« Contribution à l’étude des mots créoles », par Lionel Bellevue

— Préface de Jean-Robert Léonidas* —

La langue est l’affaire de tous. Je l’ai toujours clamé avec conviction. Tout le monde en est le créateur. Autant l’homme de la rue que les universitaires et les savants. C’est pour cela qu’au niveau du glossaire il existe le phénomène des doublets pour nous en convaincre, c’est-à-dire l’existence de deux mots presque synonymes qui nous arrivent l’un par voie populaire, l’autre par voie savante. Rappelons que notre créole haïtien est une langue jeune, aussi jeune que notre pays. C’est nous qui l’avons inventé. Nous nous sommes servi de matériaux venus avec nous depuis l’Afrique, ceux d’origine indienne retrouvés localement à Ayiti dans les cinq caciquats, ceux apportés par les colons et les différents occupants qui nous ont marqués au cours de notre histoire. La pénétration lexicale étant au bout du fusil, de la puissance économique, et de la durée de la colonisation, il se trouve que le vocabulaire français a eu la part belle dans la formation de notre créole haïtien, à côté des mots africains, taïnos, espagnols, anglais etc.

La langue est trop précieuse pour que nous l’abandonnions exclusivement entre les mains des spécialistes. Les locuteurs, quels qu’ils soient, et à plus forte raison les plus avisés, ont certainement droit à la parole. Les prérequis pour s’adonner à l’étude d’une langue, surtout en matière de vocabulaire, se résument à mon sens comme suit. Connaitre la langue, en être un usager à l’oral ou à l’écrit, s’y intéresser, en être passionné et avoir à cœur son développement, son rayonnement national, régional et même planétaire. L’auteur de cet ouvrage répond à tous ces critères. Lionel Bellevue détient en plus un Master en Ingénierie. Pour toutes les raisons précitées, il est certainement autorisé à partager avec nous le résultat de ses recherches, une appréciable contribution à l’étude des mots créoles où sa passion l’a conduit.

Il a eu la délicatesse de remercier ceux qui lui ont fait des suggestions soit de vive voix au cours de quelques rencontres, soit par échange de courriels.

Il ne s’agit pas ici d’un dictionnaire. Ce n’est pas non plus une étude qui se prétend exhaustive. Le titre même est parlant en ce sens. Lionel Bellevue ne porte pas nom pour rien. Il nous fait faire une agréable promenade et nous offre une belle vue dans un jardin de mots. Il les presse pour en extraire le jus sémantique et simultanément tente de remonter à leur origine. J’ai intentionnellement utilisé la métaphore du jardin pour une double raison. Le jardin, défini par ses frontières, suggère une idée de limite qui affecte tout chercheur sérieux et partant, ouvre une porte sur d’autres horizons à parcourir. Et d’un. Et de deux, l’une des vertus du jardin est de vous surprendre à mesure qu’on le traverse de part en part. C’est le côté intéressant de ce travail qui réunit une pépinière de 600 mots et nous présente d’agréables surprises à mesure qu’on en feuillette les pages.

Tout compte fait, cette contribution va plaire à tous les haïtiens, à tous ceux qui parlent un créole proche du nôtre, aux linguistes et universitaires qui ont choisi de faire de cette belle langue leur champ d’étude préférentiel.

Jean-Robert Léonidas

*Jean-Robert Léonidas, écrivain haïtien, a signé 11 ouvrages littéraires dont Prétendus Créolismes, Le couteau dans l’igname, Montréal 1995.