Soigner le corps et les murs : des graffeurs sénégalais au service de la lutte contre la covid 19

— Par Dominique Daeschler —

La Fondation Dapper avec ses derniers nés, des e-books à télécharger gratuitement sur son site, poursuit sur un mode plus ludique, plus directement accessible aux jeunes via smartphone et WhatsApp, la promotion de l’art contemporain africain. Dernière parution en ligne, « Le graffiti pour sauver des vies » qui valorise à la fois l’engagement des artistes graffeurs sénégalais au service du coronavirus et la volonté de la Fondation de présence au monde d’aujourd’hui pendant la pandémie.

L’ouvrage édité sous la direction d’Aude Leveau Mac Elhone, illustré par de nombreuses photos d’œuvres et d’artistes, se compose d’un historique sur le développement du graffiti, d’interviews et de présentations d’artistes et de collectifs, mettant particulièrement en exergue son rôle dans les rapports sociaux et dans sa façon d’aborder les problèmes de santé publique. Le propos tenu est clair et rigoureux, dans la lignée des livres d’art édités par Dapper. L’autrice s’est mise « au service de » : pas de discours redondant ou sentencieux mais une volonté d’entrer dans le vif du sujet en privilégiant le descriptif et la parole recueillie. A notre tour, écoutons – la.

Petite curiosité sur le titre, vous avez préféré « graffiti » à « street art » plus banalisé aujourd’hui, pourquoi ?

Le graffiti existe sur un support et rend indissociables le message et l’image. Le street art englobe d’autres formes : affichage, installations…

Pourrait-on dire qu’il y a inscription ? écriture ?

Oui, c’est cela qui fait sens. C’est un langage ouvert, prêt à sa réception.

Dès le départ ce qui frappe c’est l’engagement des artistes dans la société

Le Sénégal est un précurseur sur le continent africain en matière d’art urbain. Les peintures murales se sont développées à l’initiative des artistes et ont bénéficié sous la présidence Senghor (60-80) de commandes, de financements, même si les artistes ont toujours mis leurs propres deniers, Les fresques ont accompagné le développement urbain dans les nouveaux quartiers, sur les bâtiments administratifs. Le graffiti est respecté, comme le dit Docta, un des premiers graffeurs, comme un art à part entière. Sa reconnaissance a créé un lien citoyen.

D’où l’implication naturelle des artistes

Les artistes se sont retrouvés dans les objectifs du Set Setal mouvement politique et social né à la fin des années 80 (notamment Docta et le collectif Doxandem Squad) œuvrant pour la prise en compte des problématiques sociales et sanitaires, aidant à la construction d’une identité nationale forte. En explosant dans l’espace public le graffiti a acquis une fonction éducative qui sert aussi cette volonté.

MadZoo, leader du RBS crew parle du graffiti comme un moyen de conscientisation, un moyen de conversation

Les lieux repérés (de passage, symboliques comme l’Université, la maternité …) sont d’abord nettoyés et la population se les approprie vite. La couleur, l’usage du wolof contribuent à faire passer le message, de l’individu à l’association de quartier. La prévention sanitaire, la santé publique, le coronavirus sont abordés par les artistes (caravane Graf et Santé, collectif Undu graffiti premier à intervenir en ces temps de pandémie) avec réalisme et force détails : gestes barrière, port du masque, numéro de téléphone informatif…. Lors des réalisations, les artistes mettent en application ces gestes. Le travail en équipe, le fait que les artistes ne signent pas leurs œuvres accentuent l’appartenance à une communauté.

Fonction d’alerte, didactisme sont-ils conciliables avec liberté de création ?

L’historique du graffiti est là pour affirmer cette liberté. Le graffeur reste libre de son contenu (texte et images) souvent en lien avec l’actualité, libre de son mode d’expression quelque en soit le thème. S’il y a moins de graffiti sauvages que dans d’autres pays, le point de vue personnel reste au centre de la création.

Avec les nouveaux outils d’information, de reproduction comment évolue le travail sur l’image ?

Il convient de rappeler que l’image créée doit être accessible à un large public et qu’elle emprunte aux codes de la bd, au détournement, à la caricature. Pour les plus anciens des graffeurs le travail préparatoire sur papier(sketches) est revendiqué, le graffeur dessine, utilise le pinceau. A l’heure d’un monde hyperconnecté l’image peut être sélectionnée sur smartphone, retravaillée sur ordinateur voire copiée sur bâche…

Le graffiti sénégalais a essaimé dans toute l’Afrique, qu’en est-il d’un souci de transmission et de mémoire ?

Art éphémère, il ne reste rien des graffiti faits pendant le Set Setal, rien des premières années de Docta. Le numérique, les réseaux sociaux permettent à présent un archivage. Sous l’impulsion d’Ati Diallo, les collectifs se posent aujourd’hui la question de l’organisation, de la structuration (locaux, formes de diffusion, formation des jeunes graffeurs).

Sans nul doute c’est la dimension spirituelle de leur art et son impact positif sur la société qui tiennent le plus à cœur aux graffeurs sénégalais.

 

L’expression soigner le corps et les murs dans le titre de l’article est emprunté au graffeur Docta.

 

Dominique Daeschler

quartier HLM Dakar- Doxandem squad

siège de l’ONU Dakar- RBS crew

 Couverture Université Diop Dakar- RBS crew

Illustrations fournies par le service de presse de la Fondation Dapper