L’ Action cœur des villes : une fausse bonne idée ?

— Par Claude Gelbras —
Votée en octobre 2018, mise en œuvre par le ministère de la Cohésion et des Relations avec les collectivités des territoires pour faciliter la revitalisation des centres-villes, la loi crée un nouveau contrat intégrateur unique, l’opération de revitalisation de territoire (ORT). Portée par la commune centre, l’intercommunalité dont elle est membre et éventuellement d’autres communes de l’EPCI, l’ORT repose sur un projet global, qui permet d’intervenir de manière concertée et transversale sur l’habitat, l’urbanisme, le commerce, l’économie, les politiques sociales, etc. L’ORT s’accompagne de mesures favorisant la rénovation de l’habitat, l’instauration d’un droit de préemption urbain renforcé, ainsi que des dispositions favorisant l’implantation de grandes surfaces commerciales en centre-ville et la suspension des autorisations d’implantation en périphérie.
Il faut se rendre à l’évidence, le volontarisme est nécessaire, mais ne suffira pas : on voit même, en cette période délicate, des appels à l’État de la part d’élus à la recherche de budgets bien sûr, mais également d’arbitrages locaux. Jean-Pierre Maurice
Habitat, commerce, création d’emplois, transports et mobilité, offre éducative, culturelle et sportive, gestion du patrimoine, développement des outils numériques… : le plan Action coeur de ville vise à redonner de l’attractivité et du dynamisme aux centres des villes moyennes. 5 milliards d’euros sont mobilisés pour ce programme sur 5 ans. Réparties dans toutes les régions, en métropole et Outre-mer, 222 villes moyennes ont été retenues pour préparer leurs projets de développement. Près du quart de la population française vit dans une ville moyenne.

Les mesures d’accompagnement de la loi

Avec cette loi, les pouvoirs publics marquent la volonté de s’attaquer à la paupérisation et la dégradation des centresvilles qu’on observe sur tout le territoire de la République. Les dispositifs antérieurs dont le FISAC ont montré leurs limites, y compris en Martinique, où il a été très peu utilisé. On peut bien entendu s’interroger sur les raisons de ce délabrement, qui n’a fait que s’amplifier au cours des années. Les économistes, les urbanistes, les démographes expliquent ce phénomène d’appauvrissement des villes par l’exode des populations qui s’installent dans les zones périphériques des villes, recherchant un cadre de vie majoritairement fondé sur l’habitat individuel — afin de donner corps au rêve français d’avoir sa maison, son jardin et de fuir la pollution, les embouteillages et les embarras des centres-villes. La conséquence de ce mouvement de délocalisation est la multiplication des centres commerciaux et des nombreuses autorisations d’implantation données par les autorités municipales, afin de faire face aux nouveaux besoins de consommation. Cette idée trop souvent répandue que ce sont les Leclerc, les Casino et autre Carrefour qui sont la cause de la désertification des centres-villes est fausse, ce sont les transferts de population qui sont bien à l’origine de ces mutations. Le commerce de proximité change ainsi de frontière ; ce n’est plus la boulangerie ou l’épicerie au bas de sa rue qui marquent la proximité mais l’hypermarché situé à faible distance de ces nouvelles agglomérations. À quoi s’ajoute un troisième phénomène qui rompt radicalement, fondamentalement avec cet ordre séculaire : le commerce électronique, véritable révolution dans les habitudes de consommation, qui permet de commander de chez soi 24 heures sur 24 n’importe quel produit dont on a besoin ; on est dans un cadre d’hyper-proximité !
Cette idée trop souvent répandue que ce sont les Leclerc, les Casino et autre Carrefour qui sont la cause de la désertification des centres-villes est fausse, ce sont les transferts de population qui sont bien à l’origine de ces mutations.

Une société comme Amazone contrôle 20 % du commerce électronique (50 % aux États-Unis) emploie 10 000 personnes réparties sur cinq dépôts géants et deux centres de tri sur le territoire national.

