Une mystification, et puis des chiffres et des lettres pour débattre

Poster-Tabou

— Par Roland Sabra —

Edito du 20/11/2007

 Il y a longtemps que le psychanalyste Guillaume Suréna n’était pas intervenu avec autant de force dans le débat politique en Martinique. Il le fait non pas de cette place singulière qui est la sienne – ils sont, semble-t-il,  très peu en Martinique à pouvoir tenir cette place –  il le fait comme membre de la Cité. Mais l’un ne va pas aisément sans l’autre. Et c’est précisément de cela dont il est question de la place de l’Un et de celle de l’Autre. Les mots d’ordre « Tous créole« , « Tous ensemble » sont issus de la même veine : celle du désir fusionnel, celle de la négation de l’altérité, celle de haine de la différence, celle qui excluant toute référence au discours les pose  comme nécessairement équivalents. Le discours du Maître et le discours de l’Esclave dans ce méli-mélo unisexe tant à la mode, dans une version tropicalisée du metro-sexuel, cet urbain qui marchandise sa part de féminité chez Garnier et l’Oréal. Que cette différence, ou distinction, selon Irène Théry ( cf. ci-après) relève de la nature, de la culture, qu’elle relève d’un fait intangible ou d’un construit sociétal, elle est est au fondement du symbolique. Nul, békés et mulâtres, pas plus que les autres, ne sont  maitres de la forme du discours qui les structure. C’est le discours qui les tient. Le refoulement sur lequel repose la mystification du « Tous créole » ne tient pas fort. Le retour du refoulé est déjà là, dans les oublis, dans les absences,  dans les pas de clerc, dans les actes manqués, dans les lapsus du discours, et « ce n’est qu’un début« . Sans ironie.

Philippe Sollers écrivait il y a bien longtemps : « Le début du fascisme, c’est quand tout le monde pousse dans le même sens. » ça n’a pas vieilli. La démocratie suppose le débat à partir de positions repérées et clairement assumées loin du bêlement unanimiste et apolitique d’un « Tous créole ». Les conflits, les luttes, les désaccords, qui travaillent la société martiniquaise ne sont pas des inventions, des chimères, ce sont des réalités inscrites  avec des lettres de feu sur le corps des populations de ce pays.

Inexorablement les inégalités sociales, en France et en Martinique se creusent. Les pauvres sont officiellement plus de 7 millions, soit 260 000 de plus en deux ans, entre 60 000et 66 000 rien qu’en Martinique où  la source des effets positifs ( si, si,) de la départementalisation semblent s’être tarie. Dans le même temps le patrimoine des plus riches  ne cesse de s’accroître. Les plus riches sont de plus en plus riches, a tel point que les écarts inter-déciles ( tranches de 10 %) qui jusque là mesuraient assez fidèlement les inégalités de revenus ne rendent plus compte de cette  réalité et qu’il faut avoir recours aux centiles (tranches de 1%). Ce qui pose le problème de l’instrument de mesure et il est vrai que rarement les statistiques auront été autant en débat. Celles du chômage, avant et pendant la campagne présidentielle, celles, interdites par le Conseil constitutionnel, sur l’origine ethnique des populations, celles de la criminalité, toutes  nous rappellent  qu’il n’y a pas de neutralité de l’outil, qu’il s’agit là d’un construit social et qu’elles sont donc l’objet dune élaboration et d’une appropriation dans un rapport social où dominent les enjeux politiques.

Dans un livre qui devrait faire date, « La Distinction de sexe Une nouvelle approche de l’égalité » Irène Théry, spécialiste des transformations des rapports entre hommes et femmes et entre générations remet en cause le fondement du symbolique qui repose chez  Claude Lévi-Strauss sur l’échange des femmes, et chez celle qui lui a succédé au Collège de France, Françoise Héritier sur la différence des corps posé comme un donné naturel. A Freud qui, paraphrasant Napoléon  proférait «L’anatomie, c’est le destin», Irène Théry répond que notre identité ne saurait donc se résumer à notre sexe.  Cette approche relationnelle, qui insiste l’institué de l’univers social, sur la recomposition permanente de l’imaginaire (Castoriadis) aussi dérangeante soit-elle n’est peut-être pas éloignée du débat sur les statistiques.

Enfin, dans un tout autre registre, Selim Lander et moi ne sommes pas d’accord à propos des deux dernières pièces jouées à Fort-de-France. Et c’est tant mieux! Quand je trouve le verbe de Claudel solaire, il trouve le propos de « L’échange »  » gnan-gnan« ; quand je trouve la prestation de Magali Comeau-Denis dans « Amour » stéréotypée il pense qu’elle touche à la perfection. Selim Lander est un ami avec lequel il est bon de discuter, de se disputer car nous avons au-delà de nos divergences, un intérêt commun pour les arts de la scène. Et si les hommes politiques à propos de la Martinique…

 Le 22-XI–07 R.S