Systémique

Contribution au débat sur l’histoire martiniquaise

— Par Ali Babar Kenjah —

La controverse qui accompagne salutairement le déchoukaj organisé le 22 mé dernier par les résistants radicaux RVN, a pour mérite d’ouvrir spectaculairement un nouveau champ de confrontation où chacun est sommé d’argumenter sa position, révélant ainsi les divergences d’approches et les perspectives opposées des uns et des autres. Par un réflexe corporatiste, de nombreux spécialistes des questions historiques ont préféré ignorer la légitimité de ces analyses alternatives pour porter la critique sur ce qu’il considère comme un anachronisme, tout à la défense de la pensée académique qui a soutenu le culte du Libérateur. Culte de la personnalité au service d’une entreprise d’aliénation. Cette posture défensive, le plus souvent arc-boutée à une pratique datée et obsolète de l’histoire, pose de nombreuses questions quant à la bulle de confort intellectuel qui provincialise et ringardise la connaissance du passé de nos sociétés. A mes yeux les tenants de l’historiographie académique martiniquaise pâtissent de quatre tares invalidantes, toutes liées à une approche formatée de leur discipline. Approche que je qualifie d’historicisme et qui privilégie une suite séquentielle de conjonctures au détriment d’une compréhension globale de l’histoire longue.

(j’appelle ici « historiens académiques » les intellectuels martiniquais qui se sont indignés du déchoukaj du 22 mé et se sont sentis investis pour défendre la mémoire de V. Schoelcher)

1) La première de ces tares dues à l' »historicisme » exprime le retard pris par l’historiographie martiniquaise : nos spécialistes en sont restés à l’époque où l’histoire était perçue à travers la notion de « rupture », événements qui permettaient de périodiser le passé jusqu’à faire de chaque période un en-soi radicalement étranger à ce qui l’a précédé et à ce qui le suit. Ainsi donc l’Abolition puis l’Assimilation ouvriraient des “ères nouvelles »! Ceci est un point de vue aujourd’hui totalement remis en cause par la prise en considération de la « continuité » historique, la recherche s’attachant – en France, depuis au moins les travaux de Fernand Braudel – aux processus de transformation et de mutation des structures profondes de la société. Ni la Révolution française, ni l’Abolition, ni même la Révolution d’octobre n’ont été des ruptures absolues du point de vue de l’histoire longue (certains se sont même crus autorisés à proclamer « la fin de l’histoire » à l’effondrement de l’URSS, considérée désormais comme une parenthèse). Ce sont là des étapes du développement de la société capitaliste mondialisée par la colonisation et marquées par la lutte des classes dans les plantations esclavagistes, au sein des féodalités européennes et dans les usines des grandes métropoles urbaines occidentales. La seule continuité qui vaille pour nous c’est celle de la colonialité.

Le concept de colonialité a été développé dans les années 1980 par des chercheurs d’Amérique Latine et de la Caraïbe (Quijano, Mignolo, Grosfoguel etc.). Il vise une analyse « dans la continuité » des dispositifs de domination introduits par la conquête des Amériques et qui perdurent sous des formes adaptées. D’un point de de vue pratique, on distingue trois types de dispositifs au sein de la colonialité : 1) colonialité du savoir; 2) colonialité du pouvoir; 3) colonialité de l’être. Ces travaux de recherche s’intéressent non seulement aux rapports sociaux mais aussi, en articulation, aux mécanismes normatifs par lesquels la domination occidentale s’est maintenue dans le temps. Mécanismes au centre desquels on trouve, sans surprise, la domination raciale. Le courant de la colonialité s’est très vite doté d’une pensée critique politique diffusée par des réseaux intellectuels activistes, qu’on appellera ici « pensée décoloniale ».

