— Par Dominique Daeschler —
Derrière ce titre (gaspillé, raté, défoncé), quatre vies qui vont le justifier à travers dialogues, monologues, chants. L’auteure, rompue au « spoken word » et à l’usage du vers shakespearien slamé, a trouvé une authenticité dans la parole donnée à ses personnages qui fait d’emblée du public un témoin de leur détresse. Martin Jobert metteur en scène a choisi des acteurs qui ont l ‘âge de leurs personnages Ted, Charlotte, Dan ( 25 ans environ) ce qui renforce ce côté de « plein pied », d’invitation à partager avec des potes.
Ces potes, rassemblés pour l’anniversaire de la mort de Tony qui les a secoués dans les rêves de leurs 15 ans rattrapés par le trio fête-drogue- alcool. Qu’ont-ils fait depuis ? Qu’auraient-ils fait avec lui ? Dans la vacuité du quotidien , passés à côté de leurs rêves, le temps ne leur fait pas de cadeau. Chacun réagit différemment . Ted s’il admet faire un boulot qu’il déteste voit dans sa vie tranquille, le salaire régulier et les petits bonheurs du quotidien des choses qui l’aident à vivre : fumer parce qu’il fait froid, entendre la clé de sa compagne tourner dans la serrure. Charlotte, face à la médiocrité de sa vie et d’un amour avec Dan qui se meurt , lui qui ne sait pas écouter l’autre, décide de partir pour quelques années. Dan se berce toujours d’illusions avec son groupe qui joue dans un bar, sans contrats ni producteur, il est celui qui attend sans avoir jamais rien essayé. Ted essaie de le convaincre de rejoindre Charlotte qui revient incapable de repartir à zéro, de fabriquer un autre futur …Les questionnements sont refoulés , abandonnés, les addictions aidant au culte du « bof ». La scénographie, les lumières, la musique confortent les situations avec douceur. Et les fumées de cocaïne deviennent paillettes comme une ultime désinvolture.
Voilà un spectacle solide tant par le texte, la mise en scène et le jeu des acteurs. Nous interrogeant sur les problèmes sociétaux d’ aujourd’hui avec la difficulté d’un passage à l’âge adulte qui touche toute une tranche d’âge.
Le 11. Jusqu’au 24 juillet. Relâche le 18.
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Nexus de l’adoration, texte et m e s Joris Lacoste
–— Par Dominique Daeschler —
Avant d’aborder le plateau, il nous faut rappeler que Joris Lacoste vient de la poésie et a fondé le collectif Encyclopédie de la parole où, à partir d’enregistrements sonores, de sources variées, il travaillait sur les dissonances . Enfin le mot nexus désigne un point de connexion où de multiples éléments se rencontrent, dans les réseaux, en science-fiction, dans les jeux vidéo où l’on passe dans des mondes parallèles.
Nous voilà prévenus, ce qu’il nous est donné à voir et à entendre célèbre l’hétérogène, où rien n’est exclu , où nos modes d’existence se côtoient, abordant le monde des choses et des réalités possibles permettant la mise place d’une cérémonie qui crée ses rites, sa liturgie. Ainsi les neufs officiants créent des situations scéniques apparemment sans queue ni tête , passant du coq à l’âne , de la confidence à la conférence, de l’information sur Gaza aux réseaux sociaux, utilisant l’art du cut up. Dans ces flux absolus, tous registres confondus, on danse, on chante, on fait de la musique, performe, on parle par sentences , slogans publicitaires. Pour Lacoste, cette cacophonie est un rituel joyeux où peut entrer un public qui, arrivé avec une culture différente, se reconnaît dans une histoire, une chanson populaire, une référence. Cette possibilité d’identification de chacun crée une harmonie, un » vivre ensemble ». C’est décapant et si la tête tourne un peu on passe sans broncher de la confidence sur la mort de la mère à l’anniversaire de Stallone avec un détour sur l’identité nationale. Le plateau vibre en permanence avec ces acteurs performeurs ,musiciens, danseurs, dans une orchestration très rigoureuse qui permet d’entrer dans cette hétérogénéité sans lassitude, en valorisant le talent des acteurs.