Tribune contre la nomination de Sylvain Tesson comme parrain du Printemps des poètes

La fin de l’année 2023 a signé le glissement du second mandat d’Emmanuel Macron, un président auto-désigné comme « ni de droite, ni de gauche », vers un projet politique plus que jamais proche de l’extrême-droite, illustré notamment par le vote de la nouvelle loi sur l’immigration – revendiquée comme une « victoire idéologique » par Marine Le Pen – et marqué par une idéologie réactionnaire où les changements sociaux, pourtant inhérents à toute société démocratique, incarnent un danger.

Au vu de ce contexte, nous, poétesses, poètes, éditrices et éditeurs, libraires, bibliothécaires, enseignantes et enseignants, actrices et acteurs de la scène culturelle française, refusons la nomination de Sylvain Tesson comme parrain du Printemps des Poètes 2024.

En mars, bien au-delà de la programmation officielle du Printemps des Poètes, la poésie est mise en valeur de façon autonome par de nombreuses structures, notamment en milieu scolaire, en médiathèque, en librairie et dans des festivals, où nombre de poétesses et de poètes sont invité·es. Nous refusons qu’un événement culturel auquel nous sommes de fait inextricablement lié·es de façon symbolique, créé « afin de contrer les idées reçues et de rendre manifeste l’extrême vitalité de la poésie », soit incarné par un écrivain érigé en icône réactionnaire. Sylvain Tesson a été proche par exemple de Jean Raspail, auteur d’un ouvrage de référence de l’extrême-droite, Le camp des saints, qui n’est autre qu’une dystopie raciste sur l’immigration, ou encore déclaré tout sourire à l’Express : « Si vous voulez faire peur à vos enfants, ne leur lisez pas les contes de Grimm, mais certaines sourates du Prophète ! ». Comme l’a largement montré le journaliste indépendant François Krug dans Réactions françaises. Enquêtes sur l’extrême-droite littéraire, un essai publié aux éditions du Seuil en 2023, Sylvain Tesson fait figure de proue de cette « extrême-droite littéraire », aux côtés de Michel Houellebecq et Yann Moix, un triste panel d’« écrivains en vogue » dont les prétendus accidents de parcours se révèlent, en réalité, les arcanes d’un projet « d’une sinistre cohérence » que nous refusons et condamnons.

Nous alertons sur le fait que la nomination de Sylvain Tesson comme parrain du Printemps des Poètes 2024, loin d’être contingente, vient renforcer la banalisation et la normalisation de l’extrême-droite dans les sphères politique, culturelle, et dans l’ensemble de la société. En fermant les yeux sur ce dont cet écrivain est le nom, la directrice Sophie Nauleau et son conseil d’administration témoignent de cette normalisation au sein des institutions culturelles, que nous rejetons fermement. Elle avait déjà, en 2018, inauguré la manifestation par un défilé de la Garde républicaine. De plus, des sommes considérables issues de l’argent public sont allouées au Printemps des poètes, pour une activité concentrée essentiellement sur une manifestation de deux semaines. L’argent public engage à servir le public et non des prises de positions politiques personnelles de la direction, surtout quand celles-ci sont anti-démocratiques. La vague de commentaires d’indignation suite à l’annonce de la nomination de Sylvain Tesson sur les réseaux sociaux, loin d’avoir été prise en compte, a été systématiquement supprimée, sans qu’aucune justification ne soit formulée par le Printemps des poètes.

Nous soutenons que la banalisation d’une idéologie réactionnaire incarnée par Sylvain Tesson va à l’encontre de l’extrême vitalité de la poésie revendiquée par le Printemps des poètes. La poésie est une parole fondamentalement libre et multiple. Elle ne saurait être neutre, sans position face à la vie. La poésie est en nous, elle porte nos douleurs. Elle est dans la masse. Le quotidien. L’infâme. La tendresse. La rue. L’épuisement. Le quartier. Elle est dans nos silences. Nos joies. Elle est dans nos corps broyés, nos corps souples, nos regards flamboyants et nos brèches. Dans les souffrances de nos sœurs. Dans ce qui résiste. Dans la langue debout. Elle est aussi dans le queer, le trash, la barbarie, le vulgaire. Dans la colère qui rythme nos souffles. Dans tout ce que nous sommes et ce en quoi nous n’étions pas destiné·es à survivre.

Nous, poétesses, poètes, éditrices et éditeurs, libraires, bibliothécaires, enseignantes et enseignants, actrices et acteurs de la scène culturelle française, nous élevons contre la nomination de Sylvain Tesson et demandons au Printemps des Poètes d’y renoncer. S’iels nous prennent la grâce, nous garderons la dignité.

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