Avec pour puissances tutélaires Césaire, Fanon, Gramsci, Malcom X et Sankara, influencée par les penseurs français de la french theory, philosophes de la déconstruction (Derrida, Lyotard, Deleuze et surtout Foucault), la décolonialité a redynamisé les cultural studies aux USA, a réhabilité les travaux d’un Stuart Hall (Ecole de Birmingham), permis de découvrir une puissante pépinière de penseurs d’origine indienne (subaltern studies), a suscité un renouveau de la pensée africaine dont Achille Mbembe et Felwin Sarr sont les éminents porte-plumes et est en train, last but not least, de prendre pied sur les campus français. Elsa Dorlin, d’origine guadeloupéenne, et le Martiniquais Malcom Ferdinand en sont de dignes représentants. De ce dernier, il faut lire Une écologie décoloniale, ouvrage primé qui renouvelle radicalement la compréhension de nos enjeux réels. Dans le domaine de l’activisme militant, la décolonialité a fait bouger les lignes en proposant des analyses plus globales et en phase avec les enjeux de terrain, dans le cadre des banlieues métropolitaines notamment. L’exemple le plus éclatant étant l’émergence du courant afroféministe à l’origine de la Marche pour la Dignité et contre le racisme d’octobre 2015 et du premier « camp de formation à l’anti-racisme politique », réservé aux racisés (Reims, 2016). Ces évolutions ont généralisé les pratiques d’analyse des privilèges au sein même des organisations et partis prétendument au service des quartiers populaires, avec une remise en cause des usurpations de l’élite « patronesse » de gauche et la mise en avant des « premiers concernés » (femmes, jeunes, racisés, migrants, précaires etc). Là encore, sous la pression émancipatrice, le féminisme bourgeois a révélé ses compromissions avec le suprémacisme blanc, notamment autour de la question du voile islamique. L’émergence de la femme noire à l’avant-garde intersectionnelle des luttes contre toutes les dominations (classe, race, genre) est typiquement une incidence de l’activisme radical décolonial.

2) La seconde tare des historiens académiques, c’est le primat de l’histoire de France qu’ils posent en catimini. Les yeux rivés en oblique sur la ligne bleue des Vosges, l’histoire qu’ils nous raconte est, en fait, une histoire provinciale qui toujours tire son ressort d’un préalable issu du cadre de la métropole coloniale. Les mouvements nègres sont toujours analysés comme des moments d’exaltation, de révoltes sporadiques, jamais on n’y trouve trace de continuité, de conscience de l’histoire. Quand les gens de couleur s’engagent, ils sont décrits comme « royalistes » ou « républicains », jamais ne se pensent par eux-mêmes, pour eux-mêmes. On affirme, par ex., que la bataille de l’Acajou (1790) a opposé « royalistes » et « républicains », en ignorant l’opposition des Martiniquais unis (békés et milices de couleur) contre les troupes métropolitaines renforcées des négociants commissionnaires français de St Pierre (suite au massacre par des républicains métropolitains de miliciens de couleur qui prétendaient arborer la cocarde tricolore). Détails ou leçons? Tout comme l’enfant de l’œuvre déchoukée, nos historiens académiques sont subjugués par le regard du Libérateur français (même si la leçon indique zyé bétjé brilé zyé nèg). Pour eux l’histoire martiniquaise reste, à leur corps défendant, un sous-produit de l’histoire de France. Comme si la réalité de la domination effaçait la réalité pensée et agie de sa contestation, en même temps que l’autonomie relative du champ social martiniquais. Le traité de White Chapel est jugé anecdotique, les périodes d’occupation anglaise semblent n’avoir laissé aucune trace. Comme si nous n’avions qu’un lien avec le monde et que ce lien était univoque: France-Antilles… On comprend que les recherches d’un Cabort-Masson soient restées lettres mortes. Pourtant, nos historiens académiques sont pratiquement toutes et tous membres d’organisations politiques dont la rhétorique repose sur une forme de rupture avec la France. Sous la pression des activistes, le grand écart entre leur pratique intellectuelle et leurs discours politiques a été tranché en faveur d’une posture « droit dans mes bottes », en faveur d’un blanc-seing au récit national français, insensibles au programme de domination qui le structure de bout en bout. C’est un biais professionnel: leur pratique « archaïque » de la monographie les condamne en permanence au petit bout de la lorgnette quand nombre de leurs collègues chercheurs s’inscrivent désormais dans le cadre d’une histoire globale. L’excellente Histoire de la Caraïbe, proposée par J-P Sainton, R. Chateau-Degat et le regretté R. Abénon, témoigne de cette démarche.

