Tomber en dépression est-il inscrit dans les gènes ?

Quand des épidémiologistes se sont intéressés à la dépression, ils ont, en décortiquant les données, découvert une composante familiale forte, comme si ce trouble de l’humeur était héréditaire. Cela s’appuie notamment sur le fait que de vrais jumeaux, qui partagent le même matériel génétique, ont nettement plus de chances d’être tous les deux dépressifs que deux membres non jumeaux d’une fratrie, lesquels ne possèdent pas un ADN identique. D’où l’idée, présente maintenant dans les esprits depuis plusieurs années, que la dépression a pour partie une base génétique, ainsi que l’a souligné une méta-analyse publiée en 2000. Partant de ce constat, les psychiatres ont donc naturellement voulu identifier les gènes impliqués dans la maladie, à une époque où l’on croyait pouvoir trouver toutes les réponses dans l’ADN. L’heure est aujourd’hui à un premier bilan et même si on nous a, dans un passé récent, plusieurs fois annoncé la découverte des fameux gènes, il a souvent fallu déchanter.

L’exemple le plus connu est probablement celui de ce retentissant article publié en 2003 dans Science : la découverte fut par la suite bien difficile à reproduire. Et il ne s’agit pas d’un cas isolé. Une étude publiée en mai 2011 par la revue Molecular Psychiatry s’est intéressée aux gènes candidats identifiés au fil des années. Elle a ainsi trouvé, dans la littérature scientifique, 78 articles décrivant 57 gènes statistiquement associés à la dépression. Ses auteurs ont ensuite voulu confirmer ces découvertes en partant à leur recherche dans le génome de 3 500 personnes, dont la moitié souffrait de dépression. Au final, seuls 4 de ces 57 gènes ont passé le tamis de la vérification. On pourrait croire que ce n’est déjà pas si mal, mais les chercheurs ont aussi insisté sur la probabilité que ces 4 candidats rescapés soient tous des faux positifs, c’est-à-dire des gènes que les statistiques ont à tort corrélés à la maladie !

Ce travail impitoyable n’a fait que corroborer le phénomène dénoncé par l’épidémiologiste américain John Ioannidis : la faiblesse statistique de nombreuses études en génétique. « Jusqu’à il y a cinq ou six ans, expliquait-il dans un entretien que j’ai cité dans un de mes derniers billets, le paradigme était qu’on avait 10 000 papiers par an parlant d’un ou plusieurs gènes que quelqu’un trouvait importants dans le cas de maladies génétiques. Les chercheurs prétendaient qu’ils avaient trouvé le gène de la schizophrénie ou de l’alcoolisme ou de je ne sais pas quoi, mais ils insistaient très peu sur le fait qu’il fallait reproduire [leurs découvertes]. Dès que nous essayions de les reproduire, cela n’y survivait pas la plupart du temps. Quelque chose comme 99 % de la littérature n’était pas fiable. »

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