Jour : 13 avril 2015

François Maspero, héraut de toutes les luttes

— Par Claire Devarrieux —

editions_masperoIndépendance de l’Algérie, révolution cubaine : l’éditeur et libraire engagé, devenu écrivain sur le tard, est mort samedi à 83 ans.

L’éditeur et écrivain François Maspero est mort à Paris le 11 avril. Son ami médecin, le rhumatologue Marcel-Francis Kahn, raconte dans quelles conditions sur le site de Mediapart, où il a annoncé le décès le soir même : «Alerté par une fuite d’eau, on l’a découvert dimanche mort dans sa baignoire. Il avait passé la journée du vendredi 10 avec moi, qui l’avais amené dans une clinique de banlieue où il a subi un examen radiologique demandé par le spécialiste qui le suivait. Il avait 83 ans. Hier, on honorait la libération de Buchenwald où est mort son père. Je connaissais François depuis près de quarante ans et, au fil des ans, il était devenu mon meilleur ami.» Tous ceux qu’il a édités entre 1959 et 1982, à l’enseigne des éditions Maspero, tous les militants qu’il a soutenus, tous les lecteurs de l’œuvre personnelle qu’il a entreprise à partir des années 80 : il y a beaucoup de monde dans la cohorte de ceux qui se souviennent de lui.

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Oraison pour Henri Corbin

— Par André Lucrèce —

henri_corbin-400Le monde ne garde souvent à l’esprit dans une société humaine que l’état du pire, la graveleuse condition dans laquelle on s’épie.

Et puis, se penche vers vous, sans que cela ne soit dû au hasard, la possibilité d’une rencontre dans l’estime. C’est là que j’ai rencontré Henri Corbin, cela fait bien longtemps. Comme il me l’écrivait lui-même : cette longue et affectueuse amitié sous l’investiture des clartés nouvelles. Nous nous sommes, en effet, rencontrés au lieu de la poésie pour laquelle il avait le souci de la minutie portée à la pointe de la parole, là où se joue, dans la chose écrite, l’horizon du poème.

Cette rencontre avec Henri Corbin relève de cette joie rythmée par les mille eaux des intrigues de la langue. Ne point répudier son utopie consubstantielle – au lieu même où on risque de se brûler les ailes – pour dire l’essentiel : le murmure enchanté des retrouvailles avec sa terre, sa passion pour le monde des humbles, la beauté de l’amitié. Et puis il y a la femme et la danse violente du désir.

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Convoi pour Henri Corbin

— Par Patrick Chamoiseau —

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Ce sont maintenant les routes qui s’ouvrent

Plénières

Elles disent les énergies de l’archipel
les chairs aimantes du continent
(ce sont les langues qui chantent

créole des Bitations et langue de France gâchée
dans ce que l’Amérique a fait de l’espagnol)

C’est cette force tremblante
Cette solitude en liberté qui empoignait d’emblée tous les rivages connus
Toutes les saisons
Tous les possibles
Du soleil de Marseille aux sentiments de Saint-Domingue

Des profonds de l’ici jusqu’aux passions vénézuéliennes
Le lieu mis sans bornages sous l’étendard des Amériques

Le lieu mis solidaire

René char disait que pour un poète
ce sont les traces et non les preuves qui font rêver

Ami

J’ai connu ta tendresse pour notre soleil commun

J’ai su entendre dans le recoin des confidences le chant des femmes captives
et l’incroyable des aventures

(chevelure gominée et couteaux de voyou)
Rien de fixe ou de banal dans cette vie soumise à poésie très pure
Tu plongeais dans les ombres et vivait de lumière !

Pas de tombeau !

Les tombeaux de l’exil sont tristes, disais-tu

Pas de tombeau quand l’exil est vaincu et que l’errance nous verse à Relation !

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Uruguay: décès de l’écrivain Eduardo Galeano

eduardo_galeanoL’écrivain et journaliste uruguayen Eduardo Galeano, auteur notamment de « Les veines ouvertes de l’Amérique latine« , est mort aujourd’hui à 74 ans des suites d’un cancer à Montevideo.

