Étiquette : Didier Eribon

Intense « Retour à Reims », sur les chemins de l’injure et de la honte

— Par Roland Sabra —

Sur scène dans dans un décor qui reproduit fidèlement un un studio d’enregistrement, Catherine ( Irène Jacob), comédienne est d’abords seule occupée à réviser le texte du commentaire OFF qu’elle doit faire pour un documentaire réalisé par Paul (Cédric Eeckhout), cinéaste, à propos du parcours du philosophe Didier Éribon. Peu après l’arrivée du réalisateur en compagnie de Tony (Blade MC AliMbaye) , le propriétaire du studio le travail d’enregistrement commence.

D’une voix superbe, Irène Jacob, lit le début du texte de ­Retour à Reims, tandis qu’est projeté sur grand écran au dessus de la scène un film tourné par Sébastien Dupouey et Thomas ­Ostermeier, qui a convaincu Didier Eribon de faire devant la ­caméra ce qu’il ­raconte dans son livre : retourner à Reims. Défilés de paysage à travers la vitre du train, gros plans sur le visage de Didier Eribon précèdent les retrouvailles avec la mère atour d’une tasse de thé dans le petit pavillon de banlieue où elle demeure. Sur la table des petits gâteaux et une boite de photos sous laquelle le journal régional est déployé.

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« Les grands écrivains sont souvent de grands théoriciens »

Théories de la littérature, Système du genre 
et verdicts sexuels.

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Entretien avec Didier Eribon, réalisé par Nicolas Dutent

Dans A la recherche du temps perdu, Proust développe une théorie de l’homosexualité, largement inspirée de la psychiatrie de l’époque. Or, non seulement elle ne s’applique pas à certains personnages dont on apprend qu’ils sont «homosexuels», mais Charlus lui-même ne cesse de tenir des propos qui la contredisent. La théorie est ainsi déconstruite au fur et à mesure qu’elle est construite. Il en va de même chez Genet, où l’on voit toutes les théorisations démenties par les pratiques réelles.
Pourtant, cette instabilité générale de la théorie reste prise dans les cadres fixés par les normes et les notions obsessionnellement rappelées du «masculin» et du «féminin». Il s’agit dès lors de comprendre comment les pratiques «subversives» et les discours «hérétiques» peuvent à la fois constituer d’importants «contre-discours» et «contre-conduites», tout en laissant intact le système du genre et de la sexualité, et donc en participant à sa perpétuation.
Comment penser dès lors la transformation sociale et politique, si ce n’est en portant le regard sur la reproduction de la structure qui s’opère à travers l’opposition toujours rejouée entre normes et contre-normes ?

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Retour à Reims

retour_a_reims— Par Michèle Bigot —

Retour à Reims
D’après l’essai de Didier Eribon
Adaptation et mis en scène par Laurent Hatat,
Avec Sylvie Debrun et Antoine Mathieu
Festival d’Avignon, La Manufacture, du 5 au 27 juillet, reprise en février 2015 à la Maison des Métallos

Envisagé du point de vue générique, Retour à Reims est un texte complexe. Il relève fondamentalement du récit autobiographique de Didier Eribon, mais c’est tout aussi bien une peinture sociale de la classe ouvrière et un essai sur le thème de l’appartenance de classe, le poids du déterminisme social, et l’homophobie⋅ On y trouve encore une étude des plus pertinentes sur la situation politique de notre pays et une analyse sociologique pointue et créative de la société française contemporaine⋅ Tout cela paraît difficilement conciliable⋅ C’est pourtant le tour de force que réussit de façon éclatante Didier Eribon, la justesse, la lucidité de l’analyse ne le cédant en rien à la force de l’émotion⋅ Rares sont les ouvrages qui réussissent cet équilibre entre l’émotion du vécu et la lucidité implacable de l’analyse⋅ D’emblée, le lecteur et ici le spectateur sont convaincus et emportés à la fois par la sincérité de ce dire dépourvu de toute complaisance et par son indéniable tendresse pour le milieu qu’il décrit.

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La gauche contre elle-même

Le succès du livre de Thomas Piketty révèle le renoncement théorique des progressistes en France comme aux Etats-Unis

— Par Didier Eribon* —
diplomeIl n’est pas très original, j’en ai conscience, de s’inquiéter de l’état dans lequel se trouvent aujourd’hui la gauche et la pensée de gauche, pour autant qu’il soit possible de distinguer ces deux registres. Mais dans la mesure où la gauche politique semble s’enfoncer dans les abîmes d’un désastre qui s’annonce historique, on peut comprendre que ceux qui croient encore aux vertus d’une démarche de transformation sociale cherchent à rattacher le peu d’espoir qui leur reste à tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à une contribution progressiste à la réflexion théorique.

La tentation est grande, dans un tel contexte, de prendre pour d’extraordinaires avancées progressistes ce que, en d’autres temps, on aurait considéré comme des concessions destinées à sauver le système, et même d’aller jusqu’à sentir un souffle  » révolutionnaire  » dans ce qu’il conviendrait d’interpréter comme un aboutissement et un réaménagement de ce qu’a produit la  » révolution conservatrice  » depuis le début des années 1980.

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« Le commerce des pissotières » de Laud Humphreys

—Par Didier Eribon —

Un pionnier des études gays

Le sexe des pissotières

 

Dans l’Amérique des années 1960, Laud Humphreys a enquêté sur les rencontres homosexuelles dans les urinoirs

 

Dans « Querelle de Brest » aussi bien que dans son « Journal du voleur », Jean Genet a chanté la légende des toilettes publiques comme foyers de la drague homosexuelle. Plus récemment, avec le développement des recherches universitaires sur ces questions, des historiens ont reconstitué l’importance de ces lieux de rencontre dans la culture gay. Des théoriciens ont même exalté cette tradition du « sexe impersonnel » dans l’espace public pour l’opposer au retrait sur le « privé » que symbolise à leurs yeux la revendication du droit au mariage.

Mais l’on est en train de redécouvrir que, dès les années 1960, des sociologues américains s’étaient intéressés de très près à ces phénomènes et à ces pratiques. Dans le sillage des travaux fondateurs d’Erving Goffman et de Howard Becker, de nombreuses études furent menées sur différents aspects de ce qu’on désignait alors sous le terme général de « déviance ».

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