La gestion d’un territoire dans la perspective du développement durable et solidaire : Le cas de la Martinique

 — par Emmanuel JOS —

Introduction : précisions conceptuelles et problématique

Au début de cet exposé, il convient d’apporter quelques précisions sur la signification des termes que nous seront amenés à utiliser.

1 – Définitions :

Gestion du territoire : le terme de gestion renvoie le plus souvent au domaine budgétaire et financier. Le gestionnaire d’un établissement est souvent celui qui s’occupe des finances. Dans un sens plus large, qui sera celui retenu ici, gérer signifie prendre en charge, exercer une responsabilité sur, administrer, utiliser un certain nombre de moyens pour parvenir à une fin. La gestion du territoire signifie alors tirer le meilleur parti du territoire en fonction d’objectifs que l’on s’est assigné.

Dans ce sens gestion du territoire se rapproche d’aménagement du territoire sauf que par aménagement du territoire on aura tendance à entendre : choix des localisations d’équipements, d’investissements, d’activités sur un territoire donné. Ces choix procèdent de décisions politiques autrement dit de ceux qui détiennent le pouvoir. Ceux qui détiennent le pouvoir de décision ou plus largement le pouvoir d’influence, ce sont bien entendu les élus mais pas seulement eux, il y a tous ceux qui exercent une influence effective sur les choix qui sont fait.

Ceci amène à parler de gouvernance. Par gouvernance on entend la synergie de l’ensemble des forces qui orientent une société donnée vers des finalités collectives. Ces forces peuvent être des individus, des groupes, des institutions, des modalités d’action et des valeurs.

La finalité de la gestion, de l’aménagement, ou encore de la gouvernance qui nous intéresse ici parce que c’est elle qui est au cœur non seulement de l’agenda 21, mais aussi de plus en plus des différents documents de planification (schémas, plans, stratégies, projets), est celle du développement durable et solidaire.

Que faut-il entendre par là ?

Les définitions du développement durable sont bien connues. Il convient d’observer simplement qu’elles sont plus ou moins détaillées. Je retiendrai ici la définition suivante, parce qu’elle me semble la plus riche :

« Le développement durable et solidaire est un développement qui concilie croissance économique, respect de l’environnement, équité sociale et diversité culturelle, en assurant la satisfaction des besoins des générations actuelles tout en préservant, voire en améliorant, la possibilité de satisfaire celle des générations futures ».

Quid de la solidarité me direz-vous ?

La solidarité est déjà présente dans la définition qui précède dans la mesure où le respect de l’environnement procède non seulement de la prise de conscience des intérêts économiques et sanitaires des êtres humains mais aussi de la solidarité d’origine et de destin de l’homme avec la nature physique. Elle est présente dans l’exigence d’équité sociale dans la mesure où les bénéfices tirés du travail ne doivent pas profiter seulement à quelques uns mais au plus grand nombre, en particulier aux plus défavorisés. Elle est présente dans l’exigence de préserver la diversité des identités culturelles, solidarités de base indispensables à une possibilité d’ouverture constructive aux autres. Elle est présente évidement enfin dans la prise en compte des générations futures.

Quels sont les moyens d’une bonne gestion, d’un bon aménagement, d’une bonne gouvernance du territoire dans la perspective du développement durable et solidaire ?

Il y a selon moi cinq éléments principaux à prendre en compte : la culture, les choix économiques, le dialogue social, les solidarités internationales et transnationales et les institutions politiques. J’y reviendrai dans un instant.

Pour poursuivre nos définitions, intéressons nous maintenant à la notion de territoire qu’il s’agit de gérer.

Qu’est ce que le territoire ?

Le territoire est « un espace approprié par une communauté » 1ou bien dévolu à un groupe particulier. Le territoire s’inscrit dans une perspective relationnelle et politique. Il s’agit d’un espace physique sur lequel s’exerce un pouvoir politique, espace qui a été délimité par l’homme en raison de critère d’efficacité de gestion ou en raison de la prise en compte des identités politiques ou culturelle.

On utilise souvent par ailleurs le terme de Pays ?