Paru en 1971 en espagnol puis traduit dans une vingtaine de langues, « Les veines ouvertes de l’Amérique latine », réquisitoire sans appel contre l’exploitation du sous-continent depuis l’arrivée des premiers colons espagnols, était devenu un des ouvrages de référence de la pensée de gauche des années 70 et 80 puis de l’altermondialisme.

Eduardo Galeano est issu d’une famille catholique et paienne. À quatorze ans, il entre comme débutant au journal socialiste El Sol (es), où il brosse des caricatures d’hommes politiques tout en assurant la chronique des arts et du théâtre. Il est censuré par le président Jorge Pacheco Areco. À vingt ans, il devient chef de rédaction au grand hebdomadaire Marcha et, en 1964, directeur du journal Epoca à Montevideo.

À la suite du coup d’État militaire de 1973, il est emprisonné avec des milliers d’autres opposants, puis s’exile en Argentine.

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« Petra von Kant » de Fassbinder : un mauvais béguin chez les L(G)B(T)

— Par Selim Lander —

Petra von KantRainer Werner Fassbinder (1945-1982) a écrit aussi bien pour le théâtre que pour le cinéma, passant de l’un à l’autre comme ce fut le cas pour Les Larmes amères de Petra von Kant, une pièce créée en 1971 par sa troupe (baptisée Anti-Teater), avant de faire l’objet d’un film, l’année suivante, avec Hanna Schygulla dans le rôle-titre. Pas d’intrigue dans cette pièce mais la descente aux enfers d’une bourgeoise arrivée, créatrice de mode en vogue, Petra, qui s’est prise de passion pour une jeune et ravissante prolétaire, Karine. L’argent ne peut pas tout acheter : la morale de la pièce est donc politique, en ce sens, mais le sujet principal est bien celui des ravages de la passion.

Deux personnages qui s’affrontent, deux femmes bisexuelles : Petra sort d’une mauvaise expérience avec un homme ; Karine, mariée, est prête à courir vers son mari dès qu’il se manifestera. Cela ne l’empêche pas de faire le premier pas vers Petra, en venant lui donner un baiser. Et Petra s’embrase immédiatement.

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Gauguin superstar à Bâle

 

Cette exposition hors du commun organisée à la Fondation Beyeler fait un tabac et réunit 50 œuvres magiques de celui a révolutionné l’art moderne.

C’est l’exposition de tous les superlatifs. Cinquante Gauguin sont réunis à Bâle dans les salles hautes et lumineuses de la Fondation Beyeler. Les prêts émanent de treize pays – du Museo Thyssen-Bornemisza de Madrid au Museum of Modern Art de New York en passant par les légendaires collections du musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg ou du musée Pouchkine de Moscou –, ce qui n’est pas une mince affaire à réunir si l’on en croit Sam Keller. Le directeur de la fondation est manifestement heureux d’être venu à bout d’un projet qui a exigé plus de six ans de préparation et fait exploser tous les plafonds d’assurance : 2,5 milliards de francs suisses.

L’exposition aligne les chefs-d’œuvre avec une rectitude quasi horlogère. On compte notamment pas moins de cinq autoportraits, de la toile fringante de 1893-1894, où l’artiste se figure palette à la main, chapeauté d’astrakan, au tableau plus sombre de 1903, année de la disparition de Gauguin.

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Mort de Günter Grass, prix Nobel de littérature

—Par Pierre Deshusses —
gunther_grassC’était un écrivain de  cœur et de gueule, sans conteste le plus célèbre des auteurs allemands de l’après-guerre. Günter Grass est mort lundi 13 avril, dans une clinique de Lübeck, a annoncé la maison d’édition Steidl. Il avait 87 ans. Prix Nobel de littérature en 1999, il était aussi un homme politiquement engagé à gauche, qui avait activement soutenu le chancelier Willy Brandt dans les années 1970 et farouchement critiqué la réunification dans les années 1990, sans compter ses multiples prises de positions en faveur des opprimés de tous les pays.

