« Gouverneurs de la rosée » : de la difficulté à passer du roman au théâtre

— Par Térez Térry —

Jeudi soir, c’est à un rendez-vous émotionnel que Tropiques Atrium nous invitait à assister, en ouverture de saison, avec l’adaptation théâtrale et la mise en scène de Daniel Marcelin du roman « Gouverneurs de la rosée » de Jacques Roumain publié en 1944. On pouvait se réjouir de voir arriver au théâtre un public ayant la nostalgie d’un roman qui les avait séduits alors qu’ils étaient encore étudiants.

C’est donc un véritable challenge que s’est donné Daniel Marcellin, comédien, publiciste, dramaturge et metteur en scène haïtien, de vouloir passer d’un roman aussi riche en description et en événements au théâtre. Dans ce cas précis, les difficultés liées aux contraintes d’écriture étaient nombreuses : jongler avec la durée, le nombre de personnages, les décors, les accessoires, les costumes, les transitions… garder la langue de l’auteur.

Daniel Marcellin a choisi de commencer par la fin du roman et d’en garder les personnages clés et leurs dialogues en faisant fi des descriptions. Quelques insertions narratives ont été incluses dans les dialogues des comédiens. Le décor minimaliste participait à souligner la dramaturgie du propos. La scène sobre, constituée d’un tronc d’arbre desséché couché en fond de scène côté cour, rappelait la terre sèche et poussiéreuse de Fond rouge que la pluie avait abandonné depuis bien longtemps faisant de ses habitants des résignés à leur destin, soumis à eux-mêmes et prisonniers de la haine. Les objets placés sur le sol côté jardin et la canne de Bienaimé permettait de préparer le public en toute subtilité et finesse au culte vaudou.

Divisée en 16 tableaux, cette adaptation du « Gouverneurs de la rosée » a été jouée par des comédiens du Petit Conservatoire fondé en 1998 par Daniel Marcellin. On peut ainsi mieux comprendre la faiblesse de la production qui se jouait sous nos yeux. A trop vouloir rester fidèle au texte, quelques faiblesses sont apparues. La représentation traîne en longueur et devient pénible à supporter avec des entrées qui font trop téléphonées. Malheureusement, la scénographie des lumières est juste marquée pour signifier des changements de tableaux ainsi que les entrées et sorties des comédiens et bien sûr l’eau, élément de quête de Manuel que l’on voit surgir en avant-scène, le cercueil, délimité par un rectangle de lumière bleue placé par anticipation aux évènements qui vont suivre. Nous déplorons quelques transitions ratées qui ont participé à la longueur de la pièce. Nous regrettons un Manuel qui n’a pas su rendre la force et l’énergie du héros qu’on lui connaît. Un bon travail de diction aurait pu nous aider à rester accrochés à l’action. Trop de surjeu. Des comédiens perdus sur scène. Un rythme invraisemblable. Pas de direction d’acteurs. Nous remercions Gervilen qui a su maintenir la tension dramatique et rendre son personnage crédible même s’il pouvait encore approfondir la psychologie de son personnage. Chose étonnante, le traitement du personnage d’Annaïse par Daniel Marcellin diffère du personnage proposé par Jacques Roumain qui semblait plutôt tout en retenu.

Nous nous sommes, par ailleurs, interrogés sur le choix de faire parler Bienaimé systématiquement au côté cour. Nous avons, toutefois, beaucoup apprécié l’idée que le dieu vaudou soit incarné par ce dernier même si le travail de recherche n’est pas totalement achevé. Cela a été la surprise. Enfin, la scène de la mort était trop longue avec ces pleurs et gérémiades qui n’en finissaient plus. Aussi, au lieu de nous attendrir, nous en avons été agacés. Cette scène marquait pour nous une fin qui n’en était pas une.

Enfin, lorsque Délira joue la scène finale avec Larivoire, le public ne sait même plus si la représentation finale est terminée. Ce sont les comédiens en coulisses qui applaudissent pour lui signifier la fin. Trop de noir tue le noir et donc déstabilise le public.

Dans cette adaptation théâtrale du « Gouverneurs de la Rosée », Daniel Marcelin a occulté la dimension politique mis en exergue dans le roman de Jacques Roumain au profit d’une histoire « fleur bleue » de Roméo et Juliette.

En définitive, s’attaquer à un aussi grand classique de la littérature haïtienne n’est pas chose aisée surtout avec une compagnie de jeunes comédiens qui doit encore faire ses preuves.

Fort-de-France, le 14/10/2018
T.T.