Même pas peur !

— Par Roland Sabra —

not_afraid« Not Afraid » disaient les neufs panneaux lumineux qui deux heures durant ont tourné autour de la République. Même pas peur en quelque sorte comme le disent les enfants pour défier leur adversaire. Pas sûr que cela renvoie à une réalité vraie. Sur la place flotte un parfum de dénégation, cette révélation d’une vérité gisant au creux de sa négation. Des milliers, nous étions des milliers sur la place de la République, autour de la République, graves, silencieux, ne reprenant pas, ou faiblement les slogans de la poignée de jeunes agrippés aux jupes de Marianne, plus exactement sur le socle d’où elle se dresse et qui mettait en valeur une phrase : « Nous sommes CHARLIE ». Cette phrase on la retrouvait déclinée à la première personne du singulier en affiche, lettres blanches et grises sur fond noir, sur la poitrine de quelques centaines de personnes. « Je suis CHARLIE ». Sentiment de solitude dans la foule. On se parle peu. On est venu seul, en couple, à trois ou quatre, rarement plus nombreux. Un groupe plus étoffé, parle un peu plus fort en italien de la situation…. en Italie. La douleur nous étreint. Reviennent les peines des temps anciens, celles qui nous ont submergés et qui portent les souvenirs de Pierre Overney, Pierre Goldman et de quelques autres. Entre émotion et raison, nous chavirons. Ce matin même sur le seuil de la librairie « L’œil Écoute », le dernier livre de Houellebec en main, interrogé par deux journalistes de Reuters, je disais qu »il n’y avait pas d’islamisation de l’Europe, que cela était un fantasme, et que ce à quoi nous assistions c’était une occidentalisation de l’Islam. Le petit bijou que représente « Timbuktu » de Sissako le dit à sa manière. Et je précisais que cette occidentalisation provoquait inévitablement des mouvements de réaction chez les laissés pour compte de cette mondialisation. Ces mouvements étaient, ethnologiquement et politiquement réactionnaires. Invité à préciser ce que je pensais de l’auteur de « Soumission »  j’ai dit qu’il était de mon point de vue un écrivain de la décadence, mais que toute décadence cache un possible renouveau, une renaissance en germe, un monde en gésine.
Le nez sur l’évènement nous ne voyons plus clair. Aussi douloureux soient les assassinats commis ce mercredi je ne changerai pas de discours. Ma colère se dirige vers les amalgames, vers les islamophobes, vers la droite européenne nazillonne et la droite islamiste fascisante qui se font la courte échelle, l’une s’appuyant sur l’autre pour arriver au sommet du pouvoir. Elle va aussi vers ce gouvernement, qui se disant de gauche désarme le peuple et prépare bon gré mal gré le triste retour des heures sombres de notre histoire. Oui la politique du pire c’est bien de choisir la « fausse » gauche contre la « vraie » droite. Si un tel choix nous était proposé en 2017, je ne défilerais pas dans les rues de Fort-de-France, comme je l’avais naïvement fait en 2002, pour faire barrage à l’extrême-droite, disions-nous !
Aujourd’hui la contradiction principale elle celle qui oppose les intégristes fascisants qu’ils soient religieux ou simplement politiques à ceux que l’on nomme faute de mieux les progressistes. L’aspect principal de cette contradiction est la montée en puissance des réactionnaires de tout poil comme en témoigne la droitisation de la société, la montée de l’intolérance, le haut niveau de la xénophobie suintante en France. La contradiction secondaire concernent les « progressistes » partagés entre croyants « modérés », agnostiques mollassons et athées combatifs. C’est à ces derniers que revient la charge historique d’unifier leur camp s’ils ne veulent pas voir disparaitre ce vivre ensemble si fragilisé par ce qui n’est pas une crise mais une révolution.

Paris, le 07/0102015

R.S.

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« Liberté des crayons » un des rares slogans de la manifestation