« Un personnage en quête de sublimations », un essai de Mathilde Girard

Collection Connaissance de l’Inconscient, Série Le principe de plaisir, Gallimard
Parution : 24-10-2019
La sublimation – la dérivation des pulsions vers des objets non sexuels, socialement valorisés – est un concept psychanalytique insatisfaisant : depuis 1905 que Freud l’a décrite, on ne voit clairement ni son mécanisme ni sa genèse. Le «personnage» en question est donc d’abord l’auteur, en quête du concept. Mais c’est aussi, c’est surtout, le Léonard de Freud, le Monsieur Teste de Valéry, le Richard III de Shakespeare, le Valéry de Pontalis, sans oublier ces femmes «à passions élémentaires, enfants de la nature qui refusent d’échanger le matériel contre le psychique» : autant de personnages vivant d’une vie intermédiaire, mi-héros de papier, mi-personnes réelles.
Mathilde Girard fragmente ainsi le concept de sublimation en petites quantités – rencontres, parcours croisés, passions discrètes, dérives nouvelles. Elle en étudie la survenue, l’activité : quand? de quelle manière? Pourquoi chez l’un et pas chez l’autre, pourquoi chez ce personnage qui est «souvent un homme, et même un homme génial»? «Dans son génie, il ressemble à l’enfant qu’il était, qu’il a gardé en lui. Il fait des projets, des croquis d’espaces, des dessins d’oiseau. Parfois il part dans ses pensées pendant longtemps. Il s’abstrait. Il s’excepte du monde.»
Ce livre est l’histoire d’un personnage passionnel qui se heurte exemplairement à nos raisons culturelles.

Prix :12,50 €
Disponible au format numérique
Epub
Parution : 24-10-2019
8,99 €
Pdf
Parution : 24-10-2019
8,99 €

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Essai. L’art de la sublimation
— Par Didier Pinaud —

Un personnage en quête de sublimations Mathilde Girard Gallimard, 128 pages, 12,50 euros
La psychanalyste Mathilde Girard étudie le recours à la sublimation dans la littérature.

Mathilde Girard a d’abord écrit sur Sade et Georges Bataille, dans l’essai intitulé l’Art de la faute (Lignes, 2017). Aujourd’hui elle veut étudier un autre personnage, en lieu et place du célèbre concept de la psychanalyse : la sublimation. Freud a défini le travail de la cure assez directement comme sublimation, « c’est-à-dire comme travail de domestication de la pulsion ». À sa suite, Lacan viendra expliquer que la sublimation consiste à élever l’objet à la dignité de la Chose (à la plénitude). C’est une satisfaction « plus haute », de plus haute vertu que simplement sexuelle. C’est une autre visée que la sexualité ; et on peut dénommer sublimation cette nouvelle structure dont le phénomène est l’écriture. De fait, l’écrivain, l’artiste, est « un personnage en quête de sublimations ». En vérité, « en chaque homme se cache un auteur », disait Freud. C’est dire si la sublimation est un concept qui est une énigme. C’est même un concept délicat, surtout lorsque Freud s’y consacre à propos de Léonard de Vinci…

On voudrait raconter une histoire simple, dit Mathilde Girard, « ne plus penser les pensées des autres ». L’autrice dit encore qu’en psychanalyse l’intelligence ne sert à rien. Mais ne faudrait-il pas surtout dire de la psychanalyse que « la bêtise n’est pas son fort », comme le dit de lui-même un célèbre personnage de la littérature, Monsieur Teste, de Paul Valéry ? Écoutez plutôt : « La bêtise n’est pas mon fort. J’ai vu beaucoup d’individus ; j’ai visité quelques nations ; j’ai pris ma part d’entreprises diverses sans les aimer ; j’ai mangé presque tous les jours ; j’ai touché à des femmes. Je revois maintenant quelques centaines de visages, deux ou trois grands spectacles, et peut-être la substance de vingt livres. Je n’ai pas retenu le meilleur ni le pire de ces choses : est resté ce qui l’a pu. » Mathilde Girard montre que Monsieur Teste est sans doute la créature de tout écrivain, et qu’une histoire se raconte à travers lui, « qui se refuse à toute psychologie, à tout récit ». Mais qu’est-ce qui fait la vie d’un écrivain ? C’est cette question aussi simple que vertigineuse, simple parce que concrète, historique, biographique, chez Sade ou Bataille, Freud ou Valéry, voire Shakespeare ou Woolf, par laquelle il faut passer pour entrer dans l’écriture et la sublimation. Comme la Chose, la sublimation « fait mot », dirait Lacan, au sens de motus : elle est parole mais aussi silence. Elle permet de supporter la souffrance. D. P.

Source : L’Humanité.fr