Quand 2019 se penche sur le cas de Gauguin le « pédophile »

— Par Louis Nadau —  

Alors que la National Gallery de Londres consacre une exposition aux portraits de Paul Gauguin, le « New York Times » a publié ce lundi 18 novembre un article invitant à revoir l’héritage du peintre à l’aune de ses relations avec des Polynésiennes de 13 et 14 ans.

« Is It Time Gauguin Got Canceled ?« . C’est le titre provocateur de l’article publié ce lundi 18 novembre dans le New York Times émettant l’hypothèse, comme diraient des Twittos, qu’on « supprime » purement et simplement l’œuvre du peintre. « Pourquoi Gauguin est-il problématique ? » serait certainement un bon équivalent de ce titre dans ceux des médias français qui adhèrent au révisionnisme anachronique. Alors que la National Gallery de Londres consacre une exposition aux portraits de Paul Gauguin jusqu’au 26 janvier, le quotidien américain met ainsi en scène un débat appelant à revoir l’œuvre de l’artiste, débarqué à Tahiti en 1891, à l’aune de ses relations avec des Polynésiennes de 13 et 14 ans et, surtout, des normes sociales du XIXe siècle. « A une époque de sensibilité publique accrue aux questions de genre, de race et de colonialisme, les musées ont à réévaluer son héritage« , assène l’auteure de l’article, Farah Nayeri.

« un pédophile arrogant »

C’est justement ce qu’ont fait les commissaires de l’exposition londonienne : les textes muraux accompagnant la visite expliquent ainsi que le peintre « a eu des relations sexuelles répétées avec des jeunes filles, épousant deux d’entre elles et engendrant des enfants« . D’où peins-tu donc, camarade ? « Nul doute que Gauguin a tiré parti de sa position d’Occidental privilégié pour profiter de toutes les libertés sexuelles dont il disposait« , nous avertissent les cartels.
 

Une exposition sur le même thème aurait, il y a encore vingt ans, « fait plus grand cas des innovations formelles » de l’artiste, explique au quotidien new-yorkais l’un des curateurs de la National Gallery, Christopher Riopelle, selon qui tout doit cependant être désormais vu « dans un contexte bien plus nuancé« . « Je pense qu’il n’est plus suffisant de dire que c’était leur manière de faire à l’époque« , fait-il valoir, se disant « déçu » que l’urgence créatrice ait poussé Gauguin « à blesser ou se servir de tant de personnes« .

Ashley Remer, curatrice américaine et fondatrice du musée en ligne girlmuseum.org, également interrogée par le New York Times, hésite moins à vouer Gauguin aux gémonies : « Pour être franche, c’était un pédophile arrogant, surestimé et condescendant« , martèle-t-elle. Pour illustrer son propos, celle qui a fait de la représentation des jeunes filles dans l’histoire et la culture sa spécialité ajoute que les peintures de Gauguin auraient été « bien plus scandaleuses » si elles avaient été… des photographies. Et d’estimer : « Nous n’aurions pas accepté ces images ».

« un langage culturellement indélicat »

Quelques jours avant l’ouverture en mai du pendant canadien de l’exposition, à la National Gallery d’Ottawa, l’équipe de ce musée avait en outre décidé de modifier certains cartels afin, a expliqué au NYT le bureau de presse du musée, « d’éviter d’employer un langage culturellement indélicat« . Quitte à prendre les visiteurs pour des imbéciles… Ainsi, le masque sculpté par l’artiste, baptisé Tête de sauvage, a été présenté à Ottawa avec une étiquette précisant que « sauvage » ou « barbare« , des termes « aujourd’hui considéré comme offensants« , « reflétaient une attitude courante » à l’époque de Gauguin.

Auprès du journal, la directrice du musée d’Ottawa signale que sur les 2.313 retours de visiteurs reçus après l’exposition, une cinquantaine se plaignaient que le musée accueille les œuvres de Gauguin. « L’exposition aurait dû traiter ces problèmes d’une façon plus ouverte et transparente, connectée avec le public d’aujourd’hui« , s’excuse-t-elle donc, ajoutant qu’aborder les « angles morts » de l’œuvre des grands artistes « pourrait les rendre plus pertinents« . Un propos appuyé par la curatrice danoise Line Clausen Pederse, ayant participé à l’élaboration de plusieurs expositions consacrées au peintre : « Ce qu’il reste à dire de Gauguin, c’est pour nous de mettre au jour sa part d’ombre« .

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