Tragédie à Montfermeil : Un Martiniquais décède dans un hôpital parisien après son interpellation avec décharges de pistolet électrique

La nuit du 5 janvier a été marquée par un drame à Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, où un homme d’une trentaine d’années, originaire de la Martinique, a perdu la vie à la suite d’une interpellation mouvementée par les forces de l’ordre. Cet événement tragique ravive les préoccupations et le débat sur l’utilisation des pistolets à impulsion électrique, communément appelés Tasers.

L’incident a débuté vers minuit dans une épicerie de la rue Henri-Barbusse, où le gérant, confronté à un client manifestement en état d’ébriété et agressif, a alerté la police. Quatre policiers de la brigade anticriminalité (BAC) de Clichy Montfermeil sont intervenus, reconnaissant immédiatement l’homme en question, déjà connu pour des incidents antérieurs impliquant une arme blanche. L’individu, identifié comme Killian S., mesurant 1,90 mètre, se trouvait derrière la caisse du commerce, agressif et fortement agité.

Les forces de l’ordre ont tenté de négocier avec l’homme, mais ses propos incohérents et son état d’excitation ont rendu la situation incontrôlable. L’individu, sentant fortement l’alcool et se roulant un joint, a proféré des menaces de mort envers les policiers. Ses amis et même sa mère ont été appelés pour le calmer, en vain. La situation a atteint un point critique lorsque l’homme a mordu violemment un des policiers, blessant son doigt.

Face à l’agressivité persistante de Killian, les policiers ont fait appel à des renforts, portant le nombre d’intervenants à dix-huit. La confrontation a atteint un moment critique lorsque six policiers ont fait usage de leur pistolet à impulsion électrique, communément appelé Taser. Ce pistolet, présenté comme une arme « non létale », a été utilisé à douze reprises sur l’individu en question. Les décharges, bien que ne produisant pas d’effet immédiat, ont ultimement conduit à deux arrêts cardio-respiratoires.

L’homme a été transporté en urgence à l’hôpital Pitié-Salpêtrière à Paris, dans un état critique. Il est décédé le lendemain. L’autopsie, prévue pour le 8 janvier, devra déterminer le lien entre l’usage du Taser et la perte de conscience ayant précédé le décès. Deux enquêtes distinctes ont été ouvertes pour faire la lumière sur cette tragédie : l’une confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) pour examiner l’usage du Taser, l’autre à la Sûreté territoriale de la Seine-Saint-Denis concernant les violences et menaces de mort proférées à l’encontre des policiers.

Cet événement soulève une fois de plus des questions cruciales sur l’utilisation des Tasers par les forces de l’ordre. Ces pistolets à impulsion électrique, initialement présentés comme une alternative « à létalité réduite », suscitent depuis longtemps des inquiétudes de la part des organisations de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International. Fanny Gallois, responsable du programme Libertés d’Amnesty International France, rappelle que ces armes peuvent tuer lorsqu’elles sont mal utilisées ou entre les mains de personnes mal formées. De plus, elles peuvent être détournées de leur objectif initial, pouvant conduire à des abus et à des violations des droits fondamentaux.

Le débat sur l’utilisation des Tasers s’intensifie également en raison de l’augmentation constante de leur usage au fil des années. Entre 2014 et 2023, le nombre de pistolets à impulsion électrique disponibles pour les forces de l’ordre a été multiplié par vingt. Malgré les risques inhérents à ces armes, leur disponibilité et leur utilisation dans la police ont augmenté de manière significative. En 2022, le recours à cette arme a augmenté de 11 % par rapport à l’année précédente, avec 2 995 usages opérationnels recensés.

L’IGPN, dans son dernier rapport annuel, souligne que le cadre d’utilisation des Tasers est défini par une instruction datant du 17 janvier 2022, qui précise que le PIE peut être utilisé contre une personne menaçante ou dangereuse, dans le respect strict des principes de nécessité et de proportionnalité. Cependant, dans le cas de Montfermeil, il faudra déterminer si ces principes ont été respectés, étant donné que l’homme en question était agité mais non armé, et que les décharges de Taser ont été utilisées en mode contact, directement sur le corps de la victime.

Une autre préoccupation majeure concerne les circonstances dans lesquelles les Tasers sont utilisés. Selon l’IGPN, en 2022, 45 % des utilisations de Tasers ont eu lieu dans des milieux fermés, principalement au domicile, au commissariat ou aux urgences hospitalières. Dans la plupart des cas, il s’agissait d’individus souffrant de troubles psychiatriques, d’états d’ébriété ou d’influences de stupéfiants, de tentatives de suicide, ou de différends familiaux ou conjugaux violents. Ces situations, où l’effet dissuasif du Taser est rarement efficace, soulèvent des questions sur la nécessité de former adéquatement les forces de l’ordre à gérer des situations impliquant des personnes vulnérables.

Les partisans des Tasers soutiennent qu’il s’agit d’une arme « sans conséquence physique dommageable », citant des rapports de l’IGPN indiquant que les blessures constatées sont souvent le résultat d’auto-agression ou de chutes. Cependant, les associations de défense des droits humains, à l’instar d’Amnesty International, soulignent des cas anciens de décès liés à l’utilisation de ces armes supposées non létales. En 2008, Amnesty International a recensé au moins 334 décès liés à l’utilisation de Tasers aux États-Unis, soulignant ainsi le besoin d’une réévaluation rigoureuse de l’utilisation de ces armes.

La question de la formation des forces de l’ordre est également centrale dans ce débat. Les policiers sont-ils suffisamment préparés à utiliser ces armes de manière sûre et proportionnée, en tenant compte des différentes situations auxquelles ils peuvent être confrontés ? Certains experts plaident en faveur d’une formation plus approfondie, soulignant la nécessité de sensibiliser les agents aux risques potentiels, à la détection des facteurs de risque chez les individus, et à des alternatives non violentes lorsque cela est possible.

En conclusion, la tragédie de Montfermeil réveille les inquiétudes persistantes autour de l’utilisation des Tasers par les forces de l’ordre. Au-delà des questions sur la légitimité de l’usage de ces armes, c’est aussi l’occasion de réfléchir sur les politiques de sécurité et de formation des forces de l’ordre. Une réévaluation approfondie de l’utilisation des Tasers et des protocoles qui les entourent semble incontournable pour garantir la protection des droits fondamentaux tout en assurant la sécurité publique. Les résultats des enquêtes en cours à Montfermeil pourraient contribuer à orienter ces discussions cruciales sur la manière dont les forces de l’ordre doivent utiliser ces technologies potentiellement dangereuses.

M’A