarie esclavagiste- ont été incessantes et glorieuses.

Mais, tout comme celles menées sur le continent africain, elles n’avaient pu, jusqu’alors, mettre fin à la férule des classes dominantes occidentales. Par exemple, face à l’extraordinaire victoire de la révolution haïtienne de 1804, soulèvement qui a conduit à l’instauration de la première République noire et universaliste, toutes les forces impérialistes se sont liguées pour écraser à tout prix le modèle.

Aujourd’hui, le constat est incontestable : la plupart des afro-descendants vivant hors de la terre-mère subissent encore les conséquences des crimes commis par les colonialistes occidentaux, crimes qui ont débuté avec la déportation et la mise en esclavage de nos ancêtres, qui se sont poursuivis dans le cadre de la domination coloniale et qui perdurent dans le contexte actuel de l’hégémonie impérialiste. Que ce soit sur le continent américain, en Asie, en Océanie où en Europe, les afro-descendants sont toujours victimes d’un racisme conceptualisé et massivement propagé par les classes dirigeantes occidentales. Partout, ils sont soumis aux discriminations quant il s’agit d’accéder à l’éducation, à la santé, à l’emploi ou au logement. Par voie de conséquence, les taux de pauvreté et de violences sociales atteignent des records dans les quartiers marginalisés, méprisés par les autorités, où ils sont souvent contraints de survivre. Mais, de même que les résistances connaissent un essor spectaculaire en Afrique, partout où existent des communautés afro-descendantes de par le monde, le volcan gronde. Ce ne sont plus seulement des militants et des militantes d’avant-garde qui montent aux créneaux. Le voile de l’aliénation qui avait conduit à oublier son passé et anéanti l’estime de soi, qui poussait une grande partie des populations et, plus tristement, des élites « noires» à singer le « blanc », son mode de vie et ses institutions, ce voile là s’est notablement déchiré*1.

En se réappropriant un regard objectif sur leur beauté naturelle, l’estime de soi et l’équilibre mental qu’il rend possible, en redécouvrant leur histoire, les afro-descendants peuvent désormais repenser leur rapport au monde et mieux se mobiliser pour la défense de leurs droits. Les luttes contre les discriminations et pour la réparation des crimes contre l’humanité dont nos peuples ont été victimes, ont pris une tournure offensive.

Cette véritable révolution mentale à laquelle nous assistons n’amène pas seulement à « se sentir bien dans sa peau » ; elle conduit aussi les afro-descendants à se porter, de plus en plus nombreux, aux avant-postes de la marche historique de l’humanité vers son émancipation. De fait, ce sont les mieux placés pour faire en sorte que se réimposent dans la société les valeurs humaines portées par les civilisations africaines et dont ils sont héritiers. Beaucoup militent déjà en ce sens. Il s’agit alors pour tous, en s’associant fraternellement avec les peuples de toutes nationalités, sous toutes les latitudes où ils se sont enracinés, de renforcer l’offensive pour déconstruire toutes les certitudes viciées générées par la propagande idéologique des colonialistes*2. Car, l’humanité ne pourra se guérir de toutes les maladies qui la rongent sans tourner le dos aux conceptions et aux pratiques mortifères développées par les classes dominantes occidentales.

L’apport indispensable des civilisations africaines qui permettra le progrès de l’humanité réside dans le fait, qu’en leur sein :

l’architecture du pouvoir et des institutions fait prévaloir la cohésion au sein de la communauté et la protection des intérêts collectifs (grâce, notamment à un rapport équitable à la propriété et à la pratique du partage) quand le système imposé par les bourgeoisies occidentales s’appuie sur un individualisme forcené et qu’il est conçu pour défendre exclusivement les intérêts de minorités privilégiées.

l’harmonie est établie entre les vivants et l’environnement, entre travail manuel et activités intellectuelles, quand le modèle de « développement » prôné par les classes dominantes – avec les trois chevaliers de l’apocalypse que sont le productivisme, le consumérisme et l’ultralibéralisme – conduit à la destruction de la planète et de l’humanité.

le respect dû aux aînés et la transmission du savoir ancestral sont sacralisés quand, pour assurer la pérennité de leur domination, le système jette comme des kleenex les êtres humains dès lors qu’ils ne sont plus rentables et quand les empires médiatiques contrôlés par les multinationales, mènent une entreprise planétaire d’abrutissement intellectuel et de dévoiement des valeurs humanistes.

