« Stéphanie Saint-Clair, reine de Harlem » : et la théâtralité bordel?

— Par Roland Sabra —

Théâtre récit de vie ? Non pas. Théâtre biographique ? Non plus. Adaptation théâtrale d’une biographie romancée ? On ne sait pas. « Stéphanie Saint-Clair, reine de Harlem » d’après le roman de Raphaël Confiant, dans la mise en scène de Nicole Dogué tente de respecter une des trois règles fondamentales du théâtre, l’unité d’action, à l’aide d’une fiction, celle de l’écriture par le personnage d’une lettre à un neveu. Je dis tente de respecter parce que son oubli conduit à un découpage en tableaux, représentant chacun un épisode de la vie de Stéphanie Saint-Clair, sans que soit mis en avant la complexité de son existence et le lien de réciprocité que celle-ci entretient avec la représentation théâtrale. L’histoire du théâtre regorge d’œuvres dramatiques ayant tenté de saisir la vie d’un personnage illustre. Elles ont pour point commun de saisir le personnage comme lieu de croisement entre le singulier et le collectif, comme un individu aux prises à un moment de l’Histoire de sorte que le climat contextuel, l’environnement dramaturgique, emporte la fascination du public et que puisse se constituer une figure, celle du héros, du martyr, de l’artiste, pourvoyeuse de théâtralité.

Le long récit de vie, proposé, verse dans la monotonie et génère un endormissement d’une partie du public qui pour se faire pardonner son absence dédiera à la comédienne une ovation debout. Toujours le même registre, celui  des clichés, des stéréotypes, de la télévariété. Nicole Dogué demande tout d’abord Isabelle Kancel , sa comédienne d’entrer en scène, à petits pas de vieillarde, le dos voûte. Gestuelle qui sera celle du récit au présent de l’indicatif. Lors de l’évocation d’épisodes passés la comédienne prendra une posture redressée, plus dynamique, plus en adéquation avec l’age du personnage au moment ou se déroule l’évènement. Mais voilà l’embrouillamini du texte conduit Isabelle Kancel à se mélanger les pinceaux dans les attitudes à faire valoir en fonction du dire et du moment, et le beau travail de lumières sensé singulariser les différents temps du récit n’y peut rien.

La « règle des trois fois » qui veut qu’un metteur en scène en mal d’inspiration, ou confronté à une aporie, comme l’absence de théâtralité d’un texte dans le cas présent,, répète le même geste, le même déplacement, la même trouvaille se concrétise, en l’occurrence par le déplacement trois fois répétés donc , de Stéphanie Saint-Clair vers une valise en avant scène coté jardin sans grande justification. Encore une fois ce ne sont pas les talents de la comédienne, ni ceux de la metteure en scène qui sont en jeu ici. Non, ce n’est que, si l’on peut dire, l’absence de dramaturgie du texte. Les cinq dernières minutes invitent à nuancer ce point de vue. Il y est question d’une revendication de liberté, du refus des assignations identitaires, d’aller à l’encontre des déterminismes sociaux et historiques, de la volonté de s’accomplir et de se réaliser selon ses désirs. Au bout d’une heure quarante, le texte essaie enfin d’inscrire la singularité du destin de Stéphanie Saint-Clair dans une dimension qui l’englobe et le dépasse.Enfin!

Reste le plaisir d’entendre les mots de Raphaël Confiant, avec la richesse langagière, la poésie des créolismes, les images envolées de l’expression qui sont la marque de l’écrivain. Il nous dit par là que la francophonie n’a pas de centre et de périphérie, qu’elle est plurielle et riche de sa diversité.

Fort-de-France, le 19/01/2019

R.S.