L’autisme manipulé comme une force

— Par Gérald Rossi —

Les dix comédiens se partagent les rôles. Photo : Antonia Bozzi

Avec Le bizarre incident du chien pendant la nuit, Philippe Adrien met en scène une brillante adaptation du roman de Mark Haddon sur la difficulté de vivre avec ses différences. Jubilatoire.
Ça commence franchement mal. Le bizarre incident du chien pendant la nuit adapté du roman de Mark Haddon par Simon Stephens (traduction de Dominique Ollier) débute avec le corps de la pauvre bête, tuée sur la pelouse de madame Shears, voisine et amie de la famille, transpercée par une fourche mortelle. Soupçonné à tort, Christopher Boone 15 ans est un garçon fragile, différent, autiste, qui réagit à sa façon et dans son univers aux événements qui l’entourent. Dans ce rôle Pierre Lefebvre Adrien est tout simplement surprenant. Dans le meilleur sens que l’on puisse donner à ce mot.

Sans agressivité, sans lourdeur maladive et toujours dans la bonne mesure entre le geste, la parole, le cri ou le grognement, il est Christopher. Aussi bien dans son intelligence pour les sciences et les mathématiques, que dans sa difficile approche de l’autre. Principalement du monde adulte qu’il perçoit à travers ses propres grilles de lecture, en dépit de son cheminement parfois déroutant. Le jeune acteur, même dans les scènes d’angoisse profonde, sait rester crédible. De la mort du chien, aux retrouvailles avec sa maman quand il part seul pour Londres, parvenant à affronter la foule et le mystère du métro. Lui qui jusque-là n’était pas allé plus loin que le bout de sa rue.

Ce voyage, comme d’autres moments de la pièce, s’appuie sur un décor parfaitement étudié (Jean Hass) essentiellement constitué par deux gros mur de briques peintes en blanc, qui d’abord posés à cour et jardin devienne parois mobiles, permettent un moment de drôlerie absolue quand Christopher découvre et se joue des escaliers mécaniques dans le sous-sol de la capitale anglaise. Avec la précision millimétrée d’une BD ou d’un dessin animé.
La lumière sur l’espoir

Les autres membres de la troupe (Juliette Poissonnier, Bernadette Le Saché, Mireille Roussel en alternance avec Joanna Jianoux, Laurent Montel, Laurent Ménoré, Tadié Tuéné en alternance avec Christian Julien) sont tous au diapason. Le metteur en scène Philippe Adrien, qui fut en 2015 le premier à monter la pièce en France, et qu’il reprend ce printemps, précise qu’il s’agit d’une « histoire véridique mais débarrassée du pathos qui souvent nous encombre au théâtre et précisément dans le registre dramatique » ; et il explique aussi que c’est la première fois qu’il s’attaque « au mode du théâtre récit ». Et là encore c’est un sans faute. L’aventure dépasse les deux heures d’horloge, mais le temps file vite, sauf peut être vers la fin, qui comme l’on dit n’en finit plus de finir. On notera cependant l’attention soutenue des dizaines de collégiens et lycéens présents certains soirs, scotchés sur leur fauteuil. Car Philippe Adrien a su mettre la lumière sur l’espoir. Celui d’un père (Sébastien Bravard) et d’une mère (Nathalie Vairac) qui en dépit de leurs ratages personnels sont convaincus que leur petit lutin est à même de surmonter ses souffrances. Pour finalement commencer à vivre sa vie.

Finement dosés, on se doit encore de signaler dans cette mise en scène impeccable quelques jolis moments chorégraphiés, ainsi que la magie d’un train électrique qui traverse tout le plateau dans la nuit. Avant une grande fête finale de l’arithmétique et de l’algèbre. De quoi à la fois dérouter un peu plus et rendre heureux. Comment autrement résumer ce très beau et sensible travail sur la tolérance et le respect.

Jusqu’au 28 mai à 20h, théâtre de la Tempête, la Cartoucherie, Paris 12e, route du Champ de manœuvre; tél.: 01 43 28 36 36

Source : L’Humanité.fr