En Outre-mer, des milliers d’enfants sans toit à la veille de la rentrée : une urgence sociale oubliée

— Par Jean Samblé —

Alors que la rentrée scolaire 2025 approche à grands pas, les projecteurs médiatiques se braquent — à juste titre — sur les difficultés que rencontrent les enfants sans domicile fixe dans l’Hexagone. Mais dans les territoires d’Outre-mer, la situation est encore plus critique, souvent oubliée dans les débats publics et largement sous-documentée dans les statistiques nationales.

L’UNICEF France et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), dans leur dernier baromètre « Enfants à la rue », alertent sur une crise humanitaire majeure : près de 600 000 personnes sont aujourd’hui sans logement ou vivent dans des conditions indignes dans les départements et régions d’Outre-mer (DROM). Ce chiffre vertigineux représente près de trois habitants sur dix, un taux très largement supérieur à celui observé en métropole. Parmi ces personnes, les enfants paient le prix le plus lourd, exposés dès leur plus jeune âge à une insécurité sociale, matérielle et psychologique extrême.

Une pauvreté structurelle qui frappe les plus jeunes

Dans les territoires comme Mayotte, la Guyane ou La Réunion, la pauvreté est non seulement plus répandue, mais elle est aussi multidimensionnelle : chômage élevé, infrastructures défaillantes, accès restreint aux droits sociaux, et logements précaires. Ces facteurs cumulatifs aggravent la vulnérabilité des familles, et particulièrement celle des enfants.

À La Réunion, les chiffres sont alarmants : plus de 1 000 enfants étaient sans solution d’hébergement en 2024, dont 330 âgés de moins de trois ans. Le Service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) fait état d’une explosion des demandes d’hébergement, passées de 108 à 184 par jour en seulement cinq ans. Le système est saturé, les dispositifs d’accueil sont insuffisants, et les services sociaux, débordés, peinent à faire face à l’urgence.

À Mayotte, la situation est encore plus dramatique. Un tiers de la population y vit en habitat précaire. Le passage du cyclone Chido, en décembre 2024, a mis en lumière la fragilité extrême des habitations légères et illégales. La destruction massive de logements a laissé des milliers de familles sans abri. Dans l’urgence, certaines ont été relogées temporairement dans des établissements scolaires. Mais à l’approche de la rentrée 2025, ces familles ont été expulsées, parfois manu militari, pour libérer les locaux scolaires, replongeant enfants et nourrissons dans la rue.

Des politiques publiques inadaptées ou absentes

Les causes de cette crise ne sont pas uniquement naturelles ou économiques : elles sont aussi politiques. À Mayotte, la loi de Refondation votée en 2025 a entériné la possibilité de détruire plus de 1 500 habitations informelles sans obligation de relogement, mettant directement en péril le droit fondamental au logement pour des milliers d’enfants et de familles. Contrairement à l’Hexagone, le droit au logement opposable (DALO) n’est pas en vigueur dans certains DROM, et les aides sociales, notamment les allocations logement, y sont souvent incomplètes ou inférieures.

Les dispositifs nationaux, tels que la circulaire sur les campements illicites ou l’instruction gouvernementale de 2018 sur la résorption des bidonvilles, ne s’appliquent pas aux Outre-mer. Cela conduit à une gestion locale souvent répressive, avec des démolitions sans solutions de relogement, et une absence de coordination nationale.

De plus, les lois de 2011 et 2018, censées encadrer la lutte contre l’habitat indigne dans les Outre-mer, donnent des pouvoirs exceptionnels aux préfets pour engager des procédures de destruction des quartiers informels, sans garantir la sécurité ou l’accompagnement des habitants concernés. Dans ce contexte, les expulsions deviennent la norme, au détriment de toute réponse sociale ou structurelle.

Un parc immobilier vétuste, vulnérable aux catastrophes climatiques

Les logements disponibles dans les Outre-mer souffrent par ailleurs d’un niveau de vétusté inquiétant : 13 % du parc immobilier y est constitué de logements indignes, souvent construits sans permis, avec des matériaux de fortune, et sans accès à l’eau potable ou à l’électricité.

Avec le réchauffement climatique, ces fragilités deviennent des facteurs de risque majeurs. Cyclones, sécheresses, submersions marines et glissements de terrain menacent directement les habitats informels. En décembre 2024, le cyclone Chido a ravagé Mayotte, détruisant en quelques heures des centaines d’abris de fortune. Ces catastrophes naturelles, appelées à se multiplier, mettent en péril des milliers de vies, sans que les pouvoirs publics n’aient encore élaboré de plan de résilience adapté aux réalités ultramarines.

Un appel à une mobilisation politique urgente et spécifique

Face à cette situation, l’UNICEF France et la FAS appellent l’État à ne plus considérer les territoires ultramarins comme une périphérie négligeable. Elles demandent une action spécifique, ambitieuse et durable, avec des mesures d’urgence immédiates et une stratégie de long terme :

  • Création de 10 000 places d’hébergement supplémentaires, avec un fléchage clair vers les zones en tension, notamment les DROM ;

  • Financement du plan “Enfants mal-logés”, avec une déclinaison locale spécifique pour les Outre-mer ;

  • Production massive de logements sociaux abordables, intégrés dans les plans d’aménagement du territoire ;

  • Réhabilitation et rénovation du parc existant, avec un accompagnement des familles vers des solutions pérennes ;

  • Alignement des droits sociaux sur ceux de la métropole, notamment le droit au logement opposable, les allocations logement, et les politiques d’hébergement d’urgence ;

  • Mise en œuvre de politiques de résilience climatique, avec une adaptation des logements aux risques environnementaux.

Une responsabilité collective et humanitaire

Laisser des enfants dormir dehors, étudier dans des conditions insalubres, ou vivre sous des tôles dans des zones à risques, ce n’est pas une fatalité. C’est un choix politique — ou, à tout le moins, une défaillance grave de la solidarité nationale.

À l’approche du vote du projet de loi de finances 2026, l’État a l’occasion — et le devoir — de mettre fin à cette injustice structurelle. Il en va non seulement du respect des droits fondamentaux de l’enfant, mais aussi de la cohésion sociale et de la dignité humaine dans des territoires trop souvent oubliés des grandes politiques publiques.