La notion de pays est souvent utilisée comme synonyme d’Etat. Quelquefois il permet de désigner un territoire politiquement distinct mais qui n’a pas accédé à la pleine souveraineté. Plus récemment avec les lois Pasqua (4 février 1995) et Voynet (25 juin 1999) relatives à l’aménagement du territoire le pays est défini comme un territoire de projet caractérisé par une « cohésion géographique, économique, culturelle et sociale, à l’échelle d’un bassin de vie ou d’emploi». Il s’agit de territoires à forte identité résultant de l’histoire et de la culture commune. Ce n’est pas un nouvel échelon administratif. Il associe le plus largement possible les partenaires locaux sur la base d’une charte contractualisée avec l’Etat et les régions.

2 – De quel territoire sera-t-il question ici ?

Il sera question ici plus particulièrement de la Martinique.

Quelles sont les principales caractéristiques du territoire martiniquais dans la perspective du développement durable et solidaire ?

De très bonnes études ont été réalisées notamment dans le cadre de l’Agenda 21 par exemple le « Diagnostic synthétique du territoire martiniquais dans une perspective de développement durable et solidaire » et les travaux qui président à l’élaboration du SMDE. Je me contenterai simplement de souligner quelques points particuliers sans vouloir être exhaustif.

Caractéristiques physiques : insularité et exigüité (1 128 km2 pas plus de 70 km de longueur et 30 km de largeur) à la fois handicaps (peu d’économie d’échelle) et atouts (facilité de gestion).

Caractéristiques biologiques : une biodiversité riche mais menacée par l’action de l’homme (prédation, pollutions diverses) et les phénomènes naturels.

Caractéristiques démographiques : une forte densité (338 habitants au km2) notamment dans le centre exerçant une forte pression sur le territoire (besoin de logement, de transports, de production et de consommation).

Caractéristiques économiques : des résultats contrastés selon les secteurs. Le secteur tertiaire représente 82 % de la richesse produite, les services marchands 48,5 %, la construction 7,7 %, l’industrie 7,2 %, le secteur primaire 3,5 %. Près 43 % de la valeur ajoutée provient de la culture bananière. Entre 2002 et 2003 le taux de croissance de la valeur ajoutée est de 32,4 % pour la construction, de 6,6 % pour le commerce et de 5,4 % pour les services administrés. En revanche il est de 0,0 % pour l’agriculture et seulement de 1,7 % pour l’industrie (source IEDOM, La Martinique, édition 2007, p. 38 et 39). La Martinique importe six fois plus qu’elle n’exporte. Les échanges de biens sont très largement tournés vers la France hexagonale et l’Europe et sont donc fortement grevés par le coût croissant des transports (Cf. Agenda 21, Diagnostic synthétique du territoire martiniquais dans la perspective du développement durable et solidaire, décembre 2006).

Caractéristiques sociales : persistance d’un taux très élevé de chômage (25,2 % au sens du BIT, les femmes représentent 60 % des demandeurs d’emploi, source ibidem p. 51-52), existence de discriminations, de la précarité, de la pauvreté et de l’exclusion en dépit des progrès accomplis.

Caractéristiques culturelles : une volonté d’affirmation identitaire, une diversité culturelle, un processus de créolisation donnant naissance à une culture créole de plus en plus répandue, une grande fécondité intellectuelle et artistique, la persistance de croyances irrationnelles accompagné d’un déficit de culture scientifique et technique, des comportements très répandus d’hyper consommation (entretenus par la publicité) une culture économique d’exploitation (héritée de la colonisation) plus que de développement durable et solidaire même si on observe de véritables avancées dans ce sens.

Caractéristiques politiques : une pluralité d’appartenances partisanes. Un échiquier comprenant la gauche décentralisatrice, la gauche autonomiste, la gauche indépendantiste, la droite assimilationniste, la droite décentralisatrice et la droite autonomiste. Mais tous sont d’accord sur l’objectif du développement durable, même s’ils ne le conçoivent pas sur tous les points de la même façon.

Caractéristiques statutaires : des pouvoirs et des compétences dispersées. Il existe une superposition de structures administratives débouchant sur la multiplication des centres de décision et de pouvoirs.

Caractéristique globale : une société très vulnérable avec une faible capacité de résilience (résistance aux chocs extérieurs).

3 – Quelle approche faut-il privilégier afin de favoriser une bonne gestion du territoire martiniquais dans la perspective du développement durable et solidaire?

Vous connaissez la formule : penser globalement, agir localement. Elle peut être interprétée de diverses façons. Pour ma part je préfère dire : penser localement dans une perspective globale et agir à tous les niveaux.

