​La dernière digue contre le Front National vient de céder dans les outre-mer

— Par Patrick Karam (*) —

Le Front National qui jusqu’ici peinait à s’installer sur nos territoires ultramarins réalise des scores inédits.

Dans les outre-mer, le premier tour de la présidentielle est un avertissement pour les partis de gouvernement, singulièrement le Parti socialiste et les Républicains, qui subissent une défaite électorale cuisante qui frôle la débâcle malgré le soutien de leurs relais locaux.

Un phénomène nouveau vient bouleverser la donne des rapports de force habituels et introduire de nouvelles idéologies dans le jeu politique local, dont celle véhiculée par le Front National qui faisait jusque-là l’objet d’un ostracisme et d’un rejet par les ultramarins en raison de son incompatibilité avec les valeurs portées par nos territoires éloignés.

Car ce scrutin montre une poussée sans précédent du Front National mais aussi du Front de Gauche. Les candidats de ces partis populistes ont multiplié leurs gains en outre-mer et le Front National, lui-même, qui jusque-là peinait à s’installer sur nos territoires ultramarins réalise des scores inédits qui confortent et amplifient des tendances déjà perceptibles lors des dernières européennes.

Une poussée sans précédent du FN

On est loin de l’époque où Jean-Marie Le Pen ne pouvait fouler le sol des Antilles et où les scores réalisés par son parti en outre-mer étaient marginaux. Désormais, les outre-mer ne sont plus des digues infranchissables pour le FN et les 5 départements et les 6 collectivités présentent des résultats moins contrastés qu’à l’habitude.

Marine le Pen prend la deuxième place dans quasiment tous les territoires ultramarins à trois exceptions près en frôlant de peu dans certains territoires la première place: que ce soit en Guyane où elle vire à quelques dixièmes du premier Mélenchon, en Nouvelle-Calédonie où elle multiplie son score par 3 passant de 11,66% en 2012 à 29,98% et talonne Fillon, en Polynésie où elle est à 33% à 2 points de Fillon, à La Réunion, où avec 23,46%, elle est à un point du premier Mélenchon, à Saint-Martin qui subit une immigration forte et où elle fait un bond de 11 points avec 23,77%, à Saint-Barthélémy (territoire riche), à Saint-Pierre-et-Miquelon et même à Mayotte où elle est distancée de 5 points par Fillon qui est en tête mais réalise une véritable percée en multipliant par dix son score de 2012 (2,77%).

Elle est certes 4ème en Guadeloupe et en Martinique mais elle reste devant le candidat de la gauche gouvernementale et elle réalise dans ces deux régions une percée inédite avec des progressions de 8 et de 6 points et également 4ème à Wallis-et-Futuna avant Mélenchon.

On est loin de l’époque où Jean-Marie Le Pen ne pouvait fouler le sol des Antilles et où les scores réalisés par son parti en outre-mer étaient marginaux.

Outre la conjoncture nationale qui a eu un impact sur le vote, ces chiffres ont une explication spécifique car tout au long de la campagne présidentielle la candidate du Front National a déployé une stratégie et une attention particulière en direction des outre-mer dont elle tire aujourd’hui les bénéfices. Et d’ailleurs, elle était la seule candidate à avoir systématiquement et méthodiquement parlé des outre-mer dans ses discours et ses interventions médiatiques et donné des gages d’intérêt et de respect, au contraire des autres candidats qui n’en parlaient que par exception.

A également joué le sentiment des ultramarins d’être les grands oubliés de la République, à la fois sur les questions économiques et sociales mais aussi et surtout sur les questions de sécurité et d’immigration dont souffrent de nombreux territoires ultramarins qui n’en peuvent plus des mêmes discours sans lendemain des candidats classiques.

Ce discrédit des partis de gouvernement a entrainé une division de leur score malgré le soutien des caciques locaux. Benoit Hamon figure souvent à la traine des 5 « grands candidats ». Le discrédit frappe également de plein fouet le candidat Fillon très loin de réaliser les scores de Nicolas Sarkozy en 2007 et en 2012.

Saint-Pierre-et-Miquelon

Ainsi à Saint-Pierre-et-Miquelon, François Fillon, avec moins de 10% des voix, est en recul de plus de 9 points par rapport à Nicolas Sarkozy en 2012 et 15 points par rapport à 2007 alors même que son soutien S. Artano vient de gagner les territoriales.

