Léon, Léon, Nègres des Amériques,

leon_leon— Par Michèle Bigot —
Création et mise en scène Valérie Goma,
Textes de Léon Gontran Damas et Léon Walter Tillage
Avec Roland Zéliam et Ggiz à la contrebasse,
Festival d’Avignon, Chapelle du Verbe Incarné, du 5 au 27 juillet 2014

Une génération les sépare ; un vécu de ségrégation les rassemble. Ke premier Léon, , Léon Gontran Damas écrit à Paris Pigments, ouvrant en littérature la voie de la négritude. Il est né à Cayenne en 1912. le premier se nomme aussi Léon, Léon Walter Tillage ; trente ans après (il naît en 1936 en Caroline du Nord) il nous raconte la vie d’une famille de métayers noirs, victimes de l’exploitation éhontée et de la persécution du Ku-Klux Klan. Un destin similaire, des voix différentes, un poète un narrateur, deux modes qui s’entrecroisent, cette contexture étant enrichie par le rap de Ggiz soutenu par la contrebasse. Voyageur inlassable pour le premier, américain profondément enraciné pour l’autre, mais une même dénonciation de la haine raciste et colonialiste. Les deux paroles poétiques et narratoriale se confortent mutuellement, la poésie scandant le récit de Léon Walter Tillage qui raconte la vie quotidienne de ses parents, pétrie de toute l’humilité des croyants, persuadés que Dieu vengera les humiliations et les crimes dont ils sont victimes au quotidien⋅ Mais le récit est mené pour sa majeure partie selon le point de vue de Léon enfant, vivant au quotidien les raffinements pervers de la persécution des paysans blancs. La naïveté de son regard ingénu souligne leur méchanceté ordinaire et leur férocité de cette communauté de paysans blancs surs de leur droits, enfants y compris.
Intégration à la française ou ségrégation américaine, deux modèles sont renvoyés dos à dos dans une même détestation de l’autre, dans une outrecuidance et une croyance solide à sa propre légitimité : deux systèmes d’oppression rivalisant de perversité.
Ce tressage des voix est souligné par le montage vidéo de Latigone Goma et par une partition musicale alliant chant musique. Entre récitation et prosodie, tous les modes de la diction rythmés sont mis au service de ce texte dense .
Deux comédiens exceptionnels incarnent ces destins noirs, chacun dans un registre singulier : Roland Zéliam, guyanais sur le mode mineur, douceur et discrétion de sa parole, disant l’horreur sur le ton de l’ingénuité, et Ggiz, contrebassiste et rappeur blanc, exprimant la révolte sur le mode frénétique .
Superbe proposition théâtrale d’un art complet, véritable chorégraphie, occupant la totalité de l’espace dramatique, tant par la gestuelle que par la voix et la lumière .

Michèle Bigot