Penser localement dans une perspective globale. La pensée ne saurait être essentiellement globale, aussi important que soit aujourd’hui le global dans le contexte de la mondialisation et aussi utile que soient les apports des organisations internationales ou non gouvernementales.

Agir à tous les niveaux : local, étatique, européen, international, transnational, en recherchant chaque fois les niveaux le plus pertinent sans négliger la nécessaire coopération entre les différents niveaux.

L’objectif de cet exposé est de faire quelques réflexions et propositions relatives à la gestion du territoire martiniquais dans la perspective du développement durable et solidaire.

Dans une première partie de mon exposé j’indiquerai ce qui constitue selon moi les conditions d’une gestion durable et solidaire du territoire martiniquais et dans une deuxième partie je ferai quelques propositions concrètes pour une meilleure gestion du territoire martiniquais dans la perspective du développement durable et solidaire, propositions que je livrerai, en toute simplicité, à votre appréciation critique.

I Tout d’abord : quelles seraient les conditions d’une gestion durable et solidaire du territoire martiniquais ?

Ces conditions sont, à mon sens, au nombre de six, à savoir :

  • avoir une l’ambition de faire de la Martinique un territoire d’excellence en matière de développement durable et solidaire,

  • promouvoir une culture du développement durable et solidaire,

  • faire des choix économiques pertinents,

  • développer un dialogue social constructif,

  • améliorer notre gouvernance,

  • organiser notre solidarité internationale avec les petites économies insulaires en développement.

1°) Avoir une grande ambition, celle de faire de la Martinique un territoire d’excellence, voire une référence exemplaire en matière de développement durable et solidaire. Il convient d’inverser le regard des martiniquais sur notre territoire. Dans l’étude réalisée en octobre 2005 auprès de la population martiniquaise en matière de développement durable et solidaire, il était observé que « les résultats enregistrés traduisent un profond malaise de la population martiniquaise à vivre au quotidien en Martinique et plus encore à imaginer un futur dans l’île qui soit synonyme d’espoir. L’univers de référence dans lequel cette population inscrit sa vie en Martinique est radicalement négatif (la Martinique est menacée, bétonnée et folle) ». Cet état d’esprit risque d’être aggravé avec les problèmes actuels relatifs aux séquelles de Dean et de la pollution due aux pesticides. Il s’agit de faire renaître l’espoir autour de projets collectifs réalistes et concrets.

2°) La nécessité d’une culture du développement durable et solidaire.

Le développement durable et solidaire doit devenir un objectif partagé, sinon par tous du moins par le plus grand nombre. C’est la condition sine qua non de l’avancée dans ce sens. Il faut une culture de masse du développement durable se substituant à la culture actuelle de l’exploitation des hommes et de l’espace ainsi que de l’hyperconsommation. La mutation importante doit se faire d’abord dans les consciences car ce sont elles qui déterminent les comportements de chacun au quotidien. Il convient de concentrer les efforts sur l’information, la formation et l’éducation par tous moyens de communication : école, médias (presse, audiovisuel, affiches, internet etc.), réunions de quartier, visites à domicile, campagnes de sensibilisation de l’opinion, créations de prix (au sens de récompenses des meilleures performances). Il s’agit d’une sorte de mobilisation générale.

Ce faisant, il convient de garder au concept sa fraîcheur et éviter de le galvauder ou de le banaliser.

Cette culture passe par une meilleure connaissance de la nature, par l’amour de cette nature (on respecte avant tout ce que l’on aime).

Elle passe par une conception différente de l’entreprise (j’y reviendrai plus loin).

Elle passe par de nouvelles habitudes alimentaires et plus largement par des comportements de consommation responsable.

Il s’agit aussi de sortir d’une culture politique de la captation du pouvoir.

Il s’agit d’affirmer son identité culturelle, de développer l’esprit de communauté en évitant le repli communautariste.

Il s’agit de sortir de la culture de l’instant et du gaspillage pour entrer dans une culture de projet et de prévoyance.

3°) La nécessité de choix économiques pertinents

L’économie coloniale était typiquement une économie d’exploitation des richesses et des hommes. Il n’était nullement question de développement. L’économie de plantation n’avait pas d’autre but que de permettre l’enrichissement des colons et de la métropole.

