« Actrice » texte, mise en scène et scénographie Pascal Rambert

—Par Michèle Bigot —
Après Clôture de l’amour en 2011 et Répétition en 2014, Pascal Rambert continue d’explorer les deux voies parallèle du théâtre et des affres de la condition humaine. L’originalité de son approche, c’est cette façon singulière de nouer ces deux arguments. Il ne s’agit pas seulement de théâtre dans le théâtre, quoique cette dimension ne soit pas absente. Il s’agit de représenter un univers dont les acteurs soient des comédiens, qui portent au plus profond de leur cœur la passion du théâtre. Les titres le disent assez. Ce qui est en jeu, c’est la vie des acteurs en tant que personnes comme en tant que comédiens. Les deux étant inséparables. D’où une réflexivité permanente dans l’écriture, qui fait de l’objet théâtral la première des passions humaines, gouvernant toutes les autres. Eugenia, l’actrice par excellence le dit bien, qui affirme avoir fait passer l’amour du théâtre avant ses enfants et ses amants. Pascal Rambert aime ses actrices. Et leur donne les moyens d’exprimer leur talent de manière superlative. Audrey Bonnet, sa complice irremplaçable, et Marina Hands, dont on ne dira jamais assez le pouvoir d’émotion. Elle atteint ici des sommets et se hisse au niveau des actrices de légende. Comment dire son naturel, sa simplicité, sa retenue, sa justesse et pour finir son intériorité. Elle montre avec éclat que l’art du comédien repose avant tout sur l’intelligence du coeur et la profondeur d’une âme. Aucun travail ne peut donner tout cela à l’individu qui n’en sera pas pourvu au départ. Non que le travail soit négligeable, mais il en est de lui ce que Baudelaire dit du maquillage: le travail doit être si intense qu’à la fin il ne soit plus perceptible. Rien n’est plus difficile à atteindre sur scène que le naturel. Marina Hands et Audrey Bonnet y parviennent par des voies (voix) très différentes, voire opposées. Pour Audrey Bonnet, il s’agit d’un travail sur le corps dans son ensemble, son jeu relève de la pantomime, de la danse et de la déclamation à la fois. Pour Marina Hands, son jeu relève de l’intériorisation, de la nuance, du petit geste, des accents de la voix: de l’émotion pure. Elle est juste éblouissante. Pour le reste de la troupe, que Pascal Rambert a voulue très cosmopolite, retrouvant ainsi la tradition de Brook, on sera moins enthousiaste. Entendant donner à sa pièce des accents russes, l’auteur-metteur en scène n’hésite pas à les faire basculer dans l’hystérie, ce qui relève plus du stéréotype que de la réalité du théâtre russe. Leur accent est si prononcé et leur diction si hasardeuse qu’on peine à les entendre. Le spectateur se demande si on lui parle de la voix ou de la foi. Ce n’est peut-être pas si grave parce que les deux finissent par se rejoindre, mais on peine à comprendre les détails de leurs répliques.
La scénographie imputable à Pascal Rambert est surprenante: dès son installation le spectateur découvre un plateau entièrement garni de bouquets de fleurs luxuriantes voire envahissantes. Au centre un lit médicalisé où est couchée l’actrice dont la mort est imminente. Prouvant ainsi qu’une scénographie peut être à la fois minimaliste et surchargée. Rien de ce décor ne changera jusqu’à la fin, sauf quelques vases renversés et quelques fleurs piétinées au gré des fureurs des personnages. Côté cour, une porte par où entrent et sortent les acteurs, comme un ballet tournoyant autour du lit de la malade. Mais autant les entrées des comédiens sont réussies, autant les sorties sont maladroites et mal intégrées à l’action. C’est peut-être là une faiblesse de la mise en scène, que l’on pardonne sans mal tant le texte et le jeu sont puissants. Le texte si riche souffre aussi de quelques longueurs qui nuisent à son intensité. Quoi qu’il en soit, il y a là une splendide réflexion sur le théâtre et la mort, dans la plus pure tradition que n’aurait désavouée ni un Ibsen ni un Tchékov ni un Koltès. On en sort tremblant et ébloui et franchement reconnaissant à l’art théâtral, comme en sortant d’un culte magistralement servi par ces grands ministres.

Actrice

Texte et mise en scène Pascal Rambert

Avec Marina Hands, Audrey Bonnet, Ruth Nüesch, Emmanuel Cuchet, Jakob Öhrman, Elmer Bäck, Yuming Hey, Luc Bataïni, Jean Guizerix, Rasmüs Slätis, Sifan Shao, Laetitia Somé, Hayat Hamnawa, Lyna Khoudri, et en alternance, Anas Abidar, Nathan Aznar et Samuel Kircher

Théâtre des Bouffes du Nord
12-30/12/2017