« VAINCRE À ROME, la légende de l’homme-panthère capable de courir du coucher au lever du soleil » de Sylvain Coher, m.e.s. Thierry Falvisaner

Les 23, 24 & 25 novembre à 19h 30 au T.A.C.

Avec Adrien Chennebault, Timothé Ballo,, Thomas Cerisola, Ganne Raymond & Thierry Falvisaner

Écriture dramatique, interprétation et musique originale, danse & vidéo
Nous sommes simultanément en Italie et en Éthiopie ; simultanément en 1960 et en 2020, et parfois même en 1935, lorsque le grondement sourd de la guerre se fait entendre. À Rome près du Forum où se déroule le marathon olympique et dans l’appartement familial d’Addis-Abeba, nous sommes en compagnie du souvenir d’Abebe Bikila, double champion olympique, et de sa femme Yewebdar qui l’attend au pays. L’entraîneur suédois Onni Niskanen et le commentateur radio Loys Van Lee nous aident à reconstruire mentalement cette course mythique du 10 septembre 1960, durant laquelle le jeune soldat éthiopien devient le premier Africain médaillé d’or, en courant pieds nus sur les routes italiennes…

Le dispositif scénique est dépouillé, permettant ainsi de passer d’un lieu à un autre, d’une époque à une autre, dans un étrange continuum. Le corps de l’athlète est celui du danseur.

Central. Évanescent. C’est un corps fragile soumis à la tension et à l’effort d’endurance. La musique jouée en direct sur le plateau lui offre une pulsation vitale et les mots portés par son coach et son épouse dessinent progressivement le contexte historique de la course : c’est le temps du souvenir et de la représentation, celui de l’espoir et de la désillusion. C’est la conversation d’une femme qui replace à l’échelle humaine l’Histoire toute entière d’un pays, presque d’un continent.
L’histoire légendaire de cet « homme-panthère, capable de courir du lever au coucher du soleil », c’est la revanche du sport contre la guerre. Celle d’un jeune soldat courant contre les fantômes oubliés d’une armée colonisatrice. Puisque vaincre à Rome, comme l’aurait dit l’Empereur Haïlé Selassié, c’était comme vaincre mille fois.

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La forme théâtrale est bien distincte du Roman éponyme de Sylvain COHER.
Ici, la parole n’est pas exclusivement portée sous la forme du monologue intérieur durant les kilomètres égrenés : la pièce propose une conversation à trois entre un sportif, son épouse lointaine et un coach infaillible, le tout rythmé par les interventions récurrentes « en direct » d’une voix radiophonique des années soixante.

Ce dialogue, c’est Yewebdar BIKILA qui le motive, comme si elle faisait revivre la mémoire d’Abebe le temps de la pièce, le temps de la fameuse course olympique.

Elle convoque la grande Histoire durant cette année cruciale de la décolonisation. Elle renoue les fils historiques communs de l’Éthiopie et de l’Italie : ceux de l’occupation, des guerres et de la spoliation ; mais également son histoire intime de femme bouleversée par le fulgurant et tragique destin de son défunt champion.

Dans le roman, le lecteur est plongé dans une véritable sensation immersive afin qu’il partage ces 42 kilomètres 195 entre les plaines d’Afrique, les chemins caillouteux et l’asphalte brûlant. Le lecteur appréhende ainsi par les mots le corps en souffrance, les muscles qui se tendent, la répétition, le rythme, la cadence.

Cette sensation, nous avons tenté́ de la traduire, pour les spectateurs, par le corps visible du marathonien. Un corps dont les mouvements sont mille fois répétés. Un corps qui cherche le geste parfait, qui parfois se fait mal, qui parfois s’épuise.

Le coureur est un danseur, il cache son effort au spectateur comme Abebe cachait sa douleur aux adversaires. « Caché, m’a dit papa, courir caché. » Ces mots, ce sont ceux que BIKILA se répète durant la course.

La sensation de l’effort vient aussi par le son d’une voix médiatique surannée, des images au grain fané, de la musique qui accompagne et dialogue en direct avec le corps du coureur-danseur.

Cette sensation, c’est la figure de Yewebdar : une femme africaine fragile et forte. Et c’est aussi celle d’Onni NISKANNEN : entraîneur, père de substitution ou militaire engagé dans la course comme au combat.