Il convient aujourd’hui de sortir de l’optique de la maximisation du taux de profit pour s’orienter vers des activités productrices de richesses mais aussi respectueuses de l’environnement et donnant lieu à la mise en place d’entreprises respectant les droits des travailleurs et des consommateurs.

Dans cette optique, il apparaît pertinent, comme beaucoup l’admettent désormais, de mettre l’accent sur le développement des énergies renouvelables, sur les services à la personne, sur les TIC, sur toutes les activités relatives à l’eau, sur l’agriculture biologique, sur le commerce équitable, sur la recherche de technologies durables, sur l’économie de la culture.

Dans cette optique, il est urgent de renoncer non seulement aux cultures et aux industries générant des pollutions massives, mais aussi à l’accroissement exponentiel des importations entretenant l’hyperconsommation génératrice de surendettements individuels et de déficits abyssaux de notre balance commerciale.

4°) La nécessité d’un dialogue social constructif

Un travail très important a d’ores et déjà été engagé dans ce sens. Il convient de l’approfondir.

Il me semble que celui-ci aura d’autant plus de chances de progresser si nous réussissons à promouvoir une conception renouvelée de l’entreprise. Le seul but de l’entreprise n’est pas de faire du profit comme on le dit souvent. Elle a aussi d’autres fonctions importantes : satisfaire des besoins sociaux, créer un cadre de vie pour ceux qui y travaillent et bien entendu s’inscrire dans la dynamique de développement durable et solidaire en devenant ainsi un partenaire indispensable des autres acteurs publics et privés œuvrant dans ce sens.

5°) La nécessité d’une meilleure gouvernance

La Martinique connaît un déficit évident de bonne gouvernance. Une meilleure gouvernance de la Martinique suppose, selon moi :

– la constitution d’alliances partisanes stables autour d’objectifs communs et pas seulement en vue de succès électoraux,

– la suppression de l’empilement des structures décisionnelles,

– la formation des citoyens pour favoriser leur participation à la vie politique et aux processus décisionnels et bien sur,

– le développement d’une culture démocratique.

6°) La nécessité d’une solidarité stratégique avec les petites économies insulaires en développement

Compte tenu du fait que nous avons de très nombreux points communs et des problèmes souvent identiques aux petites économies insulaires en développement, il s’avère indispensable de rechercher des solutions communes. Il ne suffit pas pour cela de se retrouver tous les dix ans dans de grandes conférences internationales (Barbade 1994, Maurice 2005) aussi utiles soient-elles. Il convient de constituer un front commun actif au sein des instances internationales, notamment l’OMC, afin de faire reconnaître, à l’instar des RUP au sein de l’Union européenne, que les petites économies insulaires constituent une catégorie spéciale ouvrant droit à des mesures spécifiques et à des dérogations.

II J’en viens maintenant à la seconde partie de mon exposé, à savoir à quelques propositions concrètes pour une meilleure gestion du territoire martiniquais dans la perspective du développement durable et solidaire

Ces propositions sont au nombre de cinq.

Je propose la création d’un corps d’auxiliaires du développement durable et solidaire, que l’on réfléchisse sur l’opportunité de mettre en place un programme d’ajustement structurel et de développement durable et solidaire, que la mise en place de la zone franche globale soit orientée explicitement vers le développement durable et solidaire, que la Martinique soit labellisée Pays d’art et d’histoire ou pôle d’économie du patrimoine et que nous puissions construire de façon démocratique un statut sur mesure répondant aux besoins du développement durable et solidaire.

1°) La création d’un corps d’auxiliaires du développement durable et solidaire ?

Il s’agit de recruter des personnes à titre permanent ou temporaire afin de populariser la culture du développement durable, de façon à générer de véritables changements de comportements au sein de la population.

Leur mission serait donc de passer dans les familles et éventuellement dans les entreprises, voire les administrations, pour aider à l’adoption de comportements de développement durable et solidaire. Soit sous la forme de visites aux familles, soit de l’organisation de réunions chez l’habitant avec les invités de la famille d’accueil, soit encore de réunions de quartiers. Ceci dans une optique de conseils et non de contrôle. Les gens visités trouveront un intérêt à ces visites ou réunions dans la mesure où elles sont susceptibles de leur faire faire des économies budgétaires et de se sentir solidaire d’un projet collectif.

