—Par Eric Aeschimann—
Dans «le Choc des civilisations», l’Américain Samuel Huntington listait les valeurs de l’Occident: «Individualisme, libéralisme, constitutionnalisme, droits de l’homme, égalité, liberté, règne de la loi, démocratie, marché libre, séparation de l’Eglise et de l’Etat…» Mais définir une civilisation par des valeurs est toujours un jeu dangereux.
Avec humour, son compatriote et anarchiste David Graeber lui répond qu’on est en droit d’affirmer avec la même évidence que la culture occidentale repose sur «la science, l’industrie, la rationalité bureaucratique, le nationalisme, les théories raciales et une tendance irrépressible à l’expansion géographique». Ce qui change quand même le regard…

Méditant sur l’irrésistible tendance à la concentration du pouvoir financier cinq années après la crise des subprimes, le journaliste Nick Dunbar observait que si certains animaux dominants comme le requin, le rat, la guêpe survivront à l’espèce humaine, après avoir survécu aux météorites et aux extinctions massives, Goldman Sachs était probablement l’un de ces animaux (1). À court terme, le « remplacement » en 2012 de M. Papandréou, qui avait eu l’outrecuidance de songer à soumettre à référendum un plan européen d’austérité, par M. Papademos, ancien conseiller de la banque d’affaires, illustre bien le mécanisme de cette puissance tranquille. Cette radicale remise en cause du principe démocratique défini par Spinoza comme « l’union des hommes en un tout qui a un droit souverain collectif sur tout ce qui est en son pouvoir » (2) amène simultanément deux questions. Au-delà d’un constat d’une « dé-démocratisation » (3) coextensive à l’ultralibéralisme, le libéralisme politique, trésor commun à la gauche et à la droite démocratiques, est-il nécessairement imbriqué dans le libéralisme économique ?
Les historiens du futur qui se pencheront sur les premières décennies du XXIe siècle, y verront-ils un chapitre nouveau de l’histoire des progrès de la démocratie ? Cela n’a aujourd’hui rien d’évident. Certes, cet événement fascinant que l’on a nommé le « printemps arabe » a montré que le temps des révolutions démocratiques n’était pas définitivement révolu. Des régimes autoritaires et corrompus ont été balayés par des insurrections populaires. Entre l’insurrection et l’institution de régimes démocratiques, le chemin n’est cependant pas direct, l’exemple de la Révolution française l’atteste, qui nous incite à ne pas désespérer de l’issue de ces récentes révolutions.