L’espace visuel convoque le sable et l’ocre, vire de l’or aveuglant au sanguin plus terreux. Les costumes et les flambeaux, qui accompagnent la course et la présence physique du musicien, sont au coeur du dispositif scénique. Le travail de mapping vidéo, sur la piste de danse, sur la piste de course, se transforme au gré̀ des 5 scènes rythmées par la préparation, le départ, la gestion, l’accélération et la ligne d’arrivée.

Nous avons voulu rendre vibrant le mythe d’Abebe BIKILA, figure d’un peuple et d’un continent.

Après cette course du 10 septembre 1960, après la victoire d’un homme noir aux pieds nus dans la Ville éternelle, rien ne sera plus comme avant.

La course reste un prétexte, puisqu’il s’agit de parler du corps, de la vitesse et de l’Histoire qui s’écrit sous nos yeux. Pour le spectateur, c’est une plongée sensible dans un monde où l’effort rejoint les symboles. Un monde où l’apparente simplicité́ d’un acte sportif dévoile des motivations plus complexes.

Par-dessus tout, nous avons souhaité́ stimuler, par l’intensité et la proximité des sensations, l’empathie de tous pour un homme extraordinaire, qu’un destin joueur et cruel n’aura cessé de contrarier.

Thierry Falvisaner et Sylvain Coher

La révélation d’un champion hors normes
Abebe Bikila est né le 7 août 1932 — le jour du marathon des Jeux olympiques de Los Angeles — à Jato, un village non loin de Mendida, dans la zone Mirab Shewa de l’actuelle région Oromia. Il s’engage dans la garde impériale de Haïlé Sélassié.

Il s’entraîne seul pendant deux ans avant d’être repéré en 1959 par les instances éthiopiennes d’athlétisme et Onni Niskanen, membre de la Croix-Rouge et passionné d’athlétisme. Abebe Bikila devient alors moniteur d’éducation physique de la garde impériale et suit un entraînement plus encadré sous la conduite de Niskanen. Il lui fait aussi pratiquer le tennis et le basket-ball pour travailler sa coordination. Dès 1959, sa réputation franchit les frontières de l’Éthiopie. Il aurait couvert le marathon en 2 h 21 min 23 s, mais certains mettent alors en doute cette performance hors normes.

Il est sélectionné pour participer aux Jeux olympiques de Rome en 1960 dans l’épreuve du marathon, en remplacement d’un coureur blessé.

Lors du passage de la visite médicale d’avant course, les pieds d’Abebe Bikila sont l’objet de nombreuses interrogations. Il s’entraînait toujours pieds nus et avait développé une épaisse corne. Lors des entraînements, il avait essayé de mettre des chaussures, mais ses performances étaient alors moins bonnes. Il tente bien de trouver des chaussures à Rome, mais aucune ne convient ; il développe même des ampoules.

En nocturne, il remporte la course pieds nus2,4 en 2 h 15 min 16 s (record du monde) devant le favori marocain, Abdeslam Radi, qui est définitivement décroché au 41e kilomètre. Radi termine à 25 secondes avec 200 mètres de retard sur Abebe Bikila. Juste après la course, il refuse de s’asseoir et de boire, repoussant même la couverture qu’on lui tend pour se protéger du froid. Niskanen l’oblige quand même à boire un verre de Coca-Cola. Modeste, il déclare alors : « Dans la Garde Impériale, il y a beaucoup d’autres coureurs qui auraient pu gagner à ma place ». Il est le premier athlète d’Afrique noire médaillé d’or olympique.

Il devient alors un héros national éthiopien. Son accélération réussie près de l’obélisque d’Aksoum et son arrivée à l’Arc de Constantin est aussi un symbole politique, un quart de siècle après l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie2,3,5. Sa victoire marque également la montée et la domination future des coureurs de moyenne et longue distance provenant de l’Afrique de l’Est.

Il reçoit une voiture et un appartement en récompense. Impliqué presque malgré lui dans un coup d’État manqué contre l’empereur juste après les Jeux, il est gracié. Il se consacre alors à son sport et remporte trois marathons. Il termine cinquième au marathon de Boston en 1963 ; c’est le seul échec de sa carrière durant laquelle il franchit la ligne d’arrivée de 13 marathons.

Un deuxième titre historique

Abebe Bikila (1968)
Bikila a beaucoup changé entre 1960 et 1964. Il porte désormais des chaussures de marque ASICS, un équipementier japonais qui le rémunère plus ou moins discrètement. Il fait de plus attention à sa tenue et est même devenu un peu coquet.

