Réparation oui, réconciliation encore plus…

—Par David Macaire, archevêque de la Martinique —

eglise_&_esclavageL’égise et la question de l’esclavage(1)
L’Eglise s’est toujours intéressée au sujet! Et bien avant l’époque contemporaine. Il y a eu des chrétiens propriétaires d’esclaves, mais jamais les papes n’ont officiellement autorisé et justifié l’esclavage. Pendant et après l’esclavage, les Eglises chrétiennes de tout le continent américain ont été quasiment les seules institutions à prendre en charge, éduquer, soigner, émanciper les esclaves et leurs descendants. C’est pour cela que les peuples ont fait corps avec leurs Eglises. Combien de religieux et de religieuses ont donné leur vie pour cela! ? J’en ai moi-même connus. Je trouve d’ailleurs dommage que l’on ignore, dans l’Histoire officielle, le courant anti-esclavagiste qui a existé dans l’Eglise tout au long de la traite négrière, c’est-à-dire dès le début. Et qui a porté des fruits. En 2012, en publiant la biographie du Père Gaston Jean-Michel, avec l’historien Gilles Danroc, nous avons tenu à faire mémoire des hommes et des femmes d’Eglise qui ont su se montrer « anti système » , au prix d’âpres combats, parfois au prix de leur vie.
Que faire aujourd’hui ?
Le sujet reste important. En tant que chrétiens, nous devons nourrir la réflexion. En effet, l’idée de se relever des ténèbres est au centre du message de la Révélation Chrétienne. On peut même dire que le pardon dans la justice et la vérité est le fondement de l’Evangile de Jésus. C’est donc un enjeu majeur pour notre mission évangélisatrice : pour construire la Civilisation de l’Amour aux Antilles, l’Eglise ne peut ignorer la question de l’esclavage ; au contraire, elle doit être partie prenante du travail sur ce thème.
De plus, le sujet reste, malheureusement, très actuel. Il nous faut nous lier avec toutes les forces de l’humanité qui luttent pour une libération de toutes les formes d’esclavages qui persistent. A ce titre, la conférence mondiale organisée en 2001 par l’ONU à Durban en Afrique du Sud reste un modèle de réconciliation non violente.
« Réconciliation réparatrice »
Cela signifie qu’il ne faut pas chercher une réconciliation « facile » , une tape dans le dos qui s’affranchirait d’un véritable geste réparateur. Le pardon déjà acquis par le sacrifice de Jésus sur la Croix ne nous dispense pas d’un certain effort, d’un examen de conscience communautaire, qui nous pousse, nous aussi, à faire la vérité et à rétablir la justice.
Par contre, il y a une façon simpliste, voire raciste, de poser le problème, qui ne peut qu’augmenter les haines et stigmatiser une partie du peuple. Cela me semble être une erreur et une faute : une erreur (un raccourci) historique et une faute morale. On ne doit rien ignorer de l’enchevêtrement des dominations et des mépris accumulés dans notre histoire. Mais à la violence de l’esclavage, on ne saurait répondre par une quelconque violence, faite de haine, d’exaction ou de vengeance. Au nom de l’Evangile, je m’oppose à tout germe supplémentaire de division dans notre société.
La méthode spirituelle que j’ai proposée pour ce Jubilé de la Miséricorde est la suivante : « que chacun parcourt ce chemin spirituel qui consiste à détacher les yeux de son coeur de sa propre blessure pour considérer la fracture de l’autre. Un chemin qui signifie concrètement de consentir à ne pas recuire indéfiniment sa propre souffrance » (Eglise en Martinique N°512, déc. 2015). Chacun devrait faire ce chemin.
Que faut-il faire ?
La prière sera un moyen puissant de la Justice et de la Vérité, en lien avec les gestes privés, les oeuvres et les actions publiques concertées. Pour obtenir la Paix, il nous faudra poursuivre un travail historique non partisan, se méfier de tout révisionnisme et de toute lecture idéologique de l’Histoire.
De plus, cette problématique, si elle s’exprime aujourd’hui en des termes nouveaux, n’est pas nouvelle. Des actes ont déjà été posés. Il convient donc d’analyser honnêtement ce qui a été fait et ce qui reste à faire. Il y a des collectifs et des associations qui prennent des initiatives d’envergure. Il y a surtout, et c’est peut-être le plus important, des milliers de petites initiatives quotidiennes qui, sans être spectaculaires et médiatiques, témoignent de la volonté des gens de se rapprocher, de construire des projets communs et de partager une vision positive de l’avenir. Tout cela me semble aller dans le bon sens.
L’esclavage, un crime contre l’humanité. Faute irréparable ?
Nous ne sommes quand même pas le premier peuple à devoir vivre après un tel crime! L’exemple à ne pas suivre est celui de l’après-guerre de 1914-1918. La mauvaise gestion de la mémoire souffrante de la France et de l’Allemagne a directement produit la guerre de 1939-1945. Des millions de morts dans le cycle de la vengeance. Il a fallu des initiatives comme les rencontres de jeunes Français et Allemands à Taizé, des gestes politiques et la construction de l’Europe par des hommes politiques chrétiens pour sortir de l’esclavage moderne, celui de la haine…
En tout cas, loi ou pas loi, la traite négrière est une faute irréparable en soi : on ne pourra pas retourner en arrière. Il nous faut aller de l’avant. C’est précisément ce pourquoi j’appelle à une réconciliation réparatrice.
La dimension réparatrice est nécessaire car un mal réel a été fait aux esclaves avec des conséquences visibles pour tous aujourd’hui encore : les fractures sociales, la pauvreté, les complexes raciaux ou les dégâts moraux et spirituels dans les âmes de tous. On ne peut pas dire que rien n’a été fait jusqu’à aujourd’hui, mais des politiques volontaristes doivent encore s’engager, non par bienfaisance mais en justice, pour aider à compenser au mieux les dégâts bien réels de l’esclavage. Il ne m’appartient pas de discuter ou même de proposer les modalités pratiques (soutien de projets, aide au développement, mémoriaux, musées, etc.), mais c’est en raison de ces éléments concrets que la réconciliation sera réparatrice.
Cela dit, la dimension réconciliatrice est plus importante : les projets ont essentiellement une visée spirituelle et morale. N’oublions pas ce que nous redit avec insistance un philosophe croyant, Paul Ricoeur : Ma liberté veut que l’autre soit libre. Une liberté qui aime l’autre, rien à voir avec la médiocre liberté de choix de l’hyper-libéralisme qui ne crée que de l’égoïsme. C’est pour cela que, sans gestes et paroles de réconciliation, il n’y aura jamais de réelle unité.
Mgr David Macaire, archevêque de la Martinique
(1) L’intégralité de ce texte de Mgr David Macaire est à paraître dans la revue « Eglise en Martinique » sous forme d’interview.

Publié initialement dans France-Antilles le 20 mai 2016

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Fresque espagnole du 13eme siècle représentant Saint Michel des chrétiens pesant les  » bonnes âmes  » (blanches) dans une balance face au diable (noir aux cheveux crépus avec cornes et griffes) pesant aussi des  » mauvaises âmes  » en voie de diabolisation et de noircissement de la peau

http://www.black-feelings.com/accueil/detail-actualite/article/histoire-africaine-lorigine-du-racisme-anti-noir-dans-le-monde/?fb_comment_id=928784913819869_928864337145260#f1711ab5a0742fa