Quelles sont les questions pouvant être abordées avec les particuliers ? Il y a par exemple :

  • les économies d’énergie, l’utilisation d’énergies renouvelables,

  • les économies d’eau, le stockage de l’eau,

  • le tri sélectif, la gestion domestique des déchets,

  • la prévention contre les moustiques,

  • la formation aux risques naturels (séismes, cyclones, inondations, glissements de terrains),

  • la sécurité des constructions,

  • l’identification de l’existence d’objets patrimoniaux ou d’archives à préserver,

  • la question des produits bio,

  • le commerce équitable,

  • etc.

Les supports pédagogiques utilisables peuvent être : des journaux (Fey), des vidéos, films, diaporama, dépliants, questionnaires etc.

Quel serait le statut de ces auxiliaires placés auprès de la population ?  Il pourrait y avoir deux catégories : une catégorie de professionnel permanents et une catégorie d’étudiants vacataires.

Quelle serait leur formation ? Une formation poussée pourrait être dispensée dans ce domaine à la première catégorie, donnant aux permanents une qualification professionnelle et pour la seconde catégorie, celle des étudiants vacataires la formation pourrait être valorisée dans leur cursus. Ces formations seraient organisées par l’Université et la région.

Quel serait le financement de ce corps ?

Pour la formation : la région, l’Etat et la Communauté européenne (FSE).

Pour la rémunération, on pourrait envisager d’une part d’utiliser le produit des amendes relatives aux infractions en matière d’environnement (la répression finançant la prévention) et d’autre part une taxe indolore sur l’essence et le diesel. J’ai calculé qu’avec une taxe de 1 centime d’€ sur l’essence et sur le diesel (c’est-à-dire passer pour le sans plomb de 1, 34 € à 1, 35 € et le diesel de 1,03 à 1, 04), la consommation journalière d’essence sans plomb étant environ de 600 M3 (elle varie de 560 à 620 selon les périodes) soit 600 000 litres et 800 M3 de diesel (entre 650 et 850) soit 800 000 litres, cela ferait un gain sur l’essence de 6000 € par jour et sur le diesel de 8000 € par jour soit au total 14 000 € par jour et 42 000 € par mois, ce qui donne la possibilité de payer 14 personnes à 3000 € brut par mois. Le montant peut être modulé en fonction des besoins de financement.

Quelle structure juridique pourrait être responsable de ces auxiliaires ?

Il pourrait être envisagé la création d’une agence sous forme d’une association loi 1901 ou d’un établissement public. Celle-ci peut se voir confier les différentes tâches de gestion de ces auxiliaires.

2°) La mise en place d’un programme d’ajustement structurel et de développement durable et solidaire ?

Objectif : assurer une transition économique de façon planifiée.

La méthode : programmation sur 6 ans élaborée de façon concertée.

Le financement : local, étatique, communautaire, public et privé.

Par exemple : aller vers l’extension de l’agriculture bio (y compris pour la banane) comme label martiniquais avec sa portée commerciale mais aussi sanitaire et touristique durable.

L’utilité de critères de réalisation (indices chiffrés de progrès permettant d’apprécier l’efficacité du dispositif mis en place) : diminution de la consommation d’eau et d’essence, du taux de surendettement, amélioration du recours à l’énergie solaire etc.

3°) La mise en place d’une zone franche globale d’activités orientée vers le développement durable et solidaire ?

Il est souhaitable que le choix des activités qui feront l’objet des avantages fiscaux liés à la zone franche se fasse en fonction de leur impact sur l’environnement.

Il est impératif que dans la zone franche aucune atteinte ne soit portée au droit du travail et à la protection sociale.

Il convient d’éviter que la zone franche ne favorise la course au profit et à la spéculation.

Il serait souhaitable de favoriser le réinvestissement sur place d’une partie des bénéfices.

Il serait utile de moduler les avantages en fonction de la répartition spatiale des investissements dans une perspective d’aménagement équilibré du territoire martiniquais.

3°) La Martinique « Pays d’Art et d’Histoire » ou « Pôle d’économie du patrimoine » ?

Que faut-il entendre par patrimoine ?

Pour l’UNESCO « le patrimoine d’un peuple s’étend aux œuvres de ses artistes, de ses architectes, de ses musiciens, de ses écrivains, de ses savants, aussi bien qu’aux créations anonymes, surgies de l’âme populaire et à l’ensemble des valeurs qui donnent un sens à la vie. Il comprend les œuvres matérielles et non matérielles qui expriment la créativité de ce peuple : langue, rites, croyances, lieux et monuments historiques, littérature, œuvres d’art, archives et bibliothèques » (Mondiacult, Déclaration de Mexico 1982).

