Quand j’étais petit je voterai

— Par Michèle Bigot —
Texte de Boris Le Roy, M.E.S. Emilie Capliez
Que nous réserve cette création de la Comédie de Saint-Etienne ? Et que nous réserve ce chamboulement des temporalités annoncé par le titre ? Assurément on est dans une esthétique du déplacement, du pas de côté. Et c’est raison quand il s’agit d’aborder au théâtre des questions aussi lourdes que l’exercice de la démocratie et l’apprentissage de la citoyenneté. Alors le décalage comique est de mise. Voter, un exercice qui soulève les passions quand il ne génère pas l’indifférence !
Et les ados, comment ils voient les choses ? Ils n’ont pas l’âge de voter dans les élections nationales, mais l’élection d’un délégué de classe peut s’avérer un pur exercice électoral : se présenter comme candidat, faire campagne, argumenter, développer un programme, tout cela c’est déjà la vie politique, celle d’un citoyen, quand bien même on n’en comprend pas tous les enjeux. Le pari est réussi. Il est de l’ordre de la métaphore généralisée : c’est drôle et c’est parfaitement pertinent. Deux acteurs de belle envergure soutiennent la gageure. Lui, surnommé Anar, interprété avec drôlerie et finesse par Simon Pineau, elle, surnommée Lune, jouée avec une malicieuse ingénuité par Elsa Verdon. Tous les personnages sont affublés d’une dimension symbolique en vertu de leur surnom : on devine ce qu’il en est pour Anar ; pour Lune, qui n’a pas sa carte jaune, on devine qu’elle débarque fraîchement d’extrême orient. Et puis il y a Cachot, avec tes tendances frontistes bien affirmées. Il y a même Champion, dont le père possède les usines locales et Menotte, l’attaché de presse ! Bref tout l’univers électoral est représenté, avec drôlerie, avec justesse. Et pareillement tous les espoirs, toutes les craintes, toutes les questions qui assaillent les ados (et les autres). En somme les ingrédients inusables du conte philosophique. L’air de ne pas y toucher, on aborde les questions politiques essentielles, et notamment celle-ci : il ne faut pas laisser les puissants s’occuper de la démocratie. Du reste l’exercice du pouvoir est représenté par la prof qui organise les élections : elle est au bord de la crise de nerfs !
Voilà pour l’argument : efficace et totalement réjouissant. Mais il faut ajouter que la scénographie sert admirablement le projet. Un dispositif très simple mais puissamment symbolique et aisément transformable. Des gradins en demi-cercle qui ne sont pas sans évoquer l’amphithéâtre grec, lieu de naissance du théâtre et conjointement de la démocratie, le premier n’allant pas sans la seconde. Cet espace pourra se transformer en piscine, en arène de gladiateur, en pelouse de foot, au gré des besoins de l’action. Et pourquoi pas en tableau de classe s’il s’agit d’écrire quelque slogan ? Le dessinateur Franck Van Leeuwen a su pourvoir à la dimension poétique du récit. Car il y a aussi place pour le rêve dans ce « Candide » d’aujourd’hui.
Voici un spectacle conçu pour des ados, qui emportera la conviction des adultes. Comme quoi on peut être drôle et réjouissant sans verser dans le divertissement abrutissant !
Michèle Bigot
Madinin’Art