Le XXIe siècle sourira à certains, pas à d’autres.

Par Pierre SUEDILE

—Notre monde semble de moins en moins enclin et disposé à garantir, autant qu’avant et à ceux qui fournissent l’effort requis, une compétence qu’ils pourraient  exercer pour s’épanouir, pour peu qu’ils empruntent une voie d’excellence. Et pourtant c’est bien le seul chemin que s’était tracé le commun des mortels pour survivre à l’iniquité générale environnante. Heureusement pour lui, il garde espoir et foi car il n’est pas encore conscient de la quasi ruine d’une condition résultant de la sédimentation d’efforts toujours plus nombreux, toujours plus intenses. C’est à ce niveau qu’il faut situer vraiment notre « fin du monde », hors les propos de charlatans ou d’illuminés désireux de transférer vers un ailleurs inconnu, la responsabilité de chacun. L’itinéraire emprunté naguère par notre société, avec audace et conviction, ne s’accommode plus tout à fait de la réalisation de l’humain, de l’émancipation de l’espèce en lutte incessante ; il est en train de tourner le dos à sa cible. De façon plus prosaïque, il semble pertinent de se demander si notre « Démocratie » tant vénérée n’est pas déjà proche de l’essoufflement, oubliant son essentiel, son géniteur, sa raison d’exister. Le XXIe siècle permettra de répondre à cette question, quand bien même la capacité d’adaptation de l’homme présente une épaisseur défiant aisément la raison.

Que sera donc le monde ?

Le monde, non pas au sens de la Terre qui nous ignore, tant son échelle est éloignée de la nôtre, mais le monde à notre portée. Celui des États bâtis par l’homme sur des équilibres qu’il s’applique à détruire, pour toujours s’extirper davantage de la nature et peut-être pour plaire au regard de l’autre. C’est tout de même sa principale boussole et le fondement de sa propension folle à vouloir s’affranchir de sa chape sociétale.

En guise de prévision, disons que dans moins de cinq ans, si ce n’est pas déjà le cas, la Chine retrouvera sa place de première puissance productive et commerciale du début du XIXe siècle, et déjà elle se prépare à remettre en question le statut d’un dollar incroyablement gâté par des Accords qui prétendaient reconstruire un monde fortement hypothéqué par les guerres mondiales. Elle accumule des tonnes d’or par concessions d’exploitation ou par achat, elle organise son indépendance énergétique et minérale, elle fait savoir que le moment est venu de récupérer ses dépendances jadis perdues, elle tente d’améliorer sa consommation intérieure et surtout elle jette les jalons d’une future zone monétaire. Que l’Occident s’imagine qu’elle dépendra toujours trop de ses exportations pour changer de ton, qu’il pense lui refuser le titre de pays porteur de la monnaie internationale, il vaut mieux croire que le monde ne sera plus le monde. La Chine proposera le Yuan mais, instruite d’un passé et d’un présent qu’elle sait pavés de frustrations et de conflits, elle se prépare à l’option qui s’imposera ; le retour probable à plusieurs zones monétaires. Et tant pis pour les Etats-Unis grâce auxquels elle détient la plus immense réserve de change ainsi qu’un véritable trésor de « bons ». La Chine n’hésitera pas à couper, partiellement tout de même, la branche sur laquelle elle se trouve puisque sa puissance dépend fortement des importations américaines.  Elle se trouvera des amis, ceux qui partagent à défaut ses analyses et ses rancœurs. Quant aux autres, ils devront affronter les vertiges d’un déséquilibre majeur, générateur d’un nouvel équilibre, d’un nouveau monde. Les Etats-Unis il est vrai n’en seront pas déstabilisés outre mesure en raison de leur extraordinaire capacité d’entreprendre, de leur incroyable maîtrise de la recherche développement et surtout de leur philosophie magistrale de la réussite rivée sur le matériel et la liberté. Ils céderont du terrain aux émergents d’aujourd’hui mais le déclin annoncé par certains ne sera pas au rendez-vous. La multi-polarisation du monde s’affirmera simplement aux dépends des mauvais canards boiteux se croyant à l’abri sous le parapluie des puissants.

Une certaine Europe  semble être de ceux-là.

Deux réalités s’imposent dorénavant. L’Union européenne ne sera jamais un pôle d’envergure économique en l’absence du seul pays qui, associé à l’Allemagne, à la France et au Royaume Uni, pourrait lui en donner l’étoffe ; la Russie. La paix et la démocratie qu’elle appelle de ses vœux ne peuvent s’imposer durablement à l’intérieur de ses frontières que conjointement à l’élargissement de la prospérité, et le potentiel russe est de nature à en hâter l’avènement. L’Union européenne devrait s’inspirer du propos du député français s’exprimant sur l’affaire de la nationalité russe accordée à Depardieu. La démocratie russe ne mérite pas tant d’éloges de la part de l’acteur mais ne devrait pas être, sans fondement, autant vilipendée. En bref, les arguments avancés quotidiennement pour dénoncer la démocratie russe relèvent excessivement et maladroitement d’une volonté d’abattre. Attention ! Le pendu risque d’entrainer l’arbre malade dans sa chute. L’Allemagne le sait et elle n’hésite pas à investir massivement en un de ces lieux privilégiés où demain l’avenir se jouera.

