R.C.M. 2015 : « Hill of freedom », une petite merveille!

— Par Roland Sabra —

hill_of_freedomUn film épistolaire en rupture avec le mouvement du temps. Won, une femme de Séoul reçoit par la poste un paquet de lettres que Mori, un japonais lui a écrit lors d’une retour sur les lieux de leur rencontre deux ans auparavant. Elle avait repousser ses avance. Émue par ce qu’elle découvre elle laisse tomber dans un escalier les lettres qu’elle ramasse sans pouvoir les reclasser car elles ne comportent ni date ni pagination. Elle se pose dans un café et poursuit dans le désordre sa lecture des lettres de Mori dans lesquelles il lui décrit les personnages qu’il rencontre dans la guest-house ou il loge, y compris sa liaison avec la tenancière du restaurant « Hill of Freedom » où elle et lui se retrouvaient en ce temps où il était amoureux d’elle. Avec le temps va, tout s’en va. L’écriture des lettres a un effet cathartique sur la passion amoureuse de Mori qui va aller s’étiolant. Mais tout comme le fil chronologique des lettres s’est rompu le désinvestissement amoureux va connaître des avancées et des retours en arrière. La rupture du mouvement linéaire du temps est d’autant plus brisée que Mori la théorise par la lecture d’un essai sur la relativité du temps qui pose que seuls les corps existent et que le temps est un cadre mental qui les piège et les enferme. La rupture se traduit dans la construction du récit par un abandon des notions « arbitraires » de passé, d’avenir ou de présent. Cette disparition des repères temporels n’est pas total car Won non seulement connait les lieux d’où Mori écrit mais elle n’a pas fait tomber l’ensemble des feuilles. Le fil chronologique est recomposé par endroit. L’épilogue du film boucle la narration en ramenant le spectateur au commencement… ou à la fin. Nul ne sait.
Hong Sang-soo s’amuse avec la temporalité, comme il se plait à déconstruire les taxinomies, les assignations à des résidences identitaires, les attributions de caractère monolithique. Il se plait à développer des situations d’entredeux, de disjonctions inclusives, comme s’il voulait opposer à un cinéma « classique » un cinéma « quantique ». Et l’on retrouve cette façon de filmer Séoul, non pas à partir de longues avenues, de perspectives infinies mais en en montrant les ruelles butant sur des murs de maisons dans un labyrinthe qui enferme les personnages dans un univers clos sur lui-même sans échappatoire possible. Le repli communicationnel est encore souligné par l’utilisation comme langue d’échange entre Mori le japonais et son entourage coréen de l’anglais. La conversation est de ce fait limitée à l’échange de généralités et de banalités sur ce que seraient par exemple les japonais, polis et propres, les coréens grands et autres sottises, quand elle ne s’éteint pas d’elle-même devant les préjugés rabâchés jusqu’à l’inanité et qui déconcertent Mori au point de le laisser sans voix. Le prêt à penser est montré comme symptôme d’un manque à être existentiel concernant davantage les hommes que les femmes. Ce sont elles qui dans les films de Hong Sang-soo prennent l’initiative de la rencontre même si celle-ci se révèle souvent être un leurre.
Hong Sang-soo construit une œuvre pleine et entière faite de petites touches impressionnistes en rupture avec les linéarités habituelles d’où ressortent une ironie et un humour qui portent à rire de bon cœur devant les situations décrites. Le dernier opus de Sang-soo est certes un drôle de film mais c’est aussi un film drôle. Systématisant à l’extrême son refus de positions antagonistes figées il réalise avec « Hill of freedom » en 66 minutes un film de qualité au moins égale à celui que l’on pouvait jusque là considérer comme le plus réussi, à savoir « Turning gate » qui dure près de deux heures.
Fort-de-France, le 17/06/2015
R.S.

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