Le combat sur le front idéologique est donc fondamental. Mais, ce qui, surtout, est déterminant pour une transformation révolutionnaire, c’est l’engagement, tant personnel que collectif, des afro-descendants dans des comportements et des pratiques alternatives.

On imagine aisément l’impact qu’aura obligatoirement sur le système une dynamique, portée par des centaines de millions d’afro-descendants, consistant à tourner résolument le dos à l’esclavage de la consommation irraisonnée et, mieux, à développer une culture de boycott systématique des produits commercialisés par toute la clique des ennemis du genre humain. Créer, multiplier et soutenir toutes les alternatives visant concrètement à retourner aux modes de vie heureusement expérimentés par nos ancêtres, c’est permettre que l’humanité reprenne sa marche en avant.

Voici la noble mission que nous, afro-descendants de tous les coins du globe, sommes appelés à accomplir !

*1 Nous sommes tout-à-fait conscients qu’il reste encore énormément d’afro-descendants victimes d’aliénation et dont il faut contribuer à l’émancipation !

*2 La déconstruction des thèses racistes, xénophobes et paternalistes qui ont aliéné les peuples occidentaux eux-mêmes est particulièrement importante à cet égard.


III/ Panaficanisme, «  Noirisme » et Révolution humaniste

Dans la plupart des pays ou vivent des afro-descendants, on assiste à une montée en puissance des mouvements qui se réclament du Panafricanisme. Cette dynamique est le lieu de luttes idéologiques. Certains ont une perception erronée du Panafricanisme à cause d’une méconnaissance de son histoire et de sa réalité actuelle. D’autres le caricaturent et le combattent parce qu’il contrevient à leurs théories et leurs pratiques qui s’accommodent du système dominant.

Tout d’abord, précisons que la définition sur laquelle nous nous appuyons pour parler du panafricanisme dans notre article est la suivante : « mouvement politique qui promeut l’indépendance du continent africain et encourage la pratique de la solidarité entre les Africains et les personnes d’ascendance africaines, où qu’ils soient dans le monde* 1».

Parmi ceux qui se déclarent Panafricanistes, beaucoup, hélas, restent prisonniers d’une vision erronée fabriquée par les racistes colonialiste : Pour eux, « l’Africain » se réduit au « noir » originaire de l’Afrique subsaharienne *2! Nous leur opposerons ces mots de Kwame Nkrumah, l’un des pères fondateurs du Panafricanisme : « Je ne suis pas Africain, disait-il, parce que je suis né en Afrique mais parce que l’Afrique est née en moi ».

Autrement dit, ce qui fait de nous des Africains, ce n’est pas la plus ou moins grande concentration de mélanine dans notre épiderme ou que nous ayons un nez plus ou moins épaté. Ce qui fonde notre africanité, c’est l’héritage que nous avons gardé de nos ancêtres déportés depuis la terre mère, dans notre culture, nos traditions, nos comportements, bref, ce qui constitue le socle de notre être profond. C’est aussi la conscience que nous en avons et le choix que nous faisons de promouvoir les valeurs humanistes des civilisations africaines. Nous devenons Africain, dès lors que « l’Afrique nait en nous».

