Habdaphaï et le Territoire des Migrants

Habdaphaï expose jusqu’au 23 juin à l’Espace d’art Contemporain T &T en Guadeloupe, la série Territoire.

— Par Matilde dos Santos Ferreira —
Comme toujours l’artiste s’intéresse à la transculturalité propre aux poussières d’îles caribéennes. Ce formidable creuset de races, langues, religions, a forgé des peuples multiculturels dont le langage véritable est encore en construction, car les parties désaxées de ce tout n’ont pas fini de s’ajuster et l’être syncrétique est toujours en gestation.

Cette gestation est l’objet de sa réflexion. Tantôt sur la forme de réminiscences, tantôt sur la forme d’une d’état des lieux- inventaire d’une perception forcément fragmentaire de la réalité. Dans cet espace fragmenté Habdaphaï confronte les strates successifs et concomitants de cultures diverses, irrémédiablement imbriquées et pourtant antagoniques, ignoreuses les unes des autres.

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Le syncrétisme pictural
Son processus de création part toujours de cette fusion qui se perpetue dans le temps et dans l’espace, et où l’origine, le passage, le présent et l’avenir ne cessent de se melanger. C’est cela qui l’a appelé depuis le départ le syncrétisme pictural, qui se traduit par une pratique très matiérée, dans laquelle sur des fonds abstraits l’artiste trace de façon quasi obsessionnelle des signes qu’il a inventés/découverts le long des années. Il s’est constitué ainsi une sorte d’alphabet qui lui permet de converser avec/sur , la fusion renouvellée des forces ancestrales et présentes de l’homme et de ses doubles.
L’artiste affectionne la gravure, la sculpture, la découpe, sur papier ou sur métal. L’artiste peint souvent par terre en tournant autour de ses toiles, comme un danseur, et comme un danseur ce qui lui importe est le geste. De la danse il a gardé aussi le gout du contact avec le public , d’où le travail frequent en installation et la pratique de la performance, qui l’a amené naturellement à la vidéo et aux recherches sur les photomontages, les logiciels et possibilités offertes par le numérique. La relation créateur/spectateur co-créateur nécessaire à la performance, est une piste qui guide ses recherches quel que soit le domaine de production consideré.
La série Territoire
Sa dernière série, le territoire et son dédoublement les migrants l’ont mis en prise directe avec les fondements de l’homme, et en même temps avec son actualité politique. Le territoire est forcément politique, il comporte une idée de frontière, il renvoie à un groupe et à une occupation sociale… Le territoire est une affabulation, l’artiste un raconteur d’histoires… vraies, inventées, reconstituées… qu’importe ? Dans cette série sur chaque toile on retrouve le T du territoire, une sorte de phorie, où chaque homme serait un enfant dans les bras d’un géant, sortant de la terre, s’y enfonçant comme dans un marécage, toujours plus haut ? toujours plus loin… Car nos territoires globalisés sont désincarnés, le territoire d’habdaphaï s’inscrit sur le corps comme la mémoire. C’est une boucle : le territoire est le produit d’une mémoire commune, la mémoire est le fondement du territoire ainsi que de l’inclusion et de l’exclusion…. L’artiste est ici comme un chamane , celui qui sert d’intercesseur entre le monde des esprits et le monde des hommes, en sa fonction de guérisseur mais aussi de créateur/transmisseur de cosmogonies.