Mésiézédanm bien bonswè !

— Par Roger EBION, lors de la soirée d’ouverture des Rencontres pour le lendemain —monchoachi-2

« Le poète est celui qui par la parole, les mots, déploie le monde dans sa présence et nous le rend proche. S’ouvrir au monde, ce n’est pas comme on veut le faire croire, s’ouvrir aux quatre coins de la planète : le monde est là où nous sommes, et s’ouvrir au monde, c’est s’ouvrir à sa présence ici et maintenant. Je ne vois pas d’autre façon que celle-là d’aller sur le chemin de la poésie. »

Mi sa Monchoachi di adan « Lakouzémi retour à la parole sauvage, page 11, novembre 2008 ». É sé pou sa, mwen la, pou di poutji poézi Monchoachi, sé sa i di nou a. Pou mwen poézi sé sa.

Mwen ba zot pawol Monchoachi pou zot konprann sé poézi ki fè mwen isi-a oswè-a … Anlè chimen poézi Monchoachi, i ni Lémistè ki paret lanné 2012. Daprè mwen, pa ni anpil matinitjé ki sav i paret, ek sel an ti lech moun li déotwa mòso adan. Moun andéwò pran wotè travay Monchaochi.

Misié Yves Bergeret adan « la revue Europe, liméro 1010-1011, juin/juillet 2013 » ka di nou « Monchoachi pose pour le lecteur attentif quelques pierres claires et stables, repères aussi discrets que puissants, pour que le lecteur comprenne bien l’enjeu du livre, tel le très clair poème VIII qu’il intitule Le dérobement. »

Kouté

Nous parlons de choses toutes proches

Si difficiles maintenant à imaginer

Tant le temps fou

Les ont profondément enfouies.

Nous parlons de choses tant proches

Et tant oubliées

Dont la seule résurrection

Peut nous délivrer d’un présent à genoux

« Et nul ne sait comment continuer ».

Nous parlons de choses proches

Que seul pourtant un long détour

Peut restituer

Nous parlons d’un présent déserté.

Nous parlons de choses merveilleusement proches

Qui nous demeurent et peut-être à jamais

Étonnamment dérobées

Quand bien même au travers d’elles

Poudroie la même singulière clarté.

En effet, dans ce poème Monchoachi, précise sa conception de la poésie, conception que je partage et fais mienne. Dans ses poèmes, il nous déploie le monde et nous le rend proche, le monde où nous sommes, présent ici et maintenant. Lorsque dans « Bèl-bèl zobèl, supplément grif an tè n° 27 », il nous offre des poèmes intitulés Titim, Bwa sek, Doumbédoum, Zwèl, Pawol dépalé c’est notre monde qu’il nous rend proche. Il parle de nous, de choses proches, enfouies, d’un présent déserté, de choses proches dérobées, à imaginer, à restituer. Gardons-nous de lire les Titim du recueil Bèl-bèl zobèl, ou tout autre poème, comme une nostalgique évocation du passé. Bien évidemment ces choses ne sont plus de notre vie sociale actuelle. Tous ces textes révèlent une manière de vivre le réel, de le penser. Ces titim sont une manière d’accéder à la connaissance, une manière d’appréhender le monde qui nous entoure non par la raison et l’observation scientifique, mais par l’imaginaire et l’analogie. Ces titim sont aussi une forme de relation sociale, en effet par le titim, l’accès à la connaissance concerne le groupe où il est énoncé et où on y répond, dans une interaction. La connaissance intervient dans cette relation, dans cette circulation entre écoute et parole. Présé kouté, pa présé palé. Ces éléments constitutifs de notre culture, de notre passé, méritent d’être restitués sous des formes à imaginer.

Ce dont il s’agit, c’est ce qui constitue notre « sacré », c’est-à-dire cet immatériel qui nous appartient collectivement. Ce sacré qui est le contraire du profane qui renvoie à notre quotidien, à nos pratiques ordinaires. Ce sacré que sont les contes, les croyances, les manières de dire, tout ce qui fait la singularité de notre peuple avec une dimension mystique.

À propos de conte, Monchoachi y fait souvent référence directement ou indirectement dans ces écrits poétiques. En effet le conte dit plus qu’un récit, le conteur peut délaisser le récit, pour des digressions, pour délivrer une parole. Une parole qui prend la forme de ce que Glissant dans « Discours Antillais, Éditions du seuil, 1981 », décrit comme « une mise en scène de la pratique verbale par un individu, acteur en scène pour toute la communauté qui se trouve à la fois spectatrice et participante ». Ce qui se passe dans la parole du conteur comme dans la poésie de Monchoachi est décrit ainsi par P. Chamoiseau dans « l’esclave vieil homme et le molosse, 1997, page 43 », « Il débrouille l’obscure parole du conte, connaît haine, désir et peur, éprouve mille histoires venues d’Afrique, mille narrations ramenées des oubliés amérindiens, et du Maitre lui-même, et du molosse bien sûr. La parole du papa-conteur l’emporte vers les confins étranges ».

