Refuser la violence envers les femmes en tout temps et en tout lieu

par Danièle Magloire – Sociologue, féministe haïtienne

 

 

-Dès 1930, les féministes haïtiennes se sont mobilisées. Depuis la résurgence du mouvement en 1986 après la chute de la dictature des Duvalier, la violence spécifique envers les femmes est, dans

une diversité de registres, au coeur des revendications: droit de cuissage et harcèlement sexuel (ouvrières sous-traitance), violence dans les sphères privée et publique (femmes marginalisées), violences conjugale et civile récurrentes, abus sexuels en milieu scolaire, violence pour motif politique. Beaucoup se demandent pourquoi s’attacher à distinguer la violence selon le sexe des victimes. Des apparences trompeuses peuvent laisser croire qu’Haïti n’est pas une société d’obédience patriarcale: matrifocalité, présence marquée des femmes dans l’espace public, taux élevé d’activité économique généralement sans mouvement de retrait/retour sur le marché du travail. Le principe de l’égalité des droits a finalement été consacré en 1987. Dans la pratique, les Haïtiennes sont soumises à un ensemble de contraintes et ont un accès marginal aux ressources (économiques, productives, politiques, temps). Lorsque les agressions envers les femmes s’inscrivent dans le cadre d’attaques contre les populations (violence d’État, de groupes armés), il est relativement aisé de faire reconnaître certaines formes de violence (viols, tortures, séquestration, violences à caractère économique). Les protestations sont fortes, mais indexent surtout les situations d’insécurité et/ou d’impunité plutôt que les violations des droits des femmes. Lorsqu’il s’agit d’actes de citoyens ordinaires, la violence est volontiers banalisée. Il est assez difficile de faire comprendre le bien fondé de l’égale importance accordée à toutes les formes de violence en tout temps, et en particulier à tout viol, quels que soient l’auteur et la motivation, quelle que soit la victime. La question est de nature éthique et renvoie aux représentations collectives de la justice et à une certaine perversion sociale, le blâme de la victime. Ce qui choque, ce n’est pas tant la violence, mais son type, son intensité, sa régularité.

La tendance est de considérer que la problématique est celle des organisations de femmes. Mais, il revient aussi aux autres mouvements sociaux de contrer cette violence, y compris en leur sein. Comment lutter efficacement contre les inégalités si on occulte le fait que la violence traduit la marginalisation des femmes; qu’elle sert les mécanismes de domination?

Comment construire une société solidaire sans la participation des citoyennes?

Comment y parvenir sans mettre en cause tous les privilèges, y compris ceux de la condition masculine? Comment ne pas considérer les déficits des mouvements sociaux au regard du fait

qu’ils s’adressent trop peu aux femmes?

Il est de l’intérêt des hommes et des femmes de combattre cette violence spécifique, pour dire non à l’autorité tyrannique, pour permettre l’éclosion de toutes les potentialités.

Danièle Magloire – Sociologue, féministe haïtienne

7 novembre 2012