Quarante jours avant les Jeux olympiques de Tokyo, pendant un entraînement, Abebe ressent une douleur au ventre qu’il essaye de surmonter, jusqu’à son hospitalisation où est diagnostiquée une appendicite aiguë. Il est opéré le 16 septembre 1964, soit 35 jours (ou 40 selon d’autres sources) avant le marathon olympique. Le secret de cette hospitalisation est préservé ; elle n’est dévoilée qu’après la course.

Il termine la course en 2 h 12 min 11 s, nouveau record du monde, plus de quatre minutes avant le suivant. À peine la ligne franchie, il entame une séance d’étirements qui surprend le public, tant il ne parait pas fatigué. En fait, il cherche à se défaire de débuts de crampes. Il devient alors le premier athlète à remporter le marathon olympique deux fois de suite.

Au Japon, il reçoit en cadeau d’Hailé Sélassié une bague en or, ornée d’un gros diamant, qui disparaît le jour même. La presse et la police japonaises enquêtent sans succès. Trois jours plus tard, une femme de ménage a retrouvé la fameuse bague… dans le vestiaire d’Abebe Bikila.

De retour en Éthiopie, il est longuement fêté. En 1965, l’émission Les Coulisses de l’exploit lui consacre un sujet réalisé par François Chalais, qui passe trois jours en sa compagnie.

Fin de carrière

Le 30 juillet 1967, il se fracture le péroné à l’occasion de son 14e marathon, il est contraint pour la première fois à l’abandon. Après un traitement en Allemagne, sa blessure le gêne toujours au moment de s’aligner au départ du marathon olympique des Jeux olympiques de Mexico en 1968. Il est dispensé par les organisateurs de passer par les qualifications mais abandonne logiquement peu avant 15 km de course. C’est son dernier marathon, remporté par son compatriote Mamo Wolde.

Il est victime d’un grave accident de voiture sur la route reliant Addis-Abeba à Dessie6 le 22 mars 1969. Il reste prisonnier de la carcasse de sa Volkswagen Coccinelle toute la nuit. Au petit matin, un berger le découvre et appelle les secours. La nuque brisée, Abebe Bikila est transporté d’urgence à Londres dans l’avion personnel de l’empereur Hailé Sélassié6. Il lutte pendant huit mois contre la mort, survit, mais perd l’usage de ses jambes. Il se met alors à la course en fauteuil et au tir à l’arc.

Il reçoit une ovation pleine d’émotion du public du stade olympique de Munich à l’occasion des JO de 1972 où il n’est que simple spectateur.

Il meurt en 1973 d’une hémorragie cérébrale à l’âge de 41 ans, une complication due à son accident. 65 000 personnes assistent à ses obsèques, dont Hailé Sélassié.

Hommages

Plaque commémorative à Rome, apposée pour le 50ème anniversaire de sa victoire au marathon.
Le stade d’Addis-Abeba, une rue de Saint-Jean dans la Haute-Garonne, d’Amsterdam, de Florence, ainsi que le pont de Ladispoli d’où est parti le marathon olympique de 1960[réf. nécessaire], portent son nom.

Abebe Bikila est le marathonien qui sert de modèle à Dustin Hoffman dans le film Marathon Man (1976) de John Schlesinger. Le film contient des extraits d’images d’archives le montrant en train de courir.

Une exposition lui a été consacrée, en 2008, au Musée national d’Addis-Abeba.

Pour le 50e anniversaire de sa première victoire olympique, le marathon de Rome lui a été dédié3. Les premières places, aussi bien pour les hommes que les femmes, ont été remportées par des athlètes éthiopiens3, Siraj Gena finissant même les 300 derniers mètres de la course pieds nus.

En mars 2012, Abebe Bikila est l’un des douze premiers athlètes — avec Emil Zátopek, Carl Lewis, Paavo Nurmi ou encore Jesse Owens — présentés au Temple de la renommée de l’IAAF pour ses deux titres olympiques et ses records du monde en marathon.

Un modèle de chaussures de la marque FiveFingers (Vibram) est appelé « Bikila ».

Le livre de Sylvain Coher, Vaincre à Rome, paru aux éditions Actes Sud, relate sous forme d’introspection la course d’Abebe Bikila au marathon de Rome en 1960.