Théâtre et politique : le CMAC donne Carte Blanche à José Exélis

 — Par Roland Sabra —

theatre_&_politiqueLe CMAC a donné carte blanche (ah! traitrise de la langue!) à José Exélis pendant 20 jours au mois de novembre. Cette heureuse initiative a permis de voir une version très aboutie de IAGO, déjà présentée au public la saison dernière, et qui lève les quelques réserves que l’on avait formulées à l’époque. (Cf. Le Naïf n° 125). La première partie sérieusement remaniée, recentrée, avec un jeu bien plus épuré de l’excellent Gilbert Laumord, passe la rampe avec aisance. Soulignons une fois encore la qualité de la scènographie de Dominique Guesdon et Valéry Pétris, qui contribue à faire de ce spectacle la meilleure production locale depuis longtemps. Un vrai travail de qualité, original et rigoureux, dont on souhaiterait qu’il bénéficie de la part des collectivités locales d’aides à « l’exportaion ». Après tout le théâtre martiniquais mérite autant de considération que la banane et a de toute évidence un avenir plus prometteur!

Les aides à la création étaient justement un des sujets d’une conférence « Théâtre et politique » organisée dans le cadre de cette opération «  Carte blanche ». A la tribune, sous la présidence de José Exélis, José Alpha en tant que Directeur des affaires culturelles de Schoelcher, Edouard Mondésir, Président de la commission Culture du Conseil Régional et Marius Gottin, auteur. Patrick Flériag, Président de la commission culture du Conseil Général, longtemps attendu ne s’est pas déplacé et la DRAC avait quant à elle décliné l’invitation. La présence d’Aurélie Dalmat, tantôt dans la salle, tantôt à la tribune, habituelle confusion des rôles, a contribué à l’animation de cette réunion.

Une fois les acteurs en place le spectacle pouvait commencer avec comme prologue et illustration des rapports entre théâtre et politique ce qu’il faut désormais appeler « l’affaire Phèdre ».(1)

« Phèdre » un exemple de népotisme? de confusion entre théâtre et politique» ? : une comédienne, femme politique de surcroît se voit attribuer par une commission du Conseil Régional dont elle est un membre influent une dotation, sur fonds publics, de 100 000 euros + une importante subvention de la DRAC + mise à disposition gratuite de salles pour un spectacle d’auto-promotion.

« Phèdre » une affaire politique? Le responsable du site académique qui mettait à disposition du public les textes de votre serviteur, notamment ceux sur « Phèdre » à été démis pour cette raison de ses fonctions par Madame le Recteur!

Donc après quelques attaques ad hominem, qui provoquèrent une salutaire intervention de Marius Gottin se solidarisant avec les «mauvais martiniquais» que l’on voulait empêcher de parler parce qu’ils contribuent à la défense de la liberté d’expression, Aurélie Dalmat annonça une prochaine tournée « européenne » de « sa » « Phèdre ». On ne peut que prendre acte de cette déclaration tout en demeurant sceptique : on mangera son chapeau quand P. Adrien, le metteur en scène programmera dans les conditions habituelles cette Phèdre dans son théâtre parisien « La Tempête». Pas avant.

Le théâtre, en France en tout cas, est historiquement lié au politique. Sa naissance comme « art » spécifique aux environs des années 1630-1640 le précise non pas comme une activité centrée sur la définition de ses propres formes de ses propres catégories mais comme une pratique collective s’adressant à la cité, à la polis. C’est un édit royal du 16 avril 1641 qui va donner le premier statut de comédien sortant celui-ci de l’infamie et de la mise au ban de la vie civile et religieuse. La conception politique du théâtre de ce texte fondateur est très claire: le théâtre est un divertissement, dont le modèle est le théâtre de cour, qui ne peut exister que par la volonté et sous la protection du Prince, de Richelieu en l’occurrence. Il doit être moralement; socialement, et politiquement conforme aux nécessités politiques du pouvoir monarchique. Très vite la position va devenir intenable et la première controverse opposant d’Aubignac à Corneille va se déployer moins d’une vingtaine d’années plus tard. Le premier est partisan de l’assujettissement du théâtre aux nécessités du pouvoir (du combat) politique le second soutient que le plaisir, le profit qu’apporte la représentation au spectateur suffisent à eux seuls à justifier son existence. Si ce débat n’est pas d’actualité, alors aucun ne l’est. Face à la vision « crypto-soviétique » d’Aubignac la conception « crypto-libérale », au sens politique, de Corneille. Mais on est à la limite de l’abus de sens!

Les échanges entre le Président le la Commission culturelle de la Région, Edmond Mondésir et le comédien Eric Delor, dont on a remarqué la qualité du jeu dernièrement dans « Huis Clos » illustre aujourd’hui encore cette controverse. Quand l’un a pour souci premier de définir le cadre dans lequel doivent s’inscrire les projets d’actions culturelles à savoir « consolider l’identité culturelle de la région Martinique » s’ils veulent obtenir des subventions, l’autre illustre par de nombreux exemples l’incapacité du politique à soutenir des actions culturelles dont il n’est pas à l’origine, quand bien même ces actions seraient proposées gratuitement aux collectivités locales. Edmond Mondésir aura beau annoncer la création future d’une « Maison des gens de la scène » qui devrait permettre selon le mot de José Exélis « un compagnonnage sans confusion d’esthétique personnelle » les deux mondes demeurent dans des problématiques discursives hétérogènes, pour ne pas dire antagonistes. La passion du débat en témoigne ainsi que les petitesses et les inélégances qui l’accompagnent. Marius Gottin, au-dessus de la mêlée et qui sait que c’est souvent dans les marges de la société que poussent ses fleurs annonciatrices les plus belles rappellera ce rôle de tout projet théâtral : « Donner à voir le monde pour réfléchir sur le monde ».

(1) Pour éviter d’avoir à rappeler les conditions sociopolitiques néocoloniales humiliantes pour le peuple martiniquais du « montage » de cette pièce on invite le lecteur qui aurait raté quelques épisodes à se procurer les précédents numéros du Naïf ou à consulter l’ensemble des articles sur le site Madinin’Art (www.madinin-art.net).

Roland Sabra

le 12/12/05