Sur ce territoire, avec une participation de 54,93% (-0,52 points par rapport à 2012) pour environ 4 900 inscrit, les deux candidats populistes recueillent à eux deux plus d’une voix sur deux, avec une progression inédite de Mélenchon qui arrive en tête avec 35,45% et gagne 20 points par rapport à 2012) et une courte progression de MLP qui arrive en 2ème position avec 18% (elle progresse de 2,35 points). La gauche traditionnelle est en fort recul: Hamon recueille 8,24% (Hollande recueillait 33,75% en 2012) contre 17,97 % pour Macron qui se place en 3ème position.

Saint-Martin

A Saint-Martin, où la participation est faible à 25 % (18000 inscrits) en recul de près de 6 points par rapport à 2012, si François Fillon préempte la première place avec 27,19% des voix, il est talonné par la candidate du FN et il se situe en très net recul de 6,8 points par rapport à Nicolas Sarkozy en 2012 alors même que Daniel Gibbs qui le soutient vient de s’imposer à la tête de ce petit territoire. Emmanuel Macron arrive 3ème avec 22,08% tandis que Benoît Hamon ne recueille que 3,48% (contre 35% pour François Hollande en 2012).

Saint-Barthélémy

A Saint-Barthélémy, qui connait également une progression des votes populistes, Marine le Pen double son score de 2012 et pointe à la 2ème place avec 22,5% derrière Fillon qui avec 40% des voix perd 20 points par rapport à Nicolas Sarkozy en 2012.Viennent ensuite Macron 16,2% (qui fait 6 points de plus que Hollande) et Mélenchon 10,5%. (Hamon étant relégué loin derrière avec ses 2,5%).

Martinique

En Martinique, Mélenchon avec 27,36% progresse de plus de 20 points par rapport à 2012 et arrive en tête devant Macron (25,53%). Fillon avec 16,85% arrive certes 3ème mais perd près de 10 points par rapport à Nicolas Sarkozy en 2012. Marine progresse de 6 points et, avec près de 11%, (10,94%) dépasse Hamon (9,75%) qui était pourtant soutenu par le député Letchimy.

Guadeloupe

En Guadeloupe, où la participation est en forte baisse (40,1 % contre 52,55 % en 2012) avec des bulletins blancs et nuls dépassant 11%, les deux partis populistes font une percée importante: Marine le Pen avec 13,51% multiplie par deux son nombre de suffrages et sort en 4ème position en gagnant plus de 8 points. Mélenchon avec 24,12% progresse de 18,74% et se place en deuxième position derrière Macron, soutenu par Ary Chalus, le président de la région, qui obtient 30,22%. La troisième place de Fillon avec 14,52% signe une perte de 8,88% par rapport à Nicolas Sarkozy en 2012. Hamon est en 5ème position avec moins de 10% alors qu’il était soutenu par les caciques du Parti socialiste local.

Guyane

En Guyane, qui sort d’une crise dure et qui subit une forte pression migratoire et un record de délinquance, François Fillon est 4ème avec 14,66%, en baisse de près de 13 points par rapport à Nicolas Sarkozy en 2012. Les deux candidats populistes totalisent à eux seuls près de la moitié des votes. Mélenchon avec 24,72% sort 1er, suivi de près par Le Pen avec 24,29% ils gagnent respectivement près de 20 et 15 points. Suivent ensuite Macron avec 18,75% et Hamon, le candidat de Taubira qui n’atteind pas les 6%.

La Réunion

A La Réunion, qui offre à Mélenchon 24,53% et à le Pen 23,46% qui gagne 5,5 points par rapport à 2012, les deux partis populistes raflent la mise en frôlant les 50%. Fillon qui bénéficiait du soutien des présidents de la région et du département, est relégué à 17,60% près de 10 points de moins que

Nicolas Sarkozy en 2012 derrière Macron à 18,91%. Hamon échouant à 7,67%…

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(*) Docteur en science politique, ancien délégué interministériel à l’Outre-mer et président d’honneur du CREFOM (Conseil représentatif des Français d’Outre-mer)