Seconde conférence du CEREAP sur le thème « Art et nature »

Le mardi 10 décembre à 18h 00, salle polyvalente de l’INSPE

Intervenants : Olivia Berthon, Alain Joséphine, Marie-Lyne Psyché-Salpétrier

Modérateur : Dominique Berthet

Illustration : Alain JHoséphine, Dessin 128, 

L’art et la nature

Cette fiche, au vu de la largeur du sujet abordé, ne comprend que des pistes de réflexion.

L’art, issu du latin ars (habileté, connaissance technique), a donné la racine du mot artisanat, qui est une forme de création, mais aussi du mot artifice. Or l’artificiel s’oppose au naturel. Le naturel, ici, est tout ce qui a trait à la nature, c’est-à-dire l’ensemble des éléments qui constituent l’environnement, ce que l’Homme n’a pas créé. A cet effet, on pourrait penser que l’art s’oppose à la nature. Cependant, le propre de l’Homme n’est-il pas de créer ? L’être humain ne renierait-il pas sa nature en arrêtant de créer ?

L’art peut être perçu comme limite à l’harmonie entre l’Homme et la nature.

L’art est création, par opposition à la nature.

Si l’art et la nature paraissent tous deux être des créations aux yeux des scientifiques, une grande différence les sépare : l’Homme crée l’art, tandis que la nature se crée d’elle-même. Ainsi, l’art, en tant que création, est l’apport d’un élément artificiel, créé de toutes pièces par l’Homme, dans la nature. L’art n’est pas créé par la nature. Nous verrons un peu plus tard, et de manière très (très très) brève, qu’il s’agit là d’un point de vue scientifique : d’un point de vue religieux, on peut penser que la création artistique est une image humaine de la création divine de la nature. Ainsi, la nature ne serait pas issue d’elle-même mais de la volonté d’un (ou plusieurs) dieu(x).

L’art est une imitation (mimesis) de la nature, une expression qui éloigne du réel.

Platon, dans Le Banquet, montre que les poètes travestissent le réel. L’art comprend une partie d’imitation, mimesis en grec. Par l’imitation du réel et de la nature, l’homme crée artificiellement des figures et des images qui éloignent de la raison (logos) et de la nature (physis). C’est pour cette raison que Platon, dans Le Banquet, parle de chasser les poètes hors de la Cité Idéale.

Pourtant, Aristote, qui part des mêmes concepts fondateurs de la définition de l’art (praxis, mimesis) montre que cette imitation, au contraire, rapproche du monde.

L’Homme est un artiste par nature.

L’art est une imitation nécessaire de la nature, et inhérente à l’Homme.

Pour Aristote, dans La Poétique, la mimesis, l’imitation, est au contraire un moyen de mieux connaître et de mieux comprendre le réel. Ainsi, la connaissance de la nature par l’Homme s’en trouve améliorée. De plus, créer et interpréter par l’art est dans la nature de l’Homme.

Dès les débuts de l’Humanité, on retrouve des formes d’art (paléolithique en Afrique saharienne, peintures sur les parois des grottes de Lascaux…). L’art est tout à la fois forme de communication, outil pédagogique, gnoséologique, appropriation du monde par le sens, et réenchantement de ce même monde extérieur, dès lors lié à la subjectivité de l’artiste. Dans le cas de ces peintures rupestres, on retrouve tout de même la marque du créateur par le choix de l’objet de l’oeuvre, le choix de l’emplacement, de la taille. Savoir que l’auteur n’a pas peint pour lui seul mais bien pour le groupe relèvre déjà, semble-t-il de la part personnelle et subjective de l’oeuvre, de son intention. Seul l’Homme possède cette faculté.

La création artistique humaine se fait à l’image de la création du monde.

Les partisans d’une présence divine qui aurait créé le monde, et donc la nature, voient dans l’art une volonté humaine de reproduire cette invention (ex nihilo, ce qui n’est pas le cas de l’art si nous partons du principe que la mimesis est inhérente à l’art, ce qui n’est pas si simple) , mais à l’échelle humaine. D’un point de vue religieux, on peut penser que la création artistique est une image humaine de la création divine de la nature. Ainsi, la nature ne serait pas issue d’elle-même mais de la volonté d’un (ou plusieurs) dieu(x). Ce débat sur la création ou l’autodétermination du monde existe encore aujourdhui, notamment aux Etats-Unis où s’opposent encore évolutionnistes et créationnistes, dans un affrontement qui semble sorti d’un autre temps.

On peut aussi faire fi de l’aspect religieux pour retrouver la même idée : par cet acte de création, l’Homme trouve sa place dans la nature en se plaçant au-dessus du monde animal. La création est véritablement l’affirmation de la nature de l’Homme.

Si tel est le cas, et si l’art ne permet pas seulement de mieux appréhender la nature, mais aussi de s’élever au-dessus d’elle en créant des expériences différentes de celles ressenties dans la nature, cela veut dire que l’art est une transcendance de la nature.

L’art permet à l’homme de transcender la nature.

L’art permet de comprendre les autres êtres humains et leur « monde intérieur ».

Selon Jünger, philosophe de l’herméneutique, la rencontre dans une œuvre d’art entre le monde intérieur d’une personne, qui renferme son imagination, et le monde extérieur, monde réel commun à tous, permet à ces deux mondes de s’élever. L’art est ainsi un formidable catalyseur d’intensité de la vie. L’art permet de mieux connaître la nature et de la rendre plus conforme aux attentes de l’esprit humain.

Pour Merleau-Ponty, dans une autre mesure, les artistes sont ceux qui, par leur capacité à reproduire la perception brute, donnent la vision la plus proche de l’être, mais aussi du monde extérieur dont la nature fait partie.

L’Homme a besoin d’art par nature.

Si l’art, parfois, détourne de la nature et de la vérité des choses qui sont dans le monde, cela bénéficie à un homme en quête de « divertissement », au sens premier du terme (se détourner de). L’art, en tant que création, peut nous éloigner ou nous rapprocher du réel et de la nature, selon les œuvres et les formes de création. Toutefois, lorsqu’elle nous éloigne de cette nature, la création nous permet de mieux supporter notre condition humaine en nous détournant de nos questions existentielles. Selon Pascal, c’est là l’une des conditions du bien-être de l’Homme, qui deviendrait fou s’il ne pouvait se détourner de temps à autres de ces questions.

L’art n’est pas directement naturel ; en revanche, il est naturel pour l’Homme de produire de l’art et de l’apprécier, car cette faculté créatrice fait pleinement partie de sa nature, de son « humanité ». La création, qui possède une part d’imitation, mais aussi une part d’interprétation du réel, éloigne ou rapproche de la compréhension de la nature selon les œuvres ; elle permet soit de mieux comprendre le monde, soit de nous détourner de nos questionnements existentiels, eux-aussi inhérents à l’Homme. Dans les deux cas, l’espace créé par l’art, cet espace virtuel, est une dimension salutaire pour l’esprit humain, questionné en permanence sur son environnement.

Source : Soifdumonde