« Opéra Poussière » au Festival de Fort-de-France

— par Selim Lander —

Création du 54e Festival de Fort-de-France, cette pièce haïtienne pour l’écriture (Jean d’Amérique (1)) et la mise en scène (Jean-Erns Marie-Louise) mais avec une distribution africaine et en partie martiniquaise est une vraie réussite formelle. Certes, l’argument est mince : Sanite Bélair, une héroïne de la guerre d’indépendance haïtienne demande à un hougan (« prêtre » vaudou) de la ressusciter car elle a des choses à dire à ses compatriotes d’aujourd’hui, et pour commencer qu’ils ont tort d’oublier la part des femmes dans la guerre contre les Français, à commencer par sa part à elle qui fut sergente dans l’armée de Toussaint Louverture. On ne sait pas si elle ressuscitera vraiment, même s’il semble que ce soit le cas à la fin de la pièce mais elle fera parler d’elle, et d’une manière ou d’une autre parviendra à se manifester auprès des Haïtiens d’aujourd’hui, la télévision s’étant saisie de ce fait divers peu ordinaire. Il n’y a pas vraiment d’intrigue, plutôt une suite de tableaux qui font progresser l’action vers la réapparition réelle ou rêvée de l’héroïne.

Le début est un peu languissant. Toutes les tractations des femmes combattantes pour convaincre le hougan de les ressuciter, sont la partie la moins convaincante de la pièce en dépit de la mise en scène qui fait appel à ce moment-là à un élément de décor représentant un cimetière sur une colline. Deux comédiennes – il n’est pas clair, à vrai dire, si elles interprètent la seule Sanite Bélair ou d’autres héroïnes, auquel cas Sanite Bélair serait celle qui apparaît à la fin coiffée d’un bicorne rouge – tirent d’une boite des petits cercueils (et aussi mais pourquoi des chaises) en miniature qu’elles fourrent dans la main du Hougan qui les ajoute à son cimetière.

La pièce prend sa vitesse de croisière à partir du premier « entracte », rideau tiré, au cours duquel sont projetées les images de quatre gaillard sirotant un cocktail dans une piscine, tout en se plaignant amèrement de leur sort. Ce paradoxe sera résolu lors de la scène suivante où nous les retrouvons – magnifique tableau – juchés sur des chaises hautes, en statues des héros de la guerre d’indépendance installées sur le Champ-de-Mars à Port-au-Prince, reprenant mot pour mot les mêmes plaintes que dans la vidéo. On sait la valeur de la répétition au théâtre et ici cela marche à la perfection en raison du contraste entre les deux situations : la vidéo évocatrice de vacances paradisiaques en maillot de bain, d’une part, la rigidité des statues vêtus d’une toge à la romaine, d’autre part.

Les tableaux s’enchaînent ensuite. Le plus drôle est sans doute celui des extraits du journal télévisé, avec en particulier une intervention de Véronique Kanor (qu’on ne présente plus aux Martiniquais) en professeure d’université totalement déjantée qui discourt sur la réapparition – jusque-là pas encore en chair et en os – de Sanite Bélair.

Le succès d’Opéra poussière tient aussi aux costumes, aux lumières, à la musique. Certes, on ne saurait considérer cette pièce comme un « opéra » à proprement parler mais – festival oblige ! – le spectateur se trouve immergé pour son plaisir dans un univers visuel et sonore (d’autant plus que toutes les voix sont amplifiées) bien plus vaste et coloré que celui, le plus souvent étriqué, des pièces qui lui sont proposées ordinairement à la Martinique. Et l’on ne saurait oublier la prestation des comédiens, particulièrement peut-être celle des hommes, jamais vus, sauf erreur, à la Martinique, dont certains imposent une présence très physique.

Bonne pioche de la ville de Fort-de-France qui a participé, conjointement avec la DAC, le MOM (ex MEDETOM), la CTM et d’autres à la production d’Opéra poussière (2).

Les 11 et 12 juillet 2025 au Théâtre municipal de Fort-de-France.

Avec : Nicolas Mounbouno, Véronique Kanor, Yasmine Ndong Abdaoui, Félicité Notson Kodjo-Atsou, Teddy Jason Chawa, Mouss Sidibé, Cédric Madubu, Francis Boléla. (Photos Selim Lander).

(1) Le texte déjà récompensé par plusieurs prix dont le prix RFI en 2021.

(2) La « poussière » étant vraisemblablement celle de la cendre des morts.