— Par Gérald Rossi —
Avec Le bizarre incident du chien pendant la nuit, Philippe Adrien met en scène une brillante adaptation du roman de Mark Haddon sur la difficulté de vivre avec ses différences. Jubilatoire.
Ça commence franchement mal. Le bizarre incident du chien pendant la nuit adapté du roman de Mark Haddon par Simon Stephens (traduction de Dominique Ollier) débute avec le corps de la pauvre bête, tuée sur la pelouse de madame Shears, voisine et amie de la famille, transpercée par une fourche mortelle. Soupçonné à tort, Christopher Boone 15 ans est un garçon fragile, différent, autiste, qui réagit à sa façon et dans son univers aux événements qui l’entourent. Dans ce rôle Pierre Lefebvre Adrien est tout simplement surprenant. Dans le meilleur sens que l’on puisse donner à ce mot.
Sans agressivité, sans lourdeur maladive et toujours dans la bonne mesure entre le geste, la parole, le cri ou le grognement, il est Christopher. Aussi bien dans son intelligence pour les sciences et les mathématiques, que dans sa difficile approche de l’autre. Principalement du monde adulte qu’il perçoit à travers ses propres grilles de lecture, en dépit de son cheminement parfois déroutant.

Le bizarre incident du chien pendant la nuit
Homme de théâtre sud-africain, blanc, né en 1932, Athol Fugard se présente comme « un Afrikaner qui écrit en anglais ». Sa description aiguë des conséquences humaines de l’apartheid a fait de lui, dans les années 60, une des figures marquantes de l’opposition politique de son pays. Chassés d’un bidonville par le bulldozer de l’homme blanc, Boesman et Léna, un couple de « bruns » – métis, errent jusqu’à un terrain vague où lui va, une nouvelle fois, construire un abri. L’arrivée d’un vieux Bantou – pour eux, un « nègre », un cafre – bouleverse leur relation. « Des yeux : une autre paire d’yeux ! Savoir qu’il y a quelque chose qui vous voit ! » : elle croit possible le dialogue ; lui ne comprend pas, se montre jaloux, haineux… Qu’est-ce qui est mutilé ? Au-delà du désespoir, c’est la guerre qui fait rage dans le couple. Boesman reproduit sur Léna l’oppression dont il est lui-même l’objet. Tous deux, placés dans une situation invivable, sont à la fois bourreaux et victimes… En somme, une histoire d’amour où chacun représente le destin de l’autre.