En vérité, nous sommes le laboratoire historique de la mondialisation actuelle. Dans l’histoire académique jamais on ne nous dit que les premiers colons français (1635) ont trouvé des Africains déjà implantés à la Martinique. Et qu’a-t-on à dire sur l’origine de la pierre levée (mégalithe) sur un site fréquenté par les Kalinagos au Lamentin? Sans aller jusqu’au travaux de Yvan Van Sertima (Ils y étaient avant Colomb), ces éléments afro-kwahib d’histoire précolombienne traversent la période coloniale en laissant des traces (vannerie du Morne des Esses, par ex) sans que « jamais » ils ne soient interrogés et partagés. En 1851, 100 affranchis guadeloupéens écrivent une pétition au gouverneur français pour demander leur rapatriement en Afrique; ce projet fut-il motivé par un brusque accès de folie? qu’en a pensé le député de la Guadeloue V. Schoelcher qui aimait tant les nègres? Le mépris et l’infantilisation qui marqua la réponse officielle à l’époque sont les mêmes qui subsistent face à l’exigence décoloniale des réparations. Pas de justice, pas de paix: car, si ité bon ba kolon, iké bon pou mouton tou !!!

La massivité et la réalité de nos liens tangibles et immatériels avec l’Afrique restent largement non documentées par nos indignés, du fait de leurs œillères classiques. Ou alors par de jeunes activistes gavés des mensonges d’État, qui ré-écrivent le scénario hollywoodien de la suprématie blanche du point de vue de nos enjeux contemporains qui sont ceux d’une société manipulée. Zansèt paka mò !!! Il est fondamental et urgent aujourd’hui de partager une autre approche de la domination coloniale à la Martinique, voila la principale leçon du 22 mé 2020.

3) L’historicisme produit donc une forme de déconnexion entre l’autonomie des périodes fétichisée du passé (délimitées par des révolutions ou des lois françaises) et les enjeux sociaux contemporains ici-dans. Cette déconnexion induit chez les intellectuels académiques une confusion qui les pousse à s’insurger des détails d’une interprétation du passé alors que les activistes dénoncent une domination actuelle et factuelle. Nos experts pinaillent sur l’ongle du doigt qui leur montre la lune. Ils sont hors sujet. Réflexe corporatiste contre l’interpellation citoyenne de leurs traditions conformistes. Refus flagrant de questionner leurs privilèges. Or, répétons-le, ce n’est pas tant la personne de Schoelcher (un détail), que son statut occulté de serviteur de la France coloniale qui était visé. C’est la prétention irrespirable de la « bienveillance » française qui a été jetée bas.

La méthode décoloniale, en mettant à nu les mécanismes liant savoir et pouvoir, souligne les arrangements et les complicités objectives de la techno-structure des sachants au service de l’appareil d’État colonial. Ce qu’Hannah Arendt qualifiait de « banalité du mal » dans le cas de la bureaucratie nazi. Le récent épisode pandémique autour du Pr Raoult illustre abondamment le fait qu’il y ait une science au service du Pouvoir (cf Howard Zinn) et que seule une critique systémique permet de révéler les véritables enjeux, au-delà des effets de personnalisation (industrie pharmaceutique, ARS & vaccin vs santé communautaire de terrain).