Le patrimoine résulte souvent d’une construction culturelle consistant à donner du sens à un bien ou à un savoir, on parle alors de patrimonialisation.

Il s’agit donc pour nous de « patrimonialiser » en quelque sorte la Martinique dans son ensemble en donnant du sens à son histoire, à ses lieux, à ses savoirs, à ses créations. Le patrimoine martiniquais ainsi conçu permet la révélation d’une personnalité collective différenciée mais aussi de ce qu’il y a d’universel chez le peuple martiniquais.

Notre patrimoine est un facteur de fierté pour nous-mêmes et d’attractivité de notre territoire vis-à-vis de l’extérieur.

Nous avons une très grande richesse historique et artistique : de nombreux lieux de mémoire, des œuvres architecturales (villas coloniales, églises, bâtiments publiques), une langue originale (le créole), un héritage de contes, de proverbes, de productions littéraires, d’arts plastiques, des créations intellectuelles (susceptibles de faire l’objet de brevets), des traditions religieuses (catholiques ou indous), des fêtes populaires qui rythment l’année (carnaval et autre), des traditions et des innovations culinaires, des bijoux originaux, des vêtements, des sites naturels, une flore et une faune particulières (biodiversité) etc.

L’idée est d’obtenir du ministère de la culture et de la communication le classement de la Martinique comme pays d’art et d’histoire ou comme pôle d’économie du patrimoine.

1 Pays d’art et d’histoire :

Il s’agit d’un label crée depuis 1987.

Les critères de labellisation sont :

– la qualité du patrimoine,

– la volonté politique de la collectivité territoriale de vouloir animer et valoriser son patrimoine,

– l’insertion dans une vision globale, dans un projet culturel du pays permettant ainsi une véritable synergie des différents acteurs du territoire.

Le processus de labellisation :

– Dépôt d’un dossier auprès de la DRAC (il comporte la carte d’identité et l’état des lieux culturels, l’expression de la volonté de la collectivité territoriale d’intégrer l’animation de son patrimoine au sein de son projet culturel).

– Instruction du dossier en partenariat entre la DRAC et le service central du ministère de la culture, puis examen par le Conseil National des villes et pays d’art et d’histoire qui donne un avis sur le dossier et sur la convention qui a été rédigée parallèlement.

– Le ministre de la culture et de la communication décide d’accorder ou pas le label.

La Convention a quatre objectifs précis :

  • sensibiliser la population locale,

  • initier le jeune public à l’architecture, au patrimoine et à l’urbanisme,

  • cultiver un tourisme de qualité en instaurant des visites conduites par un personnel agréé, fondées sur le dialogue et l’échange, et

  • mettre en place une politique de communication autour du patrimoine (publication de brochures au niveau national et régional, éditions d’affiches et de dépliants)

2 Pôle d’économie de patrimoine

Il s’agit d’un projet de territoire, lequel peut être une entité historique ou géographique, une zone d’activité, un territoire structuré par un organisme de gestion intercommunale.

Le but est de fédérer l’ensemble des initiatives et projets. Le pôle a vocation à rassembler les acteurs de la vie économique locale autour du projet.

L’Etat joue un rôle d’accompagnement.

L’initiative peut émaner d’une collectivité territoriale qui formule une demande auprès de la DIACT (Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires).

Les projets sélectionnés bénéficient d’un soutien financier du fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT) pour mener les études nécessaires.

Les plans de financement sont construits par les collectivités territoriales avec soutien de l’Etat. Des financements sont possibles par les fonds structurels.

Ces labels ont un intérêt économique mais aussi identitaire et écologique (sites naturels). Ils sont utiles pour relancer le tourisme culturel durable mais aussi plus largement pour promouvoir le développement durable et solidaire sous tous ses aspects.

5°) La construction démocratique d’un statut sur mesure visant explicitement le développement durable et solidaire ?

Quel statut, quels pouvoirs et quels domaines de compétence sont nécessaires pour piloter le développement durable et solidaire ?

La réponse à cette question suppose d’abord de se mettre d’accord sur la signification que l’on donne aux concepts utilisés.

