Julie Mauduech livre « Batailles » pour le théâtre

— par Roland Sabra—

 

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La compagnie « Les comédiens » avec Julie Mauduech, au centre de la photo de France-Antilles

— Dans la famille Mauduech, il y a Camille, la cinéaste et il y a Julie, comédienne et metteure en scène. C’est de Julie et de son travail dont il est question ici. De retour d’un long exil d’une vingtaine d’années à Paris au cours duquel elle exercé ses talents sur différents registres et notamment dans le rôle principal que lui a confié Mathieu Kassovtz dans son film « Métisse, Julie a décidé de faire profiter son pays, la Martinique, de toutes son expérience. Elle crée donc en janvier 2010 une compagnie de théâtre, « Les comédiens », qui répète dans une salle louée route de Didier à Fort-de-France au 80 de la rue du Professeur Raymond Garcin. Le cours de théâtre qu’elle anime repose sur quelques principes extrêmement solides qu’elle énonce ainsi dans un entretien non daté à F-A. : « J’ai expérimenté pas mal de méthodes, selon moi, l’unique qui marche de façon générale c’est l’analyse de soi-même. Bien se connaître, savoir se situer, ne pas avoir peur de confronter sa vie, ses bonheurs et aussi ses malheurs. Tout cela s’enseigne, se travaille comme un athlète toujours à l’entrainement; observer l’autre, se faire sa propre cuisine de sentiments et d’émotions. C’est cela que je veux transmettre , ne pas avoir peur de soi-même; »

Cela transpire dans le travail intitulé « Batailles » et présenté les 24-25-26 mai 2012 au théâtre  foyalais Aimé Césaire. Le spectacle est une sorte d’hommage à l’intense amitié qui exista entre Roland Topor et Jean-Michel Ribes, deux auteurs qui ont construit tout ou partie de leur œuvre autour du thème de l’absurde. Dans une interview Jean-Michel Ribes estime que le titre de « Batailles » est la matrice même de la dramaturgie et de toute représentation théâtrale. Le conflit, l’affrontement est au cœur du théâtre et c’est un modèle universel. Deux monologues ont été retenus par Julie Mauduech, « Ultime Bataille » de Topor et « Bataille intime » de Ribes » avec des  extraits de « Théâtre sans animaux » que ce dernier a crée en 2004.

Le premier monologue « Ultime bataille » est l’histoire d’une séparation entre un homme, les pieds dans le vide, au douzième étage , suspendu  par les mains au ciment d’un balcon et une femme qui veut le laisser tomber, comme on dit et qui l’incite donc, sur un mode anodin à lâcher prise!   » Oui je sais que nous n’en sommes pas au même point, moi je suis assise là, et toi tu es accroché à la balustrade par les mains, les pieds dans le vide… » lui dit-elle. Et quand il va atterrir sur le balcon du dessous chez une vieille aristocrate elle aura ce commentaire désabusé : « C’est bien ça les hommes il faut toujours qu’ils compensent leur effondrement amoureux par une ascension sociale. ».

L’autre monologue  » Bataille intime » est le récit ‘un assassinat plutôt sanguinolent. Qu’on en juge :  : Bon, eh bien je préfère le dire à tout le monde ici, plutôt qu’à la police… après je serai soulagé. Il y avait trop de sang. Au début ça allait encore. Il y en avait un peu, bien sûr, mais c’était supportable. Et puis, il s’est mis à couler à gros bouillons. Impossible de l’arrêter. Ca giclait de partout et ça se répandait sur les murs, les vitres, sur mes affaires… il y en avait plein les draps, sur le plancher… moi j’aime pas tellement le sang… il me dégoûterait plutôt… j’avais donné le premier coup dans la gorge. Ce n’était pas mortel, la carotide était intacte. Enfin il était bien entamé. Il s’est mis à gargouiller et à vomir en poussant de sorte de râle…« Urg. !… Urg. !  On découvrira par la suite qu’il s’agit d’une femme qui vient de tuer à coup de couteau l’homme qui habitait son corps!

De ces deux textes que Topor et Ribes ont échangé, modifié,  travaillé et retravaillé ensemble et séparément et dont ils ont multiplié  les titres  et les versions de « Batailles navales » en « Batailles dans les montagnes » de « Batailles au sommet » en « Bataille dans les Yvelines » et mille autres inventions on retiendra au delà de l’absurde décliné avec l’humour nécessaire et la distanciation prudente qui évite de verser dans le comique grossier, un hymne à la vie qui toujours perdure et une élégance devant la mort qui a toujours le dernier mot. Le comique est paradoxal,  décapant et décalé. Le déplacement du discours, l’incongruité, l’humour noir, le décalage du propos d’avec la situation provoquent un comique qui évite par la-même les ficelles de la comédie classique que sont le comique de mots, de gestes, de répétition etc.  Tout cela est restitué sur scène avec précision par le travail que Julie Mauduech obtient d’une comédienne, que l’on ne connaissait pas, qu’elle dirige avec rigueur, méthode et subtilité et qui se nomme Valérie Vigier. Un nom à retenir.

La soirée commence par « Les cents pas » joué par Julie Mauduech et Vincent Vermignon. Marie Gisèle Gantémouflon et son mari Georges dorment profondément quand le silence qui entoure leur sommeil est brisé par des bruits de pas inquiétants derrière la porte d’entrée. Georges est un peu lâche face à l’étrangeté, face à l’inconnu; Toutes les suppositions sont faites quant à l’origine de cette menace. Une violente scène de ménage éclate au beau milieu de la nuit et se conclut devant l’imminence du « danger » par une réconciliation tendre, sensuelle et amoureuse! En fait il ne s’agissait que de la manifestation de l’employé du « Service de Réanimation des Couples » qui remplissait l’office pour lequel il est payé!

Les « Bronches » un sketch sur comment contenir la phobie du cancer avec un objet transitionnel en l’occurrence une perruque Louis XV, et  « Tragédie » une saynète  autour d’une séparation (encore) d’un couple venu assister à la première d’une « Phèdre » qui devait consacrer la sœur de l’épouse  dans le rôle titre viennent boucler la soirée avec une belle prestation de Marisa Claude, déjà mise en scène par Yoshvani Médina dans « Cinq filles couleur pêche » en 2005, essayant de convaincre vainement Vincent Vermignon, de féliciter sa « belle-sœur », Maïté Cabrera.

Le désir de Julie Mauduech de  » fédérer les jeunes artistes caribéens » de se mettre au service de l’art antillais est sur le bon chemin. Le travail qu’elle présente avec sa jeune compagnie « Les Comédiens » laisse augurer d’un suite pleine de promesses. Ce dont elle a fait montre vaut bien, et largement plus que certaines prestations dites professionnelles sur notre belle ile.

Fort-de-France le 25 mai 2012