C’est en 1959 que Günter Grass fait son entrée en littérature. Une entrée fracassante sur la scène internationale avec son premier roman, Le Tambour (Die Blechtrommel), imposant par son volume, dérangeant par son propos, époustouflant par son style. Ce roman de plus de six cents pages rompt avec les deux singularités de la littérature allemande d’après-guerre : d’un côté la littérature des ruines (« trümmerliteratur ») représentée par Heinrich Böll, d’un autre la littérature expérimentale, dont le représentant le plus singulier est Arno Schmidt. Dans Le Tambour, Oskar Matzerath a trois ans lorsqu’il décide de ne plus grandir.

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Quand la bombe monétaire explosera

— Par Robert Saé —

bombe_monetaire1 / Un système en bout de course
L’histoire est ainsi faite ! Quand un système est devenu obsolète rien ne peut empêcher qu’il se délite. Pour sauver les meubles, les gouvernements qui gèrent le système capitaliste imposent des politiques et des mesures visant à concentrer au plus vite le maximum de richesses entre les mains d’une caste de plus en plus minoritaire. Conscients, cependant, que rien ne peut cacher les conséquences du saccage économique, notamment sur le plan social, ceux qui en profitent mobilisent leurs économistes et leurs médias pour détourner l’attention de l’opinion vers des leurres. Ce qui serait en cause, c’est « l’absence de compétitivité », « l’état d’esprit du marché et des investisseurs », « la baisse du nombre des cotisants » et « l’insuffisance de sacrifices ! » Comme si on pouvait attendre du criminel qu’il donne le nom du poison utilisé et qu’il livre l’antidote à celui qu’il veut tuer ! En réalité, c’est le système lui-même qui est atteint d’une maladie incurable.
Chacun sait que la monnaie joue un rôle central et fondamental dans le fonctionnement du système capitaliste.

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« Un obus dans le coeur » : mort et renaissance dans le silence de la mère

—Par Roland Sabra —
obus_ds_le_coeurC’est un moment d’émotions d’une rare intensité que nous a offert Hassane K. Kouyaté en programmant Un obus dans le coeur, le magnifique texte de Wadji Mouawad interprété par Julien Bleitrach qui signe la mise en scène avec Jean-Baptiste Epiard. C’était une nuit. Une nuit de rage. Une tempête sur la ville et dans la tête. Il neigeait et elle agonisait sur un lit d’hôpital.   Le téléphone avare de mots avait juste lancé : « Viens vite !  » Elle ? La mère ! Lui, Wahab le fils se dit : « Ma mère meurt, elle meurt, la salope, et elle ne me fera plus chier ! »» mais aussi : « Le clignement de mes yeux fait fondre le givre de mes cils et c’est l’hiver au complet qui pleure sur mon visage « . Même attendue, la mort est toujours une surprise. Elle survient au détour d’un chemin. « Nawal. J’étais dans l’autobus. Sawda, j’étais avec eux! Quand ils nous ont arrosés d’essence j’ai hurlé :  Je ne suis pas du camp, je suis comme vous!

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Conception assistée.

« Toutes les filles de Galilée sont programmées pour accueillir en leur sein le messie ».

annonce_marie—Par Jean Rouaud —

L’impossible équation que pose Dieu Lui-même en créant l’Homme à son image : Dieu, hors sol, hors temps = l’Homme, la terre et le temps. Pour tout le monde, ça fait deux poids deux mesures, pot de fer contre pot de terre. Et pourtant, pour ce qui est de la question de la représentation, tout va se jouer dans cet entre-deux. Comment passer de l’un à l’autre, de l’invisible au visible. Comment donner forme humaine à un principe créateur, comment faire tenir l’infini dans une mangeoire et l’éternité dans le cours d’une vie, comment blottir la toute-puissance divine dans les bras d’un nourrisson ?

Mais quand même on y parviendrait, 
comment identifier ce Dieu fait homme ressemblant à s’y méprendre au charpentier du coin ? Et d’abord, comment va-t-on le concevoir ? À la grecque. Pardon ? En s’inspirant du vieux fonds mythologique méditerranéen. Un dieu s’accouple avec une terrienne en se déguisant, par exemple, en cygne, et de leurs amours zoophiles naissent deux enfants d’un même œuf, Castor et Hélène (Pollux n’est que le demi-frère de Castor, et Hélène est celle dont la beauté va enflammer Troie).

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