Rebelle : Paul et Virginie chez les enfants soldats

Par Selim Lander. Les films sur les guerres civiles ou tribales ou ethniques en Afrique constituent aujourd’hui un genre à part entière. Ils ont leurs scènes obligées : les pick-up chargés d’hommes en armes, les campements précaires, les tirs d’armes automatiques, les gros plans sur une kalachnikov, les villageois apeurés, les paysages de jungle ou de savane… et les enfants soldats. La mise en scène de massacres exécutés par des enfants d’abord réticents et effrayés mais vite dressés et transformés en machines à tuer inconscientes ne manque pas de faire son effet sur les spectateurs. Rebelle est donc l’un de ces films, à quelques détails près qui font toute la différence : il focalise sur deux de ces enfants, « Sorcière » et « Magicien » ; il nous épargne les scènes de massacre qui sont simplement suggérées ; et surtout il réussit l’exploit de transformer un sujet sordide en une merveilleuse histoire humaine.

Rebelle

Comme dans nombre de films mettant en scène les enfants, le spectateur est invité à découvrir l’action à travers les yeux de l’un d’entre eux, ici ceux de l’héroïne, Komona, jeune fille à peine nubile, enrôlée dans une troupe de rebelles après avoir franchi l’épreuve initiatique hélas coutumière qui l’a obligée à massacrer – sous la contrainte – ses propres parents. Mais le film – on l’a déjà remarqué – dépasse l’atrocité des situations objectives pour nous conduire dans un autre monde, celui de Paul et Virginie (oui ! ceux-là même peints par Bernardin de Saint-Pierre), celui de la pureté des amours juvéniles.

Les Africains dépeints dans le film appartiennent à un autre monde que le nôtre. « À l’est d’ébène » comme titre Libération dans sa critique, la vie ne coûte pas cher, la mort est banale, la misère normale. Tout cela pourrait être insoutenable pour les âmes sensibles que nous sommes devenus. Pendant les guerres de religion, quand les Français s’étripaient allègrement, c’était bien différent mais aujourd’hui le spectateur occidental est placé, à l’égard des situations comme celle décrite dans le film, dans la position du voyeur calé bien inconfortablement dans son fauteuil de cinéma. Le réalisateur, le Canadien Kim Nguyen, se sort de cet écueil en instaurant chez nous une forte empathie avec les deux enfants, principaux protagonistes du film, « rebelles » malgré eux, et qui ne demanderaient qu’à s’aimer et à avoir eux-mêmes beaucoup d’enfants. Et si les choses tourneront finalement autrement, il n’en restera pas moins cette conviction que la méchanceté et la souffrance ne sont pas les plus forts, que les humains sont capables d’autre chose, de bienveillance, de solidarité, de bonté, qui font sa vraie noblesse.  

Il ne faudrait pas voir pour autant dans Rebelle un film moralisateur. La morale ne s’affiche pas plus que la violence, les deux sont suggérées mais suffisamment pour que ni l’une ni l’autre ne se laissent oublier. Cela étant, le film vaut surtout pour ses moments de grâce fugitifs, regards, gestes furtifs, à travers lesquels s’exprime l’humanité des personnages.

Pour expliquer que la jeune soldate – qui a été forcée au début du film à exécuter ses parents – puisse accepter le climat de violence dans lequel elle se trouve plongée, sans sombrer dans la folie meurtrière, le réalisateur (également auteur du scénario) imagine qu’elle voit des fantômes, ceux de ses parents, de ses compagnons d’arme ou des ennemis tués au combat : des corps presque nus blanchis de cendre. Le procédé, étonnant et séduisant au début, devient un moteur du récit – avec l’apparition, récurrente, des parents – au risque de paraître un peu trop systématique.

Il faut saluer particulièrement, pour finir, les deux jeunes interprètes, deux enfants des rues de Kinshasa (le film a été tourné au Congo) : Rachel Mwanza récompensée par l’Ours d’argent de la meilleure actrice à Berlin en 2012 et son amoureux, Serge Kanyinda, tout aussi émouvant.

Un spectacle du CMAC (Fort-de-France) au cinéma Madiana du 25 au 28 février 2013.