L’enfant de demain

enfant_de_demain-2— Par Michèle Bigot —

D’après Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain
De Serge Amisi,
Avec Mathieu Genet et Serge Amisi,
Mise en scène : Arnaud Churin,
Chapelle du Verbe incarné, du 5 au 27/07/2014

Cette proposition théâtrale naît de la rencontre du metteur en scène Arnaud Churin avec un texte Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain de Serge Amisi . il raconte lui-même comment, à la recherche de textes pouvant conduire des ateliers pour les apprentis acteurs des écoles de la Comédie de Saint-Étienne , il rencontre, au milieu d’autres témoignages sur la vie des enfants soldats d’Afrique centrale, le livre de Serge Amisi. Émerveillé par la langue d’Amisi, qui écrit en Lingala puis traduit en français, pliant, à l’instar d’Aimé Césaire « la langue française à son vouloir-dire », il s’empare du texte pour en faire l’objet et le support d’un travail collectif d’écriture théâtrale.
Car ce texte est un récit, mené selon le point de vue de Serge enfant. Et c’est cette vision enfantine du monde où la fraîcheur rencontre l’horreur qui va lentement se banaliser au quotidien. Enfance ordinaire en ses débuts, une mère aimante, un père absent, des parents divorcés, une décision de justice sépare l’enfant de sa mère, qui dès lors est jeté dans un monde sans pitié. La marâtre fait le nécessaire pour se débarrasser de l’enfant et le voici jeté sur les routes. Recueilli par son oncle- la seule figure humaine pleine de dignité- le voilà bientôt enlevé par des soldats rwandais, alliés du révolutionnaire Kabila, en route pour renverser Mobutu. Dès lors l’enfant va être le jouet des soldats qui le nomment « chef des Kadogos » (enfants soldats). L’oncle paternel vient au centre de formation pour récupérer son neveu, et c’est alors que les soldats vont obliger l’enfant à tuer son oncle.
L’enfant glisse dans l’horreur sans véritablement comprendre ce qui se passe. Il vit les événements tragiques sur un mode mécanique. La machine à tuer qu’il est en train de devenir ne réussit pas cependant à éliminer l’enfance qui reste en lui. Sa seule préoccupation est de s’acheter des jouets avec sa maigre solde. A la fois bourreau malgré lui et victime de l’arbitraire le plus pervers et des sévices les plus dégradants, l’enfant cherche à fuir.
Le plus étonnant est que ce récit pathétique n’est pas exempt de drôlerie, de touches comiques et d’une profonde poésie. Car cet enfant joueur aime à amuser les autres « animant » des chansons pour les soldats adultes et devenant la mascotte du régiment.
Comment porter à la scène un tel récit ?
Serge Amisi lui-même a fait partie de l’équipe, pour réaliser une véritable adaptation du texte narratif à la scène. Serge joue son propre personnage, mais il y a dédoublement dans sa représentation. Sur scène ce sont deux acteurs, Serge Amisi et Mathieu Genet qui se partagent la représentation du héros et créent ainsi une dramaturgie, un dialogue, des effets de rythme, des échanges, et toute une chorégraphie à deux qui rend compte du dédoublement de personnalité de l’enfant. Le héros et son double se répondent, se relaient. Présence de chants, d’autres voix, alternance des langues proférées, swahili, lingala, français. Toute dynamique dramaturgique produite par le travail en équipe. Rien n’est écrit à l’avance, le montage du texte se réalise dans un faire sur le plateau.
Décor minimal. Un rideau de franges en fond de plateau, une marionnette à masque présentant le personnage de l’oncle, tout le reste de la dynamique scénique est confié au geste, au mouvement, à la danse et à la circulation de langues, musiques, paroles. Ainsi ce passage où l’enfant échappé de l’armée et perdu erre au fond de la forêt pendant des nuits et des jours sans manger ni rencontrer âme qui vive est restitué par l’acteur dialoguant avec son arme. L’objet prend alors une dimension surnaturelle, dont la figuration hésite entre la branche et le mitraillette. Entre terreur enfantine, puissance magique et poésie première, la force de suggestion naît du jeu de l’acteur, pliant son corps au désarroi de l’enfant.
Avec peu de moyens, ce travail collectif tire parti du moindre accessoire pour restituer toute la force de ce texte étonnant, qui plaide pour la cause de l’enfance martyrisée par la folie des adultes.

Avignon, le 07 juillet 2014

Michèle Bigot

Lire la critique de Selim Lander