« Trois femmes et la pluie » et la mise en scène ?

— Par Roland Sabra —

En matière de théâtre Lolita Monga n’est pas née de la dernière pluie. Auteure dramatique, metteure en scène, comédienne, poétesse, elle a la passion des mots. Les siens, flamboyants qui mêlent français et créole, et ceux d’auteurs qu’elle apprécie. Pour « 3 femmes et la pluie » elle a choisi Remi De Vos, Carole Fréchette et Daniel Keene. Elle voulait «  Dresser la topographie de la mémoire qui reste de l’adolescence à l’âge adulte en les rattachant à des sensations physiques, des lieux, des histoires vécues. » Dans le premier volet du triptyque une femme se souvient des tourments de son adolescence passée dans la ferme de ses parents éleveurs de porcs au beau milieu de nulle part. Elle dit la lubricité des hommes qui la déshabillent du regard, en espérant davantage. Elle dit le machisme de son père qui l’empêche d’aller au bal. Elle dit l’enferment de sa mère dans la dépression. Elle dit le travail d’émancipation nécessaire pour se débarrasser de ses parents et accéder à la réalisation de son désir, quand bien même fut-il celui d’une adolescente de 14 ans d’être déflorée par un homme de 10 ans son aîné.

L’élément central de la pièce est un texte de Carole Fréchette «  Morceaux choisis » qui porte bien son nom. Dans une vente aux enchères une femme vend des morceaux de son corps, son front lisse et doux, ses paupières qui tremblent en se fermant, un soupir devant la mer, une cicatrice… et il y a toujours une enchérisseuse qui se montre la plus offrante. Le corps marchandisé à l’extrême.

Le dernier panneau du triptyque est donc « La Pluie » de Daniel Keene » qui raconte comment Hannah, il y a bien longtemps, alors qu’elle était encore jeune, est devenue la gardienne de toutes sortes d’objets que des gens pressés de monter dans un train, pour un voyage sans retour, lui ont donné. Elle se souvient des objets avec précision, elle les a rangés, classés, déplacés. Des voyageurs, de ce qu’ils étaient, peu de choses lui restent. Elle ne veut pas savoir. Et pourtant, dans multitude des silhouettes floues qui l’habitent, une d’entre elles, présente depuis le premier jour, va se faire de plus en plus précise et insistante, celle d’un garçon de son age qui lui a offert une petit flacon d’eau de pluie avant d’être emporté à jamais.

L’intention de Lolita Monga est méritoire. La dénonciation des corps chosifiés, marchandisés avant d’être exterminés et réduits en engrais est tout a fait louable, en ces temps de barbarie, de réfugiés parqués dans des camps, de migrants sans secours, noyés dans une mer d’indifférence avant de l’être réellement.

On regrettera simplement l’absence de mise en scène qui aplatit les textes et donne une dimension récitative à la prestation de la comédienne et la faible prestation de Rémi Cazal, ce soir là à l’accompagnement sonore, faisant disparaître toute possibilité de dialogue, d’échange, entre textes et musiques. « Morceaux choisis » qui met en scène 7 personnages nécessite dans sa présentation le recours à plusieurs voix pré-enregistrées avec lesquelles Lolita Monga s’efforce de dialoguer sans que cela soit très convainquant. Dommage car c’était peut-être le passage le plus intéressant du spectacle.

Fort-de-France, le 19/11/22

R.S.