Nos problématiques actuelles du chlordécone, de l’exil des jeunes, du génocide par substitution, du féminicide endémique, de l’eau privatisée, de la déconsidération de l’action politique, même si elles ne nous sont pas propres, sont toutes liées à l’histoire longue de la colonialité. Celle-ci est passée de l’esclavage au salariat sans solution de continuité, puis du statut de colonie au statut de département en aménageant encore une fois la domination des mêmes. L’avènement de la CTM n’a, malheureusement, amené que plus de confusions, préservant l’essentiel des positions acquises. A quoi sert-il de disserter sur les sentiments de Schoelcher ? Celui-ci aimait les Noirs et détestait les Mulâtres, ce qui le rend éminemment suspect à mes yeux, car comment expliquer cet amour de la « race pure » et cette détestation du métissage? Qu’on relise son texte sur les mulâtresses, carrément traitées de « courtisanes ». Associer un caractère discriminant à un phénotype est la pure définition du racisme. Pour devenir le Père des nègres, il fallait jeter le discrédit sur leurs élites « naturelles », gens libres et organisés qui n’avaient nul besoin d’un parachuté. Mais qu’importe, qu’il suffise d’affirmer que comme pour Voltaire, Victor Hugo ou Jules Ferry, les valeurs profondes et les actions de Schoelcher étaient marquées du sceau de la « supériorité de la France » et de sa destinée à dominer le monde par les Lumières de la raison blanche « universelle ». La république maçonnique a eu ses missionnaires au même titre que l’église catholique. Mais le jugement de l’histoire invoqué par Fidel Castro n’absoudra pas les duplicités de la république coloniale française.

4) La quatrième tare de l’historiographie académique martiniquaise réside dans ses archaïsmes idéologiques datés, entre l’Assimilation et l’anti-colonialisme des années 60. La perspective séquentielle des intellectuels académiques, qui leur fait prendre au pied de la lettre les « révolutions » (quand il suffit de trois lignes à Bonaparte pour rétablir l’Ancien Régime dans les colonies), les mène a accréditer le « changement » et à occulter les mécanismes de conservation. De ce fait, notre mémoire collective encagée ne va pas plus loin que l’antan Robè, tandis que sont jugés « anachroniques » ceux qui, actant un passé si puissamment présent, règlent des comptes en suspens…

En dépit de la faillite historique de l’assimilation schoelcheriste, qui n’a plus que Marine Le Pen dans le rôle de Jeanne d’Arc, le camp martiniquais s’est trouvé pris-en-ça face à l’abandon du projet d’émancipation par les ex révolutionnaires. Renoncement sans doute achevé par la faillite des « ruptures » qui servaient de balises à notre espérance d’un nous-même. Chute de l’URSS et momification des partis communistes, d’où éclipse du marxisme et triomphe de l’ultra­libéralisme, conversion de la Chine au capitalisme d’État, abandon des Palestiniens au profit du Djihad et, surtout, faillite des indépendances en Afrique et dans la Caraïbe, États libres sous tutelle. Car les indépendances anti-colonialistes des années 60 n’ont pas mis fin à l’impérialisme, que Lénine qualifiait de « stade suprême du capitalisme ». En témoignent les manifestants algériens du Hirak qui défilaient en réclamant « l’indépendance », pour dénoncer leurs élites politiques (2019). La Françafrique, quant à elle, continue de sévir en toute impunité, prédatrice, corruptrice, putschiste.

Fanon avait souligné les limites de l’indépendance nationale qui n’était qu’une étape sur la voie de la décolonisation. L’anti-colonialisme de papa est aujourd’hui complètement dépassé par l’approche systémique proposée par la pensée décoloniale néo fanonienne, qui met l’accent critique à la fois sur l’analyse pragmatique des privilèges, sur les luttes imposées par la mondialisation ultra-libérale et sur la déconstruction de l’État-nation moderne comme structure de domination capitaliste, domination culturellement articulée à la race et au patriarcat (cf Elsa Dorlin, La matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française).

D’un point de vue épistémologique, le racisme ne ressort pas d’un jugement moral, ainsi que le propose l’anti-racisme bourgeois (SOS Racisme, Ligue des Droits de l’Homme, p. ex), mais d’un dispositif systémique qui infuse dans la société au travers d’une politique ethnique du logement (les banlieues), de pratiques ethnique dans l’éducation et la formation, d’une politique ethnique de la citoyenneté et des migrations, d’une politique ethnique du travail. D’une politique ethnique de la sécurité et de la police (islamophobie, négrophobie)…