Etat ? Rappelons que lEtat se caractérise par l’existence d’une population vivant sur un territoire soumise à une autorité politique laquelle exerce une série de pouvoirs sur le plan interne et la pleine souveraineté dans le domaine international.

Population ? La population de l’Etat est une donnée démographique. Elle peut être très homogène ou très hétérogène quant à la présence ou pas d’étrangers, quant à l’existence ou pas de diverses identités culturelles et de niveaux de vie.

Peuple ? Pour moi, l’existence d’un peuple ne découle pas d’une identité ethnique ou culturelle. Le peuple est une entité juridique, une personne morale à qui est reconnu la capacité de choisir son propre destin, autrement dit de disposer de lui-même ou encore de s’autodéterminer.

Nation ? Les notions de nation et de peuple sont utilisées souvent comme synonymes. Il me semble nécessaire de les distinguer. La nation est, selon moi, un instrument conceptuel d’unification d’un groupe politique. Le développement de la conscience nationale vise à développer le sentiment d’appartenance au groupe politique et à favoriser la cohésion sociale. L’éveil de la conscience nationale fera appel tantôt à des traditions, des traits culturels ou ethniques communs (conception dite objective), tantôt à la volonté de vivre ensemble ou de réaliser un dessein, un projet commun (conception dite subjective).

Nationalité ? La nationalité quant à elle est le lien juridique de base établi entre chaque individu et un Etat déterminé. Certains peuvent être titulaires d’une double nationalité, pour autant que les Etats concernés l’admettent.

Citoyenneté ? La citoyenneté concerne les droits politiques attribué par un Etat (ou une organisation d’intégration comme l’Union européenne) aux individus qui en sont membres. Plusieurs citoyennetés peuvent s’emboiter (par exemple : citoyenneté de Nouvelle-Calédonie, plus citoyenneté française, plus citoyenneté européenne).

Statut ? L’Etat a un statut c’est sa constitution, autrement dit le texte qui précise ses modalités d’organisation et de fonctionnement, la répartition des pouvoirs et des domaines de compétence entre ses organes.

Outre ses organes centraux, l’Etat a des démembrements, il s’agit des collectivités territoriales. Ce sont des personnes morales de droit public soumises à un régime législatif (détermination des normes applicables ou pas au territoire concerné et des autorités compétentes pour adopter les normes applicables au territoire) et disposant d’une organisation administrative, la combinaison des deux constituant leur statut. Dans un Etat donné ces statuts peuvent être regroupés en plusieurs catégories (exemple articles 73 ou 74).

Les collectivités territoriales ont des pouvoirs (consultatifs, de proposition, de gestion, de décision dans le domaine réglementaire ou législatif) et des domaines de compétence (économie, social, environnement, santé, transports etc.) qu’elles exercent au bénéfice d’une population dans le cadre d’un territoire.

Ces précisions étant données, je voudrais indiquer ici trois propositions :

La première est que notre statut devrait être pensé avant tout à partir des nécessités du développement durable et solidaire et non à partir d’a priori idéologiques ou encore de stratégies partisanes de captation du pouvoir. Ainsi il serait bon de faire un état des lieux concernant la répartition des compétences, notamment normatives, en matière d’environnement et d’étudier ce qui serait souhaitable afin de parvenir à la meilleure façon gouvernance dans ce domaine.

La seconde est qu’il faudrait inscrire l’objectif du développement durable et solidaire des outremers dans la Constitution et dans les articles pertinents du traité CE/UE (les révisions en cours nous en donnent l’opportunité).

La troisième est qu’il peut être utile pour nous de nous inspirer du processus d’élaboration statutaire prévu dans la constitution portugaise pour Madère qui favorise la construction d’un statut sur mesure (voir sur ce point ma contribution dans l’ouvrage collectif du CRPLC L’outre-mer à l’épreuve de la décentralisation : nouveaux cadres institutionnels et difficultés d’adaptation, L’Harmattan, 2007).

En conclusion, nous avons plus que jamais besoin de nous retrouver et de nous mobiliser autour d’un projet collectif porteur d’espoir pour les générations actuelles et futures. Faire de la Martinique un territoire d’excellence en matière de développement durable et solidaire peut assurément être ce projet là. C’est à nous de le vouloir et de nous y atteler.

1 Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme.

Emmanuel JOS , le 26 septembre 2007 à Fort-de-France