Sur France Inter, la chronique de François Morel

Paris, France, mardi 15 décembre 2020, Les Inrocks : « Rendez-vous est donné à midi sur la place de la Bastille. Les banderoles des syndicats sont portées par des gens en costume de clowns ou de Monsieur Loyal – leurs habits de travail ? – et les slogans pleuvent. “On va mourir, et même pas sur scène”, “Rideau sur la culture”, ou encore “La culture, nourriture essentielle”, peut-on lire sur les pancartes. La foule s’étend du haut des marches de l’Opéra Bastille à l’ensemble de la place, bondée. »

France Inter, vendredi 18 décembre 2020 : Incroyable François Morel ! Qui pour dénoncer une situation tragique passe par l’ironie. Qui dit à sa façon la souffrance qu’éprouvent les artistes à ne pas pouvoir être sur une scène de théâtre, à ne plus apparaître que sur nos petits écrans. Qui le dit avec son élégance, sa singularité et sa sensibilité coutumières. Toujours entre humour et poésie. Et en alexandrins, s’il vous plaît ! 

« Chacun a ses manies, chacun a son histoire.
La mienne comme d’autres est assez dérisoire.
J’aime aller me vêtir vers les huit heures du soir,
En prince ou en mendiant devant un auditoire.
J’aime prendre l’habit de Tartuffe ou d’Alceste
De Ruy Blas ou d’Ubu. Je suis un palimpseste
Sur lequel sont inscrits des rôles qui s’effacent,
Dont il reste des bouts avec le temps qui passe.
J’aime aller me changer pour être un personnage
Devenir quelqu’un d’autre et vivre davantage.
J’aime aller m’affubler du nez de Cyrano,
Passer une rhingrave, une cape, un manteau.
Enfiler un costume et changer d’apparence,
Ça a moins d’intérêt en visioconférence.
Parce qu’en ce moment triste est mon quotidien
Si je ne peux pas jouer, je ne sers plus à rien
Alors que mon beau-frère et ça c’est pas logique
Il peut servir la messe en habits liturgiques.
Dans sa petite paroisse, il absout les péchés
En chasuble, en soutane, j’aurais dû faire curé !
Chacun a ses usages, chacun ses rituels,
J’ai des défauts, c’est sûr, mais je suis très ponctuel :
À l’heure où l’employé a fini son service,
Jouissant de son foyer, moi je suis en coulisses.
Je récite mon texte une dernière fois,
Je mets du fond de teint et j’exerce ma voix,
Je salue des amis régisseurs, comédiens,
Valets de comédies, barbons ou musiciens,
Comiques, tragédiens, vedettes, figurants,
Tous en déséquilibre au bord du firmament .
Et j’attends le moment  avec espoir et crainte
Où la salle d’un coup sera enfin éteinte.
Et moi qui, dans la vie, suis un type banal,
Je soulève un public de façon colossale !
Mais depuis trop longtemps me voilà empêché
D’exercer mon art ou juste mon métier
Surtout qu’après souvent le spectacle fini
On boit quelques godets, enfin on se finit
Alors que mon cousin, le salaud, l’animal
Grâce à un rituel d’ordre pontifical
Au sein de sa paroisse et ça me désespère
Écluse les burettes, j’aurais du faire vicaire !
On ouvre les mosquées, les temples, les églises,
Les synagogues aussi, il faut que je te dise
Les théâtres, vois-tu, comme des sanctuaires
Réunissent parfois  des volontés contraires.
Certains croient dans le ciel et d’autres n’y croient pas
On ne demande rien et chacun fait son choix.
Note bien que tous ceux qui en Dieu ne croient pas
Recherchent des réponses, rêvent d’un au-delà.
À l’orchestre, au balcon, assis dans leurs fauteuils,
Sans se mettre à genoux, ils prient et se recueillent.
Car vois-tu, un théâtre est un geste barrière
Contre les fanatiques et tous les  mortifères.
Le théâtre combat les superstitions.
Un théâtre fermé est une aberration.
Je ne peux pas jouer et j’en suis malheureux,
J’ai besoin de la scène éclairée de ses feux.
J’ai besoin du public et de l’entendre rire,
Et le sentir ému et pleurer et frémir
Alors que mon papa, qu’est pas un méchant mec,
Rassemble ses fidèles, j’aurais dû faire évêque ! »