La véritable affaire Adama Traoré n’est pas tant dans le meurtre d’un jeune homme innocent par des gendarmes, le jour de ses 24 ans, mais dans les procédures qui ont suivi et se poursuivent contre sa famille, de la part d’une « justice » et de forces de l’Ordre entièrement dévouées à garantir, au mépris de la loi qu’ils administrent, l’impunité totale de leurs agents (le premier procureur en charge de l’affaire fut muté, à force de partialité trop voyante). Nous apprécions en connaisseurs, car il ne s’est rien passé sur la plage de Chalvet le 14 février 1974…

Il serait vain d’accuser X et d’absoudre Y en matière de racisme. Dès qu’un individu souscrit (mais comment y échapper?) au discours sur la « grandeur de la France », sur le « Génie de la France », sur la « vocation de la France », il consent à une identité essentialisée (autoproclamée) qui le conduit à se considérer d’une espèce à part, légitimée à faire la guerre sur tous les continents pour imposer ses vues et ses profits. En France il est souvent valorisant, jamais pénalisant, de se revendiquer des conquêtes militaires et, encore aujourd’hui, on légitime les expéditions extérieures par un large consensus normatif. Au nom de la « mission de la France ». La grandeur autoproclamée de la France c’est la petitesse relative des autres, c’est la violence revendiquée d’une histoire de prédation internationale (l’histoire coloniale) qui offre à une nation de 67 millions d’habitant ­moins de 1% de la population mondiale – un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU…

L’anti-racisme moral entend individualiser pour s’attaquer aux symptômes quand l’anti-racisme politique dénonce la racine du mal: le programme de domination raciale et culturelle diffusé au cœur de l’État-nation (récit national), diffusé à travers les pratiques institutionnelles, en association complémentaire avec le grand capital dans un PPP (partenariat public-privé), pratique initiée en 1626 par Richelieu et un groupe d’actionnaires finançant et mandatant officiellement Desnambuc pour coloniser les Isles d’Amérique. De cette ancienneté opérationnelle, de ce partenariat fructueux, l’État et le grand capital ont bâti leur modernité, optimisant toujours plus leurs profits financiers et leur gouvernance politique en contrôlant la vie confinée des masses subalternes.

La pensée décoloniale ne confond pas « racisme systémique d’État  » avec « État raciste » (cas de l’ex Afrique du Sud ou de l’État d’Israël). Dans le racisme systémique d’État, la race n’existe pas (sic) alors qu’elle est affirmée politiquement, en opposition à d’autres ethnicités, dans l’État raciste. Les contradictions de la lutte des classes introduisent dans un cas des concessions « républicaines » et « démocratiques » absentes dans l’autre. L’État d’Israël est pour les Juifs malgré la présence de millions de citoyens arabes chrétiens et musulmans. Mais, même ces paravents institutionnels ne font guère illusion puisque Mussolini et Hitler sont arrivés au pouvoir démocratiquement, tout comme Erdogan, Orban ou Trump. L’opacité de leurs modalités est la règle n°1 de la colonialité française et du racisme systémique. Le 17 octobre 1961 il ne s’est rien passé dans les rues de Paris (tandis que des centaines d’Algériens sont tués par la police française et balancés dans la Seine lors d’une manif du FLN)…

Les mécanismes français de la discrimination ethnique, enfouis sous la rhétorique nationaliste et voilés par le mythe universaliste, sont plus raffinés que le petty apartheid (« apartheid mesquin ») des suprémacistes blancs américains. La lettre de Willy Lynch, colon esclavagiste de Barbade, aux planteurs de la Cheasepeake (USA), qui appelle à substituer la discipline paternaliste et la division parmi les esclaves au fouet qui dévalorise le capital, n’est qu’une introduction théorique au programme schoelchériste de domestication des masses exploitées par une assimilation impossible.

L’histoire s’écrit toujours au présent, pour les vivants. Celle qui marque dans la durée se moque du sexe des anges pour ne retenir que des actes. L’agir martiniquais s’est désormais radicalement affranchi du poids des archaïsmes et des renoncements qui encombraient son chemin. La jeune génération activiste est légitime dans sa lutte et dans ses choix d’intervention. Elle doit être soutenue par toutes les forces décoloniales de ce pays, qui refusent d’en faire des « vandales » de l’Abbé Grégoire mais voient en eux les plus authentiques résistants de la cause martiniquaise.