Tel Aviv, la vie va

Carnets de route Jours 3 & 4

Le front de mer de Tel Aviv à partir de Jaffa

Ce matin direction la capitale du pays, la seule reconnue par la communauté internationale à l’exception de deux pays. Je prends le tramway, qui traverse Jérusalem et qui était sensé contribuer à sa réunification. A l’est, parfois caillassé, iIl mobilise des forces de sécurité importantes. La gare routière est à l’ouest, je éloigne donc de la vieille ville. Le bus se remplit rapidement et une heure plus tard à l’arrivée à Tel Aviv un taxi me conduit à l’hôtel autour de Dizengoff un quartier calme au nord de la ville. Sitôt la valise déposée je repars vers la plage à quelques centaines de mètres de là et j’entreprends de longer les cinq kilomètres de promenade en bord de mer qui mènent à Jaffa, un des plus vieux ports du monde construit il y a 4000 ans. Ce n’est qu’au début du XXème siècle que des habitants quittèrent la ville pour créer à la limite nord de la ville le premier quartier de Tel Aviv. Sur le front de mer de la capitale les promoteurs s’en sont donnés à cœur joie. La quasi totalité des immeubles sont neufs. Architecture moderne, sans extravagance ni audace excessive l’ensemble assez homogène est le reflet d’une réussite économique qui s’affiche sans complexe. La plage est bondée de baigneuses et baigneurs vêtus de maillots de tout acabit. Il fait chaud, autour de 35°, mais l’air marin de la Méditerranée fait du bien.

Jaffa regarde Tel Aviv avec bienveillance. Juifs et musulmans les plus riches du pays y cohabitent sans problème. La richesse semble transcender les appartenances religieuses. Sur le port au nord de la ville une multitude de restaurants. Le poisson est servi avec un mezze de salades et de la pita tout juste sortie du four. Le hidjab côtoie à la même table le décolleté, la barbe de huit jours se frotte au visage glabre. La vieille ville ottomane a été transformée une multitude de salons d’exposition, d’ateliers d’artistes mis en valeur la nuit par un éclairage qui souligne la blondeur de la pierre. Je me perds avec bonheur dans le dédale des ruelles, des étroits passages, des escaliers imprévus et découverts au détour du chemin.

Tel Aviv Museum of Art

Tel Aviv a pris son essor dans les années trente du siècle dernier quand les architectes du Bauhauss chassés par le régime nazi ont pu donner libre cours à leurs talents. Des pans de maisons du coté de sderot Rothschild sont inscrits au Patrimoine mondiale de l »Humanité par l’UNESCO. La ville respire, les rues sont larges aérées. Tel Aviv regarde loin vers le large, loin vers l’ouest. Vers la Californie. Elle tourne le dos à Jérusalem qu’elle feint d’oublier. Jérusalem la prude, Tel Aviv la dévergondée. Jérusalem sous le poids du passé, Tel Aviv un futur au présent des jours. Dans la rue des couples gay tendrement enlacés s’embrassent à pleine bouche. Les drapeaux arc-en-ciel flottent aux balcons, aux toits des maisons.

Tel Aviv aux architectures post-modernistes se plait à faire des pieds de nez à l’utilitarisme fonctionnel. Elle redécouvre le sens de la beauté et de l’esthétique architecturale. Les effets de contraste sont recherchés dans un souci de dialogue avec le contexte urbain.

Tel Aviv avec un niveau de vie 20° supérieur à celui du reste du pays est dans un processus de gentrification bien avancé. Les bobos occupent les innombrables terrasses des cafés des restaurant et plus généralement l’espace urbain avec la certitude que la ville leur appartient. La ville est jeune. Elle semble insouciante, indifférentes aux menaces potentielles qui la cernent.

Chocolaterie Max Brenner à Tel Aviv

En fin de matinée je me rends dans le quartier de Sarona pour un brunch chez Max Brenner. Deux jours avant un attentat terroriste, une fusillade avait causé la mort de quatre personnes et en avait blessé neuf autres. Un des deux assassins avait été tué l’autre s’était enfui avant d’être rattrapé et capturé. A mon arrivée la terrasse est pleine de monde. Des familles avec enfants sont installées en terrasse. A deux pas les clients se pressent au magasin Fauchon.

Une table posée devant le magasin est couverte de fleurs de bougies, de feuilles de papiers. Griffonnées, écrites sous le coup de l’émotion, elles veulent témoigner la solidarité avec les victimes. La résilience, le concept popularisé par Boris Cyrulnik en France, rend parfaitement compte de la situation. Sarona, cet espace vert au mille jeux d’enfants, bac à sable, et autres tourniquet affirme haut et fort que la vie toujours l’emportera. Le chocolat noir est délicieux. Dans le parc une maison affiche ostensiblement les couleurs de la LGBT.

Sur le chemin du retour vers l’hôtel je me dirige vers la mairie de Tel Aviv, là où vingt et un ans plus tôt un terroriste juif avait assassiné Yitzhak Rabin à la sortie d’un meeting qui avait réuni des dizaines et des dizaines de milliers de partisans de la paix. La place est vide. Elle semble identique à celle que les reportages de l’époque et plus tard les films d’enquêtes montraient. Un ajouts pourtant. Sur la droite de la battisse un buste du Premier ministre appelle à se souvenir.

Le soir je dîne chez des amis pour fêter Chavouot, la fête des moissons de blé. Dans la tradition rabbinique elle célèbre le don de la Torah sur le mont Sinaï. Il y a une douzaine bien tassée de convives autour de la table installée sur la terrasse. Sur l’horizon, ça et là des points lumineux verts signalent la présence des mosquées. Les parents et les enfants sont là. Mes hôtes parlent français. Lui, un cinquantenaire, cultive une vigne, elle est chirurgien-dentiste. Le vin servi à table ne sera pas le vin de sa vigne. Il n’est pas casher. Ce n’est que vers le milieu du repas, qu’en douce Doody, c’est son surnom, sortira une bouteille de son vin pour me faire goûter. Un cabernet qui rappelle les vins chiliens. Doody a fait deux guerres au Liban. Il raconte l’excitation, la pression de la hiérarchie, du groupe, le feu de l’action, le refus de penser à la mort dans le moment du combat. Il dit aussi combien le temps d’après, celui du retour dans la vie civile est difficile. Ce qui a été refoulé revient en force et taraude comme une vrille de façon lancinante. Doody a aussi dans les années 90 participé à l’organisation du sauvetage des juifs éthiopiens. Il assurait la sécurité du point d’atterrissage et de décollage des avions de transports. Des milliers de Beta Israël ont échappé aux massacres. Il laisse entendre clairement que cette opération nommée « Moïse » était d’une tout autre nature que celle des guerres au Liban. Aujourd’hui Doody est désabusé. Il dit que Jérusalem est ingérable, qu’il est favorable à un statut d’internationalisation des lieux saints. Il dénonce le racisme qui ronge une partie de la société israélienne. Le regard clair et doux s’évade une instant. Il dit avec humour. « Ce n’est pas parce que nous sommes le peuple élu que nous sommes les meilleurs ! ».

Les paroles de Doody m’accompagneront le reste du voyage.

Juin 2016

R.S.

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