Quand Rosa Parks remplace Colbert dans la dénomination d’un lycée

Ce n’est pas nouveau, mais cela prend une ampleur nouvelle. En effet, la question des emblèmes esclavagistes dans l’espace public se pose, en France comme ailleurs, formulée depuis quelques dizaines d’années par des citoyens  qui demandent le retrait de ces symboles, que ce soit noms de rues ou d’établissements publics et scolaires, statues et monuments mis accusation. Aujourd’hui, l’historienne Jacqueline Lalouette estime quant à elle, dans le journal « Ouest France », qu’il est préférable d’« expliquer plutôt que détruire ».

La Controverse, en Septembre 2017, relevée dans des publications au journal « Le Monde »

— Tribune du CRAN, le 17 septembre : À l’initiative de Louis-Georges Tin, président du CRAN (Conseil représentatif des associations noires de France), et du philosophe Louis Sala-Molin, plusieurs personnalités signent une tribune afin que le nom de Colbert, ministre de Louis XIV, soit retiré de l’espace public.

« (…) Cette exigence suscite chez certains de nos compatriotes une certaine angoisse : jusqu’où, disent-ils, faudra-t-il aller ? La réponse est claire : on ne pourra sans doute pas modifier tous les symboles liés à l’esclavage dans l’espace public, tant ils sont nombreux et intimement liés à notre histoire nationale. Mais on ne peut pas non plus ne rien faire, en restant dans le déni et dans le mépris, comme si le problème n’existait pas. Entre ceux qui disent qu’il faut tout changer et ceux qui disent qu’il ne faut rien changer, il y a probablement une place pour l’action raisonnable.

On pourrait, par exemple, se concentrer sur les collèges et les lycées Colbert, qui existent dans plusieurs villes de France. Il s’en trouve à Paris, à Lyon, à Marseille, à Reims, à Thionville, à Tourcoing, à Lorient, à Rouen etc. Pourquoi Colbert ? Parce que le ministre de Louis XIV est celui qui jeta les fondements du Code noir, monstre juridique qui légalisa ce crime contre l’humanité. Par ailleurs, Colbert est aussi celui qui fonda la Compagnie des Indes occidentales, compagnie négrière de sinistre mémoire. En d’autres termes, en matière d’esclavage, Colbert symbolise à la fois la théorie et la pratique, et cela, au plus haut niveau ».

 Une réponse, le 21 septembre :  dans sa tribune, Aurélien Dupouey-Delezay, professeur d’histoire-géographie, estime que retirer par exemple le nom de Colbert témoigne d’une incapacité à assumer l’histoire.

« Certes, Colbert a fondé l’esclavagiste Compagnie des Indes occidentales. Est-il utile de rappeler qu’il est aussi celui qui a su redresser l’économie de la France ?… Certes, il a posé les bases du Code noir, qui a légalisé la pratique de l’esclavage. Ce texte comportait bien des aspects monstrueux : outre l’horreur de base qu’est le fait de considérer l’esclavage comme une norme, il autorisait peine de mort et mutilation, souvent pour des motifs au fond bien légers.

Sert-il à quelque chose de rappeler que, néanmoins, le Code noir avait aussi vocation à encadrer la violence des propriétaires d’esclaves et à ne pas leur autoriser tout et n’importe quoi ? Peut-on rappeler cette vérité sans se voir taxé de cynisme ou d’indifférence face à des souffrances infinies ? Il faut aller plus loin. Colbert n’était après tout que le principal ministre de Louis XIV. Louis-Georges Tin et Louis Sala-Molins souhaitent-ils également débaptiser le lycée Louis-le-Grand ? Allons-nous ensuite débaptiser les collèges et lycées Voltaire au prétexte de ses écrits antisémites ? »

Une pétition en ligne, en mai 2018

Alors que la statue de Colbert devant l’Assemblée Nationale est aujourd’hui dans le viseur des manifestants antiracistes, le site martiniquais Bondamanjak rappelle ce jour l’existence d’une pétition, à signer depuis mai 2018.

