Shirley Rufin : à chacun sa chimère. La plasticienne au scalpel

Jusqu’au 19 avril 2015- Case à Léo. Habitation Clément

— Par Christian Antourel  & Ysa de Saint-Auret —

shirley_rufin-2Cette expo au charme outsider, bien en dehors des canons du circuit de l’art sonne l’heure d’une drôle de re création, déconcerte par sa démesure, son  inquiétante étrangeté,  et son panache. Découpées au scalpel, les ambiances vont de vagues de démence, à impressions d’insécurité frontale et stupéfiante. L’artiste y déshabille de façon instinctive le processus de la marginalisation, elle exploite de son mieux tout le registre sémantique de la photographie, et dans sa folle habileté, nous livre la générosité des émotions crues.

Elle est bercée par une avalanche de délires fantasmatiques qu’elle métamorphose en images et en puissance. Elle témoigne d’un nouveau mode de concevoir, dans ce passage révélé par ses sculptures photographiques, toujours temporaires, dans l’espace interchangeable : celui de la galerie dans laquelle elles poursuivent leur conversation muette. Ses photographies, puissamment, noblement, voluptueusement engagées pour témoigner de l’homme dans une logique du pourrissement. La beauté ici est celle d’une approche empirique et sensible sur le tabou de la nudité dans la société martiniquaise, celle là même qui sous-tend une pureté spirituelle et une élégance native dans le rapport au monde. Figures sans visages, pas celles d’une image sensible et représentative du corps dans son mystère incarné dans l’éclair sucré glacé d’une photographie. Car en vérité, ces apparitions ont accompli le voyage intérieur qui les rend à une virginité d’avant naissance.
Une éloquence réinventée.

A la fois original et actuel, le travail de Shirley Rufin tient souvent du vitrail mêlé d’une abstraction pleine de sens à une éloquence réinventée. « Elle met en crise la perception de la nudité et la finalité mimétique du médium photographique » Shirley Rufin semble fascinée par une sorte de mutation « métempsychose » du corps humain. Ses tableaux permettent comme une réincarnation d’images de corps bariolés, lacérés, censurés, masqués, dissséqués, effacés par des produits acides corrosifs, une reprogrammation, une déstructuration permanente, en intégrant la possibilité de scenarios jamais linéaires. La photographe plasticienne fait subir à la photo initiale une série de mutations, d’hybridations, grâce à une sorte de mise à mort et de  mise en Culture tirée sur bâche, pvc kamacel, sur plexiglas ou numérique sur calque. Ce retournement fonctionnel par des solutions spéciales et techniques aux limites du possible, transforme quasiment la photographie en art brutal.

UN OVNI DELIRANT
Elle envoie paître la photographie de papa et invente sa propre grammaire : cette photographie objet sacré de l’exposition est comme raclée contre les murs. Résultat, un ovni délirant avant- gardiste. L’artiste crée donc toute une atmosphère au moyen de ses photos renaissantes autour de détails mille fois grossis de nus étranges. Ces images simulent une cacophonie de nuances criardes où les voilés dévoilés se heurtent en un silence assourdissant. Un rapport au corps douloureusement fascinant se noue là où des rouges sanguinolents côtoient des taches de vert décomposé sur fonds noirâtres, où des corps sont recroquevillés en fœtus, peut-être agonisants. Le sentiment d’un anéantissement émerge et questionne le spectateur.

Pratique :
Exposition individuelle
Jusqu’au 19 avril 2015-
Case à Léo. Habitation Clément
9h18h sans interruption.
Tél : 05 96 54 75 51
Christian Antourel
& Ysa de Saint-Auret

Texte paru dans France-Antilles le Magazine