« Sinfonia » ou la noirceur du confinement, le dernier ballet de Thierry Malandain

Saint-Sébastien (Espagne) – D’un côté, un quatuor de puissants qui délimite le périmètre. De l’autre, une quinzaine de danseurs à l’étroit. Sinfonia, le dernier ballet de Thierry Malandain, directeur du Centre chorégraphique national de Biarritz, présenté samedi à Saint-Sébastien en Espagne, raconte la noirceur du confinement et les corps corsetés.

Tout est noir. Noir le sol, noirs les costumes, noir le sujet. Le ballet a été « réglé dans les ténèbres« , explique à l’AFP le chorégraphe qui a créé Sinfonia en octobre 2020 car « il fallait qu’on occupe les danseurs« . 

Le ballet de 28 minutes pour 20 danseurs a donc été conçu « en urgence » et sur une partition des années 1960, à l’époque d’une autre pandémie, celle de la grippe de Hong Kong. 

Présenté lors de deux uniques représentations au théâtre espagnol de Victoria Eugenia de Saint-Sébastien, le ballet raconte ce qui n’est malheureusement pas encore un souvenir, le confinement. 

On ne peut pas les rater, ils sont la seule lumière sur scène: les cônes de chantier argentés, outils diaboliques. 

Quatre garçons en costume, « chevaliers de l’apocalypse et allégorie des pouvoirs publics » selon Thierry Malandain, les déplacent au gré de leurs envies pour « décider des espaces dans lesquels évoluent les danseurs« . 

Le reste de la troupe, condamné à piétiner, se recroqueville tantôt en foetus, tantôt se prend la tête. 

Pendant qu’ils se distordent, le quatuor se tord de rire. 

« On confine, on déconfine. On brise les espérances« , raconte l’un de ses membres, Arnaud Mahory. 

« Ces 4 puissants, ça peut être Macron, Merkel, Von der Leyen et Lagarde, ça peut être qui on veut« , explique-t-il, décrivant le « rapport de domination et de perversité« , les « conciliabules tenus par cet entresoi qui prend des décisions pour le reste du monde« . 

Le chorégraphe a d’ailleurs choisi une partition ésotérique de Luciano Berio presque cacophonique, rappelant les discours dissonants sur la pandémie depuis ses débuts, avec des « ordres et des contre-ordres« . 

– « Casser la gueule à Macron » – 

Thierry Malandain se défend d’avoir imaginé un « ballet politique » et préfère parler d' »une pièce de circonstance qui scelle ce moment-là« . 

« Moi je pourrais aller casser la gueule à Macron, j’irais manifester« , harangue-t-il ses danseurs lors de la répétition, les exhortant à sortir « leur rage« . 

Même si l’Espagne fait figure d’exception et a conservé ses théâtres ouverts, le chorégraphe ne peut s’empêcher d’utiliser un vocabulaire mortuaire parlant là d’un « théâtre désossé » dont on a retiré les sièges ou « des croix » sur les fauteuils condamnés. 

A la sortie, le public espagnol a reconnu les stigmates du confinement: « on a bien compris, ces quatre personnes qui contrôlent le reste des gens, en imposant les espaces et en empêchant les libertés« , explique Ibon Sarasola, un spectateur de 39 ans. 

L’une des danseuses, du côté des opprimés, se souvient du confinement, de son « réagencement de l’espace, de s’agripper aux meubles de [son] petit appartement« . 

Le ballet dit « cette rage de la contrainte physique de l’espace, et les montagnes russes émotionnelles des annonces qui tous les mois disent qu’on va rouvrir les théâtres… cette impression d’être ballotée« . 

Si elle ne boude pas son « plaisir fou » d’être à nouveau sur scène, cela n’aura duré « que deux soirs… c’est frustrant« , d’autant que les gens souffrent « d’un manque cruel de beauté, de magie, d’espoir« . 

La fin du spectacle voit le retour des embrassades. C’est le moment de se toucher à nouveau, de poser ses mains sur l’autre comme pour vérifier qu’on existe encore, alors que la distanciation sociale a créé des situations inédites : certaines personnes n’ont plus touché ni été touchées depuis des mois. 

La farandole sort de scène, mais le quatuor, lui, revient et scelle un nouveau pacte. « Il est où l’espoir ?« , interroge Thierry Malandain. 

Claire Lonchampt, elle, estime qu »on ne sait pas qui a gagné » : « Il faut croire en la libération, sinon pourquoi on s’entraîne tous les jours ? C’est ce qui nous tient depuis un an. On lâchera rien, on se tiendra prêt pour le jour où ce sera possible« . 

Source : AFP / Orange