« Résurgence » : qui trop étreint mal embrasse

— Par Roland Sabra —*

Le projet de Jocelyn Régina est de faire entendre la parole de Césaire. Il invente pour ce faire une situation dans laquelle un vieillard habitant le quartier de Volga attend depuis dix ans la visite habituelle que lui rendait Aimé Césaire, sans savoir que celui-ci est décédé. Il est livré aux mains d’un couple de tortionnaires, une « assistante de vie » et son amant militaire qui n’ont que faire des écrits du poète, de l’écrivain, de l’homme politique. Césaire pour eux est au mieux un nom vide de contenu, au pire le nom d’un politicien aux positions ambiguës. Situation pas aussi irréaliste que cela quand on interroge les jeunes générations. La scène figure l’intérieur de la maison, pauvre en équipement, il y a là un lit coté jardin, un semblant de cuisine coté cour, quelques affiches sur les murs de la masure. Le vieux est handicapé, la goutte le cloue au lit, une corde sur le seul pied valide limite ses déplacements. Le couple n’a qu’un seul projet, celui de dilapider sans vergogne le pécule du vieux qui clame du Césaire nuit et jour. D’un coté donc un amoureux du verbe césarien et de l’autre un couple d’ignares. Le dispositif d’un contraste exacerbé devait mettre en valeur le poète et le prophète d’un monde à venir. Mais voilà Jocelyn Régina dans sa fougue à dire, qui relève parfois de la vocifération, incite à rire de lui, ce que la salle fait, quand elle n’accompagne pas à mi-voix l les paroles du comédiens récitant les vers du poète. A la monotonie du débit du récitant vient s’ajouter une élision des respirations, des pauses, des suspension du dire qui permettre de mettre en évidence une belle idée, faire jaillir le tranchant de telle ou telle pensée. Il en résulte un aplatissement du discours, une mise à distance redoublée par les rires que provoquent dans le public les insertions de créole. Là encore la langue vernaculaire est assignée, comme trop souvent au rire, à la dérision, à la vulgarité.

La forme retenue qui veut que chaque parole du couple soit l’occasion d’un rappel d’une pensée de Césaire tourne vite au procédé, à un faire-valoir qui tombe à plat. C’est d’autant plus dommage que l’idée en elle-même était intéressante. Qui trop étreint mal embrasse.

Fort-de-France, le 23/01/2019

R.S.

 

« Résurgence »

textes Aimé Césaire, & Jocelyn Régina, m.e.s. : Jocelyn Régina
Avec : Jocelyn Régina, Laëtitia Samarium & Virgil Venance