Aix-en-Provence, une Flûte très enchantée

la_flute_enchantee— Par Hélène Jarry —

Le festival d’art lyrique offre des moments de belle intensité. Et laisse entendre les voix des intermittents.
Au Festival d’Aix-en-Provence, la question de l’intermittence s’affiche en rouge. Instrumentistes, techniciens, chanteurs, chefs d’orchestre, arborent sur leur tenue de travail et jusque dans certains costumes de scène le badge “Culture en danger”. Si le choix a été fait d’assurer les représentations, à l’exception de celle de la première du Turc en Italie, le jour de la grève nationale, les prises de parole rappellent l’attaque entamée par le gouvernement contre les “privilégiés du système”.
L’usage de ce terme, qui vise à donner mauvaise conscience aux salariés par rapport aux chômeurs ou aux travailleurs du spectacle par rapport à ceux du bâtiment, rejoint le cercle hautement vicieux des concepts mettant à l’abri des regards les profiteurs du capitalisme.
Si conscience d’un privilège on peut avoir, c’est de celui qu’il existe, qu’il continue d’exister, malgré toutes les difficultés de vie qu’ils rencontrent, des femmes et des hommes capables de déployer un tel talent pour faire vivre l’art et la culture. Les deux opéras qui ont ouvert le Festival, dans des registres et des conditions de production très différents, ont reçu un accueil triomphal à juste titre. La première représentation du Turc en Italie de Rossini a, faute d’un temps clément, été déplacée de la Cour de l’Archevêché à la scène du Grand Théâtre de Provence.
Il en est résulté une formule semi scénique, mise au point en quelques heures grâce à la coordination de toutes les équipes, artistiques et techniques. Elle ne pouvait rendre compte que partiellement du travail du metteur en scène, Christopher Alden. Mais le jeu des acteurs/chanteurs, leurs performances vocales et peut-être plus encore la présence sur scène de l’Orchestre des Musiciens du Louvre Grenoble, dirigé par un Marc Minkowski éblouissant, ont galvanisé le public. Dès l’ouverture, le brio acquis par les instrumentistes grâce au travail en relation avec la dramaturgie effectué pendant les semaines de répétition était audible.
L’œuvre, pourtant longue, ne pouvait que poursuivre une trajectoire irrésistible jusqu’à son terme. Olga Peretyatko, dans le rôle de la pulpeuse Fiorilla, est une chanteuse passée par l’Académie Européenne de musique attachée au Festival et témoigne de son excellence. Le regard humoristique porté sur les personnages masculins, subtilement différenciés dans le traitement du jeu scénique, a été magnifiquement servi, en particulier par Alessandro Corbelli dans le rôle du vieil époux.
C’est encore au Grand Théâtre de Provence que la Flûte Enchantée a élu domicile, mais la chose était prévue de longue date. Les possibilités d’une machinerie moderne – et la présence d’équipes techniques performantes – ont donné des ailes au metteur en scène, Simon MacBurney qui a, dans sa prise de parole solidaire du soir de la première, emprunté au livret cette citation : “Sortir de l’ignorance et des idées reçues, de la dissension et de l’individualisme, amener à la réflexion et au respect”. Il a conçu une Flûte qui, c’est rarissime, surmonte avec vivacité et pertinence les problèmes narratifs. Cette histoire, que l’on s’empêtre à tirer vers le conte tout en voulant en restituer la profondeur philosophique, devient lumineuse, on ne sait trop comment…./

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