Monchoachi par la parole, les mots, déploie le monde et nous rend proche. Ce monde que, par exemple, expriment les déparleurs, sa ka ka dépalé. An moun ka dépalé sé an moun ki ka ba nou an pawol alanvè. Sé an pawol ki dékatjé, dépotjolé. Pawol nou pa ka konprann menm si pawol-la bel. Kontel adan an kont, kontè a ka ban nou an pawol, nou pa ka two konprann men nou ka touvé bel. Pawol moun ka dépalé oben ka palé kon défen Sifren, sé pawol ki ka palé di nou, ka di bagay anlè nou an an manniè ki pa manniè tout moun ek touléjou. Men dèyè pawol-tala, i ni pawol pou tann ek konprann.

Cette parole prend souvent une dimension mystique. Dans « Nostrom, Editions Caribéennes, 1982 », comme dans Lémistè, Monchoachi nous révèle cette part mystique de notre sacré. Croyant ou non croyant, tout martiniquais porte dans son imaginaire, consciemment ou inconsciemment, ce monde de rituels, de pratiques mystiques que porte notre sacré. Chacun de nous a en lui, chouval-twa-pat, zonbi, tjenbwa, pwézon, dorlis, lantikri, sous des aspects divers, comme élément culturel, comme croyance plus ou moins avouée … Zes kabouya ; Zes Mabwiya, Twa fwa bel kont, Épi chanté tala, titres des quatre parties de Nostrom, nous parlent.

À propos de Lémistè, Bergeret écrit dans revue Europe, citée plus avant,

« Nous voici parmi cet archipel dont le sacré est syncrétique, mêlant cent pratiques animistes africaines à des traces chrétiennes, voire précolombiennes et hindoues »

« Partout est présente dans ce livre la violence. Certes la violence sacrificielle. Mais cette violence ritualisée et contrôlée s’exerce et se prononce en réponse à la déportation et l’exploitation esclavagiste … »

Notre poète nous déploie le monde par la parole et les mots. Écoutons ce que Georges-Henri Léotin en dit dans Antilla en juin 2013, à propos de Lémistè.

« Quelle langue parle Lémistè ?

Lémistè, ce sont des pensées, mais c’est aussi une langue. Quelle langue ? Celle que forge Monchoachi, par moment proche du grand style de Saint-John-Perse, et ressemblant aussi, souvent, au français créolisé des formules cabalistiques et des rites de protection de la magie antillaise. Syntaxe et vocabulaire français sont travaillés, torturés, pour exprimer lémistè. Même l’orthographe (française et créole) est soumise à ce travail de remodelage :

«Là ou lumin bougies, jété dleau, aux quatre points » – « Bu boisson, migan d’amansi graîne macristi « – « Et pour entendre ils ont entendu, Et ils ont vu ce qu’ils ont vu » – « Emmi en voilà elle boit le tafia on lui donne boire » – « La tremblade la prend » – « Elle reste là, Elle saute, Met crier à terre, Tombe létat, Roule dans le sang ».

Emile Yoyo est sans doute le premier, dans son étude « Saint-John-Perse et le Conteur » (Bordas, 1971) », à avoir signalé une présence du créole inaperçue de la critique européenne, chez le poète d’origine guadeloupéenne. Il y a aussi de cela dans Lémistè : le lecteur qui connait le créole lira sans doute Lémistè différemment du non-créolophone : sa ki sav sav, sa ki pa sav pa sav. Mais tous deux trouveront sans doute plaisir dans le voyage du côté des mistè. Il n’est pas indispensable de connaître pour apprécier ; le mystère, l’infini des interprétations c’est même un des propres de la littérature, et de la poésie tout particulièrement. »

Remercions Georges-Henri de cette analyse. Je dirai pour conclure que lire un texte de Monchoachi, c’est me retrouver un peu comme ceux qui disent de Césaire « mwen pa konprann tout, mé fout pawol-la té bel ». Lorsque je lis un texte de Monchoachi je me saoule de mots, de paroles, avant de penser au sens, au contenu qui peu à peu se révèle.

Annou soulé kònou épi an mòso Nostrom

« Épi chanté tala nou ka viré pran-an, chanté tala nou ka viré pran la …

Épi mi nonm lan mi, ka viré palé kon gajé kontèl bondyé ki boulé … WOO ! Sé anni palé pou n’palé-O, anni palé pou n’palé pou tout bagay parèt douvan nou. »

Roger EBION, soirée d’ouverture des Rencontres pour le lendemain, Médiathèque Alfred Melon-Dégras (Saint-Esprit), 19 janvier 2016.