Ce positionnement, qui est fondamentalement idéologique, ne peut en aucun cas être vécu en concurrence avec notre identité particulière, celle qui s’est construite à travers le parcours historique de notre peuple, dans le pays qui aujourd’hui est le nôtre. Le Peuple Martiniquais s’est constitué en affrontant la barbarie du système esclavagiste et de l’oppression coloniale, en mettant en œuvre des stratégies originales pour maîtriser son nouvel environnement. La Nation qu’il a forgée a su combiner harmonieusement les apports des différentes communautés opprimées – hindou, chinoise et, bien sur pour une large majorité, africaine – qui l’ont forgée. Le génie de nos ancêtres a même su asservir certains aspects de la culture imposée par les colonialistes occidentaux, en dépit de l’aliénation et des traumatismes que celle-ci a pu générer. Au bout du compte, c’est une histoire qui lui est propre et une culture originale, porteuse d’une grande richesse humaine, qui fondent notre identité de Martiniquais et de Martiniquaise. Évacuer cette réalité là, conduirait à dévoyer le Panafricanisme.

Comme c’est le cas dans tout mouvement politique, quel qu’il soit, il existe des personnes se réclamant du Panafricanisme qui sont conséquentes et d’autres qui ne le sont pas. A cet égard, certaines distorsions méritent d’être corrigées :

L’écœurement provoqué par les siècles d’oppression, de barbarie et de racisme imposés par la bourgeoisie colonialiste occidentale, pousse certaines personnes se réclamant du Panafricanisme à s’enfermer dans des réactions subjectives et à développer des thèses caricaturales. On a pu entendre quelques uns déclarer que « Le noir a tout inventé » et que « les blancs ont tout copié », que « même quand des blancs luttent solidairement à nos côtés, c’est par hypocrisie » ou encore que « les barbaries subies par les classes dominées blanches, y compris l’esclavage des enfants dans les mines de charbon au XIX° siècle en France, étaient moins inhumaines »*3.

C’est évidemment une erreur tant du point de vue scientifique que théoriquement. C’est surtout une négation des valeurs humanistes et universalistes portées par les civilisations africaines. Une chose est sure, de telles déclarations sont du pain béni pour les ennemis du Panafricanisme.

Depuis quelques années, un terme est apparu dans le débat pour qualifier les adeptes de ces thèses : Ils sont traités de « noiristes ». De notre point de vue, le choix de ce terme est absolument maladroit, car il vient conforter l’utilisation perverse d’un vocabulaire omniprésent dans la culture occidentale et qui vise à associer une connotation péjorative à tout ce qui a rapport au mot noir, par voie de conséquence au peuple noir : « Idées noires, âme noire, etc. » Plus grave, il peut être injustement utilisé par des personnes malintentionnées pour diaboliser l’ensemble du mouvement Panafricaniste. De notre point de vue, parler de « racialistes » refléterait plus correctement la réalité et permettrait une juste démarcation d’avec les humanistes qui constituent l’écrasante majorité des Panafricanistes.

Un autre travers se révèle particulièrement nuisible à l’essor du mouvement Panafricaniste : Quelques uns se rangent sous son drapeau parce qu’ils y perçoivent une réponse à leur mal-être existentiel ou, pire, parce qu’ils y voient un tremplin politique. Mais, méconnaissant l’essence du Panafricanisme, quoi qu’ils puissent faire, Ils s’en distinguent au moins sur deux plans.

D’abord, ils ne respectent pas les valeurs intrinsèques aux civilisations africaines : respect de la biodiversité, respect de la personne humaine et particulièrement des anciens, recherche du consensus, acceptation par toute la communauté des procédures et des institutions proposées, etc.

Ensuite, la lourde aliénation dont ils sont victimes les conduit à agir sous l’emprise de l’élitisme et de l’individualisme propres à la culture bourgeoise occidentale. Convaincus de leur supériorité en tant qu’intellectuels dont la compétence a été sanctionnée par l’obtention de diplômes occidentaux, quelques uns se pensent les seuls à « savoir » et s’octroient le droit de dicter leur conduite à « ceux qui ignorent ». C’est ainsi que, se posant en « autorité » dépositaire du dogme, développant un intégrisme étranger à nos habitudes, de nouveaux apôtres freinent le nécessaire engagement de beaucoup pour la cause Panafricaniste*4.