Les habitudes sont bouleversées, le pouvoir d’achat des centresvilles a fondu comme neige au soleil par disparition des consommateurs : on était tenté d’incriminer les hypers et supers qu’on rendait à tort responsables de la mort des centres villes. Bien au contraire une société comme Amazone qui propose 250 millions de références contre 200 000 pour un hyper peut-être une chance pour le petit commerce car sa plate-forme est largement ouverte à un nombre illimité de fournisseurs et d’activités. Les grandes surfaces peuvent percevoir AMAZONE – dans l’attente de l’arrivée tel un tsunami du chinois ALIBABA (1re plateforme B2B au monde…) comme un réel concurrent; on observe déjà en métropole une relative stagnation des ventes dans les centres commerciaux… Bon nombre de commerçants ont ainsi disparu apposant sur les devantures de leurs façades des affiches « à louer », « à vendre ». Triste spectacle pour le promeneur qui s’il pose son regard sur l’immeuble constatera que les étages sont aussi vides et les volets fermés… Le taux de vacance (boutique fermée) serait de 10 % à Fort-de-France, une ville comme Béziers atteint un record avec un taux de 20 %.

Des moyens insuffisants

Le diagnostic fait par les pouvoirs publics est sans appel et ces derniers entendent y mettre un terme ou ralentir un lent et inexorable processus en lançant l’action coeur de ville. Le but étant d’offrir un cadre de vie attractif afin de maintenir les commerces encore présents et d’attirer de nouvelles activités avec une population prête à reconstituer un nouveau lien social dans un environnement assaini et durable. Les villes retenues en Guadeloupe qui vont bénéficier de ces fonds publics sont Basse Terre, Pointe-à-Pitre et Les Abymes. En Martinique sont concernés Fort-de-France et Le Lamentin.

On peut cependant considérer que les moyens financiers mis en oeuvre sont insuffisants quand on voit le travail de rénovation considérable à effectuer dans la ville basse de Fort-deFrance.

En effet, 5 milliards c’est 22,5 M de programmation sur 5 ans en moyenne par ville soit 4,5 M par année budgétaire, c’est relativement modeste, vu l’état d’abandon des coeurs des cités concernées. La chirurgie réparatrice ou reconstructive est pourtant chère ! il est certain qu’il y aura un fléchage à destination des municipalités qui devront certainement mettre la main à la pâte si on veut atteindre l’objectif ambitieux du gouvernement. L’ANRU programmait des travaux de rénovations urbaines dont chaque opération se comptait par centaines de M. On a changé d’échelle et d’époque… (les récents engagements du NPNRU : Nanterre 74 M, Nantes 533 M, Reims 326 M, SaintFons 180 M….)

2 villes sur 34 communes

Sont ainsi écartés deux tiers de la population martiniquaise de cette grande et belle ambition de réconcilier la ville, ses citoyens et leur insertion. L’action coeur de ville est une mesure phare du Ministère de la Cohésion mais réservée à un nombre limité d’élus… injustice ou aveuglement ? Le plus contestable dans cette approche sélective, après la suppression en Outre-mer des zones franche urbaine (ZFU)* et des zones de revitalisation rurale (ZRR)* est l’absence totale d’attractivité fiscale des centres-villes reconstituée. En effet aucun encouragement n’est proposé sur le plan fiscal et des charges à destination des commerces et des services. Il n’y a rien de prévu en matière d’allègement ou d’exonération pour encourager le maintien ou le retour dans le coeur des villes de populations séduites par la nouvelle esthétique urbaine.

On peut imaginer des baisses d’impôts sur la fiscalité individuelle pour toute personne qui s’installerait dans des centres rénovés. Franchir le pas nécessite un accompagnement financier pour les nouveaux et futurs citadins. Bien entendu proposer ses marchandises dans une zone d’achalandage rénovée, modernisée est un plus pour le commerçant. Mais c’est certainement insuffisant pour stimuler l’habitat et s’assurer du retour du pouvoir d’achat.

Pour garantir son succès, il importe donc que la loi ELAN soit complétée de dispositifs incitatifs de retour vers les centres villes et que des villes comme le Robert, Sainte-Marie, Schoelcher… figurent dans le périmètre de la loi. À défaut on pourrait assister à l’apparition d’espaces inoccupés ou désertés comme il en existe aux USA et en Espagne. Certes c’est mieux que cohabiter avec des dents creuses et des friches urbaines…

On peut cependant considérer que les moyens financiers mis en oeuvre sont insuffisants quand on voit le travail de rénovation considérable à effectuer dans la ville basse de Fort-de-France.

Claude Gelbras