« 401 ans après sa naissance, Jean-Baptiste Colbert le père du Code Noir n’a plus un destin cousu de fil blanc… La présence d’une statue de #COLBERT le père du #CodeNoir devant l’Assemblée nationale française est une aberration dans une France qui se dit « pays des droits de l’homme », et qui a déclaré l’esclavage crime contre l’humanité ».

Juin 2020 ( d’après Valeurs Actuelles) : à Thionville, un exemple conforme aux demandes du CRAN

Effacer le nom de Colbert dans l’appellation d’un établissement scolaire… C’est chose faite  dans  la région Grand Est. Ce vendredi 19 juin le changement de nom du lycée Colbert-Sophie Germain, à Thionville, a été validé après que la proposition en eut été faite aux élus, qui ont tranché. L’établissement, né de la fusion de deux lycées, s’appellera désormais « Rosa Parks » en hommage à l’activiste afro-américaine (1913-2005).

Cette décision a provoqué un tollé parmi les membres du Rassemblement national, qui y voient une décision politique alors qu’un mouvement contre le racisme et les symboles coloniaux traverse actuellement la France…

Or, ce dossier, en travaux à la Région depuis mars, avait été retardé à cause du confinement. Le choix de Rosa Parks est déconnecté de « toute contingence politique » puisqu’antérieur à la mort de George Floyd. La sélection complète des noms, proposés par les élèves eux-mêmes, avait été présentée entre fin mars et début avril. Trois finalement resteraient en « compétition » : Simone Veil, Rosa Parks et Wangari Muta Maatha (prix Nobel de la paix en 2004).

Qui était Rosa Parks ? Rosa Louise McCauley Parks, dite Rosa Parks (4 février 1913 – 24 octobre 2005), figure emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis, devint célèbre le 1er décembre 1955, à Montgomery (Alabama), où elle fut arrêtée par la police pour avoir refusé de céder sa place à un passager blanc dans un autobus. Le Congrès américain lui a donné le surnom de « mère du mouvement des droits civiques ».

D’autres suggestions, à prendre en compte

— En août 2017, Louis-Georges Tin publiait dans le journal « Libération » une tribune intitulée « Vos héros sont parfois nos bourreaux ». On y trouvait ces propositions :  « Si l’on veut vraiment transmettre la mémoire, pourquoi ne pas proposer plutôt des rues au nom de Toussaint Louverture, le héros haïtien, ou au nom de Champagney, ce village français dont les habitants prirent fait et cause pour les victimes de l’esclavage, pendant la Révolution ? »

— En juin 2020

Vikash Dhorasoo, l’ancien  footballeur — venu présenter il y a quelques années son film « Substitute » à l’Atrium — , qui fut international français et s’est reconverti dans la politique, a participé jeudi 18 juin avec des militants antiracistes au bâchage de la statue du général Gallieni, à Paris. Selon le candidat « France Insoumise », malheureux dans le XVIIIe arrondissement de Paris, il faut désormais « déboulonner certaines statues qui représentent le colonialisme » : la place de ces statues serait plutôt dans les musées.

Et pour remplacer les statues en question, il a pensé à d’autres modèles plus… ludiques : « À l’époque des Grecs, les statues mises dans l’espace public étaient celles de sportifs. Pourquoi aujourd’hui, on n’érigerait pas une statue de Mbappé par exemple ? Lui a porté la gloire de la France, il a fait rayonner la France à travers le monde, sans tuer une seule personne, seulement en marquant des buts. Il est issu de la diversité, il est jeune, il parle aux enfants des quartiers populaires». Il a également cité Zinedine Zidane, disant que la fresque de « Zizou » sur la Corniche à Marseille avait rendu fière toute la ville. « Les gens étaient tellement heureux d’avoir un vrai modèle de victoire, de beauté, et à qui on peut s’identifier. On ne s’identifie pas à ce personnage — le général Gallieni — qui a tué des gens à Madagascar… »

(Rappelons à Vikash Dhorasoo que les statues de sportifs, dans l’Antiquité, étaient souvent nues…)

Synthèse faite par Janine Bailly, à Fort-de-France, le 22 juin 2020

Dernière nouvelle : Ce mardi 23 juin, la statue de Colbert située devant l’Assemblée nationale a été vandalisée. En effet, elle a été recouverte en partie de peinture rouge et de l’inscription « Négrophobie d’État ».