Refuser la « Maison commune » de Gorbatchev, c’est s’inspirer de motifs en grande partie fallacieux. Ni les failles pourtant réelles de la démocratie russe, ni la référence à sa volonté hypothétique de reconstituer l’Empire ou le communisme, et encore moins l’origine slave d’une large composante de son peuple ou l’affairisme de certains oligarques, ne sauraient justifier des commentaires insultants prononcés par des médias aux analyses primaires. J’en veux pour preuve un reportage présenté tambours battants, mettant en scène quelque quatorze mille opposants occupant la rue et refusant la dernière élection de Vladimir Poutine. Ils étaient ignorés de cent quarante trois millions d’autres Russes. Autre illustration infondée, la dénonciation de la valse extrêmement désagréable mais absolument démocratique organisée entre Poutine et Medvedev à la tête de l’Etat. En la matière certains arguments affolent mais ne sont pas recevables ; il faut raison garder.

Tout naturellement la Russie est donc poussée dans les bras d’une Chine qui conclut avec elle des accords, investit et émigre dans sa partie asiatique. Attention ! La Russie intégrera la zone monétaire de l’Asie si elle prend forme et si elle continue à y être poussée. Il faut souligner en la matière l’inconscience et l’arrogance de l’Union européenne. Et partant d’un si bon pied, pourquoi ne renforcera-t-elle pas encore son alliance militaire et politique avec la Chine. Le pas est déjà en partie franchi par les alliances à l’ONU et le soutien concerté, à l’Iran, à la Syrie et à la Corée du Nord. Les Etats-Unis n’ont rien à perdre à ce jeu, du moment que son Moyen-Orient de mythes ancestraux, d’affaires et de pétrole demeure encore son terrain de tir privilégié. Les zones monétaires si elles voient le jour seront donc également des zones militaires et politiques. A l’intérieur de celle qu’elle intégrera, l’Union européenne n’aura plus une position forte. Elle sera dans celle de l’Oncle Sam, mais les Etats-Unis privé d’un dollar bouclier auront-ils la volonté et les moyens de porter à bout de bras cette Vieille Europe peu dynamique. La mondialisation la met dangereusement en compétition avec des territoires plus productifs, plus compétitifs et devenus des fers de lance de la recherche technologique ? Rien n’est moins sur.

Aujourd’hui premier pôle commercial du monde en comptabilisant les échanges intra-communautaires, pourra-t-elle enfin exister demain dans nos foyers à travers ses hypothétiques produits anglais, portugais, polonais, hongrois, tchèque, slovaque, bulgare, roumain, belge, danois,… ?

L’Inde, le Japon ou les dragons seront-ils les partenaires privilégiés d’une Europe qui tarde trop à se trouver ? Ils sont tous, soit en mer de Chine, soit encore traumatisés par des souvenirs coloniaux qui n’ont pas cessé de hanter leur mémoire et leur imaginaire. La Chine prendra le temps qu’il faudra mais elle en fera son affaire et le cas de Taiwan, déjà victime d’un troc favorable à un marché de plus de 1.3 milliards d’habitants, en dit long sur les priorités futures de leurs protecteurs.

 

Et la marche forcée de la France ?

Dans ce contexte la France d’une gauche et d’une droite qui tour à tour déçoivent, a elle-même signé son avenir en limitant les possibilités de cohabitation. Personne ne s’en est aperçu, mais cette situation représentait l’unique moyen d’espoir d’une France à la recherche d’un niveau de vie moins étriqué ou encore d’un passé glorifié à l’excès. La montée, étape après étape, du nationalisme xénophobe témoigne d’un ras-le-bol grandissant, pas assez courageux pour provoquer le changement radical mais suffisamment viril pour que le modèle sociétal soit sacrifié par l’une et l’autre des familles politiques sur l’autel du néolibéralisme. La mondialisation, surtout celle des années 1980 qui durablement a ouvert les marchés à l’international en réponse à l’explosion des productions, contribue à propulser au premier rang la règle de la compétitivité. C’est la cause de toutes les entorses à un modèle français vieilli mais soucieux de solidarité. Au nom de la facilitation de la qualité et de la baisse des coûts nombre de mesures ont été salutaires pour viabiliser certaines entreprises jusque-là peu dynamiques et peu compétitives. Parmi elles, beaucoup doivent être inventoriées et corrigées, voire éliminées. Celles qui ont permis l’impérialisme de la finance, sur le choix entre économie réelle ou virtuelle, sur l’abandon de la régulation bancaire ou boursière, sur la réglementation des activités d’intérêt public, sur les contrats entre patrons et salariés, sur l’obligation de l’Etat de veiller au respect de la santé, de la famille, de l’éducation, du logement, du handicap, de la vieillesse et de l’activité économique nationale, méritent d’être remplacées. Les nouvelles devront porter le sceau de la protection des Français et de la France. En omettant de réaliser cette tache de salut public, Hollande a lui-même déposé les armes car les Etats sont aussi dans le collimateur des financiers insatiables. Aujourd’hui, il s’agit de leur imposer au moyen de notes  et de taux d’intérêt en hausse, les règles de la « bonne gouvernance ». Demain la récession inévitable les éloignera encore plus des ressources fiscales indispensables et les banques leur feront payer leur incurie. Nous vivrons de nouveau, cette fois dans la sphère des riches, la situation naguère générée par les politiques d’ajustement budgétaire du FMI, imposées aux pays endettés.

Pierre SUEDILE. Le 26 janvier 2013. Fort-de-France.