2023-2024 : L’année commence mal !

— Le n° 331 de « Révolution Socialiste », journal du G.R.S. —

La guerre, prétendument contre le Hamas, en fait pour l’extermination du peuple palestinien, n’a connu aucune trêve. La Russie impériale en profite pour accentuer son agression contre le peuple ukrainien. Aucun espoir ne se dessine en Haïti, pas plus qu’au Soudan, ou au Congo.

Le chaos, nourri par le capitalisme et l’impérialisme sert de toile de fond à une montée inquiétante des extrêmesdroites. Le bavardage officiel sur le climat et la biodiversité ne débouche sur aucune décision à la hauteur des enjeux.

La solidarité au sein des peuples du monde avec la cause palestinienne, symbole douloureux de la résistance prolétarienne et populaire au cours mortifère des choses, redonne des couleurs à l’internationalisme, mais manque de coordination, et reste insuffisante au regard de ce qui se joue à l’échelle planétaire. Ce retard laisse un large espace quant aux illusions sur les fameux BRICS que d’aucuns voient bien naïvement comme un substitut à une véritable internationale des travailleurs/ses et des peuples opprimés.

Chez nous, l’empêtrement dans les problèmes quotidiens de vie chère, de transports, de délinquance, de délabrement des services publics, de santé, empêchent de réfléchir sur ce que l’évolution du monde risque de signifier pour nous, sans pour autant déboucher sur un plan populaire de lutte pour les résoudre. Cette impuissance rend parcellaires et confuses les réflexions partagées dont nous avons besoin pour affronter les tâches fondamentales conduisant à une autodétermination de la majorité pour le profit de la majorité.

Le piège reste donc bien tendu pour que se poursuive un chakbétaféism
debilitant où l’électoralisme règne avec ses enjeux de carrière politicienne pour soi et les ami-e-s.

Quelques chantiers positifs d’alliances militantes contre le chlordécone, pour la Palestine ou, défensivement, contre une répression coloniale qui profite de nos moindres failles ne suffisent pas à construire un sujet politique fiable. Entre les forces qui prônent « l’union du pays » toutes classes confondues et celles pour qui l’unité des masses se résume à l’unité de leur propre organisation avec ellemême, il y a une place pour une stratégie d’unité ouvrière et populaire, mais peu de postulants pour tenter de l’occuper ensemble.

Si bien que le beau discours poétique de Chamoiseau sur « Faire pays » risque bien d’apparaître comme une tentative de recycler des perspectives réformistes faute d’un débat sérieux sur ses implications politiques pratiques. Il y a du pain sur la planche tant au niveau martiniquais, antillais que mondial.

Que 2024 fasse progresser la lucidité sur le lien étroit entre tous ces combats, l’audace et le courage de les mener de front, l’énergie et la détermination pour les conduire jusqu’au bout, ce qui évidement ne concernera que l’année qui commence.

En marge de la polémique Nilor versus député de Mayotte

Beaucoup d’encre a coulé sur le propos virulent de J.P. Nilor à l’adresse de son collègue de Mayotte. Il est certain que l’appellation de « nègre de maison » du second par le premier ne pouvait que blesser.

Cet incident, peu reluisant, est pour nous l’occasion de l’utilisation comme insulte de l’expression « nègre de maison », « nègre domestique », etc. On sait que, dans le lexique de l’habitation, les appellations des esclavisé·e·s étaient déterminées par leurs fonctions serviles. Les « Neg bitasyon » dans les champs, les « nègres de maison » travaillant dans la maison du maître, les « nègres à talents » dans les métiers techniques. La proximité des nègres de maison avec la famille des maîtres entraînait des relations les faisant apparaître comme des privilégiés, symboles de soumission et d’aliénation. La dénonciation de l’abomination esclavagiste s’est, au fil des ans, accompagnée du mépris pour les attitudes attribuées, avec une généralisation fort simplificatrice, aux « nègres de maison ».

Le vrai problème commence lorsquon assiste à la transformation d’une situation à son essentialisation. Les « nègres domestiques » deviennent, dans cette vision paresseuse des choses, soumis par essence. C’est ce que sous-tend l’utilisation de cette classification au départ sociologique comme une injure.

Toute essentialisation est suspecte, et met sur le chemin du pire. L’extrêmedroite ne fait pas autre chose quand elle voit dans l’immigré un délinquant en puissance, dans le musulman un islamo-terroriste quasi « naturel ».

D’ailleurs, cet usage du qualificatif fait penser à un débat devenu classique : si l’on préfère désigner nos ancêtres sous le vocable « esclavisés » ou « esclavagisés », plutôt qu’esclaves c’est bien pour dire avec force que le mot esclave désigne un état et pas une essence !

Le plus tragique, c’est de voir attribuer à Frantz Fanon cette essentialisation concernant les « nègres de maison ». Nourri très tôt de l’existentialisme sartrien ( voir « Frantz Fanon, l’héritage » de Philippe Pierre-Charles), Frantz Fanon a magnifiquement exprimé son refus de tout essentialisme. Le but, ditil n’est pas de « fixer l’homme », mais au contraire de le « lâcher », pas de le figer dans un état, mais de l’appeler à subvertir cet état par la lutte émancipatrice.

La situation imposée à une partie de nos ancêtres, voire même recherchée par certains d’entre eux, pour échapper aux affres de la plantation, n’a pas suffi à faire d’eux ou d’elles des « nègres à blancs » par nature, des aliénés par essence. Le même mythe guette d’ailleurs la vision exagérant à l’extrême l’héroïsation du marron (qui certes mérite notre admiration respectueuse) et le dénigrement systématique de qui n’avait pas eu cette audace ou cette chance.

Chaque destin individuel mérite d’être examiné dans sa complexité avec un apriori de bienveillance humaine, pour toutes les victimes d’oppression.
Après tout
, ni Christophe, ni Toussaint, ni Dessalines n’étaient des Marrons. Pas plus que Romain dont on sait si peu, et que l’on présente comme LE héros du 22 mai, sans trop chercher à en savoir beaucoup plus que ce que nous disent les pionniers méritants de cette historiographie.

J’entends d’ici des sarcastiques : tout ça parce que Nilor a traité l’autre de nègres de maison ! Non. La querelle en elle-même nous passionne peu, peut-être à tort. En revanche, il nous semble périlleux de laisser perdurer sans réagir des réflexes mentaux négatifs qui se glissent insidieusement dans certaines habitudes linguistiques.