Un enseignement participatif original pour les élèves dits en difficulté

— Par Dominique Daeschler —

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Comédie musicale, crée et jouée par les élèves sur le thème de la lutte contre les violences

De retour au pays Martinique après dix ans d’exercice professionnel en métropole, Denis Kimboo est frappé par la perte du « vivre ensemble » et de la fraternité. L’urbanisation, la consommation à outrance, le chômage ont changé les donnes de la société. Le jeune se trouve souvent sans repaires face à la violence. De son expérience en formation continue des adultes où il a beaucoup planché sur la conception et la mise en œuvre de modules spécifiques, Denis Kimboo a retenu la nécessité de « l’apprentissage de l’autre ».
Entouré d’enseignants en souffrance, souvent agressés, sans solution face à des jeunes en déshérence, le voilà qui retrousse ses manches. De son enfance où la notion de « famille élargie » chère à Philippe Ariès et de coup de main font sens, il retient le partage et les codes de solidarité. Dans ses interventions en politique de la ville il voit les deux côtés : l’institution qui tente de réguler face à la famille déglinguée dans une société malade. Il ya urgence à agir. Réflexe de formateur : créer un dispositif qui mette en avant la réflexion de groupe pour les enfants, apprendre de façon ludique (rôle primordial de l’image en mouvement) et expérimenter rapidement.

Les clés de la méthode

  • Un contact personnalisé avec l’enfant (la méthode s’adressant aux enfants dits en échec scolaire)
  • Jouer sur l’interaction investigation, restitution, production
  • Un programme qui définit des objectifs et se décline en modules
  • Créer des situations de valorisation qui permettent de repérer des leaders et leurs capacités (situation de challenge appliquée au bien commun du groupe)
  • Autoévaluation permanente
  • Personnalisation de l’acquis évitant le par cœur et la standardisation

La constitution d’une mallette pédagogique

Denis Kimboo la conçoit de A à Z avec la volonté d’être hors d’un cadre conventionnel. Au bout de deux ans d’expérimentation, en 2012, la maquette basée sur l’adéquation par l’image est présentée lors d’un séminaire de langues cherchant des projets innovants. Une synthèse, présentée par l’enseignante qui l’expérimente suscite l’intérêt du corps enseignant tous niveaux confondus. Oui, le projet est réellement innovant. Une information est mise en ligne. L’originalité des évaluations (élèves entre eux, enseignant et méthode évalués par les élèves), l’amélioration des résultats scolaires, la régression de la violence et la réalité de classes devenues « sociétés participatives » interpellent. On en reste cependant là sans édition de mallette et sans expérimentation élargie. Le collège Edouard Glissant du Lamentin, qui applique la méthode, continue vaillamment sa route.

Des élèves gonflés à bloc, une enseignante enthousiaste

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Comédie musicale, crée et jouée par les élèves sur le thème de la lutte contre les violences

Volontaire pour faire quelque chose de nouveau avec des élèves qui n’ont pas un programme défini en anglais mais où il faut recadrer, restructurer, apprendre à comprendre, faire comprendre notamment en stages d’entreprise, Michelle Rosette Lima consacre ses deux mois de vacances en 2010 à préparer avec Denis Kimboo la mise en œuvre des contenus de la mallette pédagogique. Ce professeur d’anglais met en application depuis six ans cette méthode qui modifie la façon d’enseigner sur l’ensemble des classes dont elle a la charge en tant que professeur principal, avec l’appui bienveillant de son proviseur. Elle évoque d’emblée son plaisir d’aller au travail sans stress tant les valeurs citoyennes s’exercent dans le partage et l’attention mutuels.

La valorisation de la différence

Pour Michelle Rosette Lima, la clé de la réussite tient beaucoup à l’absence de crainte de dévalorisation. L’évaluation du travail à travers le découvrir, le dire, le faire met en avant un savoir être relationnel, une maîtrise de l’estime de soi qui accélèrent l’acquisition du savoir et sa mise en œuvre dans sa restitution. Les objectifs consignés à l’apprenant (pragmatique, lexical, linguistique, sociolinguistique, phonologique) sont rattachés entre eux et les thèmes se déclinent en modules sous forme de séquences ou la notion d’acquisition en groupe est primordiale. L’hétérogénéité de la classe devient une force. Ensemble les élèves ont tout le programme de l’année sous les yeux. L’ordre des modules peut varier et ces derniers sont parfois réajustés : l’interpellation par l’image est constante développant de façon ludique la curiosité et l’esprit de challenge. L’outil informatique est utilisé sous toutes ses formes : diaporama, power point etc. Il donne, avec sa maîtrise, une grande liberté de création aux élèves. En outre, l’évaluation faite en temps réel avec une mise en commun des compétences apporte dans la circulation des idées le sens de l’écoute et une pratique fluide de l’interdisciplinarité. La structuration de l’évaluation des élèves est faite par eux-mêmes (choix des délégués, établissement de « diplômes », valorisation de l’avancée des plus faibles…). Le travail n’est pas fait en ilot et change la donne : parents, ipr, collègues en voient le bénéfice.
Michelle, la passionnée, avoue aussi combien l’absence de conflit a modifié sa façon d’être en classe. Cool ! Que du bonheur ! Pour aller plus loin, avec d’autres, notamment dans l’application de cette méthode et la réflexion engagée sur la généralisation de l’outil, elle a demandé une formation de formateur académique.

En attendant on danse !

Pourquoi ne pas essayer de transmettre un message de partage en dehors de la classe se basant sur la même façon de travailler, une comédie musicale, ode à la non violence baptisée «  Pour un regard » a vu le jour en 2012. Beau succès populaire et reconnaissance des pairs : un voyage aux Etats Unis avec les élèves a permis un échange qui ne demande qu’à être poursuivi. Bon vent aux capitaines et à l’équipage !
Dominique Daeschler