Chacun et chacune, en analysant la pratique des uns et des autres, sur la base des observations évoquées ci-dessus, sera tout à fait capable de séparer le bon grain de l’ivraie. Mais il est essentiel, selon nous, de réaliser que l’affrontement des conceptions constaté au sein du mouvement Panafricaniste, est la manifestation d’une lutte idéologique plus profonde entre, d’un côté, ceux qui acceptent le système capitaliste et impérialiste et, de l’autre, ceux qui se battent pour une transformation révolutionnaire de la société. N’est-il pas symptomatique que, tout comme les classes dominantes*5, certains « panafricanistes » s’acharnent à en purger le contenu de classe ? Pour eux, qui se revendique du Marxisme pactiserait avec l’occident anti-africain!

Le fait est que les impérialistes et les classes dominantes, ainsi que des afro-descendants qui sont objectivement leurs alliés, ont pleinement conscience que le Panafricanisme monte en puissance et qu’il est l’un des facteurs contribuant au renversement du système dont ils sont bénéficiaires. Aussi l’attaquent-ils de l’extérieur comme de l’intérieur.

Kwame Nkrumah, l’un des pères du Panafricanisme, a pu déclarer ceci : « Karl Marx et Lénine en particulier ont beaucoup influencé mes actions et mes idées révolutionnaires car j’étais convaincu que leur philosophie pouvait résoudre des problèmes. Mais je pense de tous les ouvrages que j’ai étudiés, le livre qui a le plus attisé mon enthousiasme a été Philosophy and Opinions of Marcus Garvey publié en 1923. » C’est encore Nkrumah qui disait : « Bref, le socialisme est nécessaire pour rendre à l’Afrique ses principes sociaux humanistes et égalitaires. »

Belle illustration que le mouvement Panafricaniste participe d’une révolution humaniste et universaliste. Il n’ignore pas que la domination coloniale du monde par l’Europe a permis que s’y concentrent toutes les avancées scientifiques, théoriques et technologiques faites par les peuples des autres continents, mais que celles-ci restent un patrimoine commun de l’humanité. C’est particulièrement le cas du marxisme, cette science qui permet d’analyser les réalités sociales, de comprendre le phénomène de la lutte des classes, et qui éclaire les voies à emprunter pour une transformation du monde en faveur des classes exploitées et des peuples dominés.

N’est-ce pas là, l’ambition du Panafricanisme ?

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*1 Cf. Définition Wikipedia

23 Est-il nécessaire de rappeler que l’Algérien est Africain, ou encore que les descendants des racistes Boers en Azanie sont de nationalité Sud-africaine ?

*3 Quelle méconnaissance de l’histoire ! Il est absolument essentiel de dénoncer les mensonges de l’histoire écrite par les occidentaux, les crimes abominables commis par les colonialistes qui prétendaient porter « La civilisation », de révéler toutes les inventions, tous les apports faits à l’humanité par les Peuples africains, mais cela reviendrait à donner la victoire aux colonialistes que de propager des thèses s’appuyant sur leurs constructions idéologiques perverses, en particulier les « races » et la hiérarchisation de celles-ci.

*4 Pour eux, par exemple, si vous n’abandonnez pas votre nom pour en choisir un autre à consonance africaine, c’est que vous êtes inconséquent ! La décision consistant à choisir un nom africain ne peut être que d’ordre personnel. Elle peut être salutaire pour celui qui la prend, dans la mesure où elle exprime une rupture symbolique et consciente avec l’oppression culturelle occidentale. Elle n’a aucun sens si elle est imposée.

* 5 Leurs propagandistes évacuent totalement la dimension anti – capitaliste et anti-impérialiste du Panafricanisme et le ramènent à un prétendu « communautarisme », quand ils ne le